Deuxième partie : Expériences

Introduction

Au sein de la vaste littérature relative à l’effet de la pratique distribuée (chapitre 1), nous avons constaté qu’un sous-domaine de cette problématique a été relativement peu étudié et a, de plus, fait l’objet de résultats relativement contradictoires. Il s’agit de la question de l’effet de l’agencement à long terme des répétitions d’une même information (Cull, 2000 ; Gay, 1973 ; Tsai, 1927). Etant donné la nature relativement écologique de ce type d’étude et les applications possibles qui en découlent, notamment dans le domaine de l’éducation, nous avons choisi d’explorer cette problématique dans le présent travail.

Nous nous sommes focalisée sur la question suivante : pour un nombre donné de présentations d’un même item verbal, pour une durée donnée de la période d’apprentissage, et pour un apprentissage délibéré du matériel, quel sera l’agencement temporel des répétitions le plus efficace pour la performance mnésique ayant lieu après un délai de rétention donné ? Nous avons choisi de comparer, comme dans Tsai (1927), les trois types suivants d’agencement : 1) Uniforme, c’est-à-dire que les répétitions sont séparées par des intervalles successifs de même durée ; 2) Expansif , c’est-à-dire que les répétitions sont séparées par des intervalles successifs de durée croissante ; 3) Contractant, c’est-à-dire que les répétitions sont séparées par des intervalles successifs de durée décroissante. Les expériences de Tsai ont montré que l’agencement expansif permettait les meilleures performances finales.

Nous avons également souhaité apporter des éléments explicatifs à ces effets à la lumière des théories psychologiques existantes, notamment la théorie de la variabilité de l’encodage (e.g., Glenberg, 1979) et la théorie de la récupération en phase d’étude (e.g., Johnston & Uhl, 1976), développées dans le chapitre 2.

De nombreuses variables expérimentales ont été déterminées de façon relativement arbitraire. En l’occurrence, le nombre de répétitions d’un même item, la durée totale d’apprentissage, la durée du délai de rétention, et les agencements eux-mêmes ont été fixés en partie par commodité en terme d’expérimentation (pour éviter, par exemple, d’expérimenter les samedi et dimanche). Nous n’avons pas souhaité répliquer directement les agencements utilisés dans les études précédentes, préférant élargir le spectre des observations de cet effet afin d’en tester la généralité.

Dans les quatre expériences, un matériel verbal original a été utilisé. Dans l’optique de mimer une situation d’apprentissage écologique tout en permettant un contrôle du matériel expérimental, nous avons créé pour l’occasion des items simulant du vocabulaire d’une langue étrangère. Il s’agissait d’un ensemble de paires associant un mot à un pseudomot, ensemble conçu dans le but d’être homogène. D’authentiques paires de vocabulaire de langue étrangère auraient également pu être utilisées, mais l’emploi de matériel nouveau annulait la possibilité d’interférence éventuelle avec les connaissances antérieures des participants. Les détails de l’élaboration du matériel sont précisés dans la section 4.1.

Dans les trois premières expériences, la variable agencement était une variable intra-sujets. La raison initiale de ce design expérimental était pratique. Etant donné le caractère contraignant de la procédure pour les participants, l’utilisation d’un tel design nous permettrait de réduire la taille de nos échantillons, par rapport à une situation dans laquelle un groupe de participants serait associé à un agencement. De plus, ce choix s’est révélé judicieux a posteriori car la variabilité dans les performances des participants se sont révélées très importantes, rendant l’observation d’un effet significatif plus facile que dans le cas d’un design inter-sujets.

Ainsi, l’Expérience 1 avait pour principe de comparer trois agencements comportant quatre occurrences de la même paire mot-pseudomot réparties sur sept journées d’apprentissage consécutives. L’agencement uniforme consistait en une présentation des paires lors des jours 1, 3, 5, et 7. L’agencement expansif consistait en une présentation des paires lors des jours 1, 2, 3, et 7. L’agencement contractant consistait en une présentation des paires lors des jours 1, 5, 6, et 7. Le test de rétention était une tâche de rappel indicé qui avait lieu le 9ème jour. Cette expérience avait pour particularité que la phase d’apprentissage se déroulait à domicile, le participant étudiant les items par le biais d’Internet. Le test final avait cependant lieu au laboratoire.

L’Expérience 2 constituait une réplication de l’Expérience 1 intégralement en laboratoire. Des tâches mnésiques ont été réalisées lors du 9ème jour en plus du rappel indicé, en l’occurrence une tâche de rappel libre des pseudomots et une tâhce de jugement du nombre d’occurrences des paires. De plus, une tâche de reconnaissance des paires avait lieu en parallèle de l’apprentissage, dans le but d’explorer les processus de récupération en phase d’étude. Enfin des questionnaires de motivation étaient inclus, afin d’éliminer l’hypothèse d’une baisse de la motivation au fil des sessions expérimentales qui aurait pu être responsable de l’avantage de l’agencement expansif.

Pour ces deux premières expériences, nos hypothèses étaient que l’agencement expansif serait associé à des performances plus élevées que les deux autres agencements. Dans l’Expérience 2, nous prédisions également que les paires induisant les taux les plus élevés de reconnaissance pendant la phase d’apprentissage soient les paires les mieux rappelées lors du test final, c’est-à-dire les paires étudiées selon l’agencement expansif.

L’Expérience 3 visait à explorer la généralité de l’effet de l’agencement temporel en allongeant la durée de la phase d’apprentissage, qui durait alors 13 jours, tout en réduisant le nombre d’occurrence de chaque paire à trois. Il s’agissait également de tester si la durée du délai de rétention modulerait éventuellement l’effet de l’agencement temporel, puisqu’il a été montré que la durée du délai de rétention module l’effet de l’intervalle inter-répétition dans le cas où deux occurrences ont lieu (Cepeda et al., 2008). Comme dans l’Expérience 2, des questionnaires de motivation étaient inclus pour tester l’hypothèse alternative d’une motivation décroissante au fil des sessions.

Pour l’Expérience 3, nos hypothèses étaient que l’agencement expansif serait associé aux performances les plus élevées par rapport aux deux autres agencements, et que cet avantage serait accentué avec l’augmentation du délai de rétention. En effet, si l’agencement expansif est celui qui favorise le mieux la consolidation mnésique, alors son efficacité devrait être plus durable et plus résistante au temps par rapport aux autres agencements.

Dans l’Expérience 4, nous nous sommes quelque peu éloignée de l’étude de l’agencement temporel, puisque nous avions pour objectif de tester la validité de la théorie de la variabilité de l’encodage. Le protocole expérimental consistait en la présentation d’une paire lors de deux occurrences séparées par un intervalle d’une durée fixe d’environ 40 minutes. Un groupe réalisait, pendant cet intervalle inter-répétition, un ensemble d’activités variées, simulant une fluctuation accélérée du contexte, tandis qu’un second groupe réalisait en parallèle une activité monotone, simulant une fluctuation ralentie du contexte. La théorie de la variabilité de l’encodage prédit que le premier groupe devrait présenter de meilleures performances lors du rappel indicé final se produisant après 30 minutes de délai de rétention.