3. 3. 1. Consolidation

La consolidation et les mécanismes qui la sous-tendent sont l’objet actuellement de nombreuses publications, lesquelles portent majoritairement sur des modèles animaux. Il se trouve que, globalement, assez peu de liens sont créés entre les conceptions psychologiques traditionnelles de la consolidation mnésique et les conceptions plus récentes issues des neurosciences, ce qui est regrettable (voir cependant Hardt, Orn Einarsson, & Nader, 2010). Concernant l’effet de pratique distribuée qui nous concerne, les deux traditions s’intéressent à des niveaux d’explication différents. La psychologie tente d’expliquer les effets observés en termes de processus cognitifs liés au traitement des informations par le sujet, tandis que les neurosciences s’intéressent à des phénomènes plus élémentaires se déroulant par exemple au niveau de la cellule. Il s’avère le terme de consolidation ne réfère pas exactement aux mêmes conceptions dans les deux traditions. Dans le champ de la psychologie cognitive, la consolidation réfère au fait qu’une trace mnésique, avec le temps, devient de plus en plus stable et de moins en moins sensible aux interférences. Dans le champ des neurosciences, la consolidation réfère à deux processus, celui de la consolidation synaptique (elle-même composée d’une phase précoce et d’une phase tardive) et celui de la consolidation systémique (pour une revue, voir Frankland & Bontempi, 2005). La consolidation synaptique se déroule en général sur plusieurs heures et fait suite à une activité intense et répétée des synapses. Elle correspond à des modifications au sein des neurones qui aboutissent à un renforcement des connexions synaptiques sous-tendant les traces mnésiques. Elle se définit par la nécessité d’une synthèse protéique. La consolidation systémique, quant à elle, se déroule sur des jours, des mois, voire des années, et se définit par le transfert des régions de stockage des souvenirs de l’hippocampe vers le néocortex (Alvarez & Squire, 1994 ; McClelland, McNaughton, & O’Reilly, 1995).

Ainsi, des processus physiologiques sous-tendent les phénomènes mnésiques et, a fortiori, sous-tendent également les effets de pratique distribuée. Des études récentes ont montré l’influence de la distribution temporelle des stimulations sur certains processus physiologiques. Premièrement, un large ensemble de phénomènes mnésiques (e.g., habituation, sensibilisation, conditionnement…) sont influencés par la façon dont les occurrences d’un stimulus sont distribuées dans le temps, et ce dans des organismes tels que l'aplysie, la drosophile, la mouche, le rat, etc (Kandel, 2001). Deuxièmement, il a été montré que les processus physiologiques sous-tendant la potentialisation à long terme (PLT) sont influencés par la distribution des répétitions. Par exemple, Scharf et al. (2002) ont montré in vitro que la PLT dans l’hippocampe est plus importante suite à des stimulations électriques distribuées que massées. Troisièmement, des modifications cellulaires associées à l'apprentissage sont également influencées par la distribution des stimulations : Sisti, Glass, et Shors (2007) ont montré chez le rat qu'un apprentissage distribué d'une tâche de localisation spatiale favorisait davantage la survie des neurones nouvellement formés dans l'hippocampe, par rapport à un apprentissage massé. Wu, Deisseroth, et Tsien (2001) ont montré le développement de nouvelles dendrites dans l'hippocampe suite à des stimulations électriques distribuées mais pas massées. Enfin, des modifications génétiques peuvent faire en sorte que les individus porteurs d’une mutation particulière présentent un apprentissage massé aussi efficace que l’apprentissage distribué (Genoux et al., 2002 ; Pagani, Oishi, Gelb, & Zhong, 2009). Les voies cellulaires responsables des effets de pratique distribuée (e.g., MAPK, CREB) commencent à être mieux comprises.

Un phénomène essentiel lié à la consolidation est celui de la réactivation. En effet, selon Frankland et Bontempi (2005), « la réactivation mnésique est le mécanisme au cœur de la théorie de la consolidation ». Il s’avère que cette réactivation peut être spontanée (par exemple pendant le sommeil) mais également provoquée (c’est-à-dire pendant l’éveil). Or, la répétition d’un stimulus est un événement réactivateur par excellence. La question est alors de déterminer, pour que cette consolidation physiologique des souvenirs soit la plus efficace possible, l’intervalle optimal à l’issue duquel il faut réactiver les souvenirs. Cette question rejoint largement la notion de récupération en phase d’étude développée dans la section 2.2.

Une autre observation intéressante relative à la notion de réactivation est l’hypothèse que le cortex préfrontal inhiberait l’hippocampe lors de la récupération des souvenirs anciens. Des études d’imagerie chez les animaux (Maviel, Durkin, Menzaghi, & Bontempi, 2004) ont montré que l’activité hippocampique est fortement inhibée quand des souvenirs spatiaux et contextuels anciens sont récupérés. Il semblerait que le cortex préfrontal soit à l’origine de cette inactivation. Le fait que l’inhibition se produise ou non pourrait dépendre du fait que le stimulus perçu correspond à un souvenir existant ou non. Si la récupération de ce souvenir est réussie, la fonction hippocampique sera rapidement inhibée afin de ne pas ré-encoder les souvenirs anciens. Si la récupération du souvenir est impossible (e.g., si l’information a été oubliée), alors il n’y aura pas d’inhibition et l’hippocampe sera ré-engagé. Cette hypothèse est intéressante relativement à la théorie de la récupération en phase d’étude : si les stimuli présentés sont connus, alors l’hippocampe subirait une inactivation et ne les encoderait pas de nouveau. Dans ce cas, des processus différents de ceux ayant eu lieu lors l’encodage initial sont probablement mis en œuvre.

Toutefois, peu d’informations sont disponibles à propos de l’influence de la pratique distribuée à long terme sur la consolidation mnésique (voir cependant Litman et Davachi, 2008 décrit plus loin), et encore moins à propos de l’effet de l’agencement temporel des répétitions à long terme.