5. 1. Expérience 4

5. 1. 1. Introduction

L’Expérience 4 avait pour objectif de tester la théorie de la variabilité de l’encodage comme explication de l’effet de pratique distribuée. La théorie de la variabilité de l’encodage (e.g., Glenberg, 1979 ; voir le chapitre 2) postule qu’un long intervalle inter-répétition (IIR) est bénéfique à la récupération finale d’un item, et ce pour les raisons suivantes. Premièrement, selon Glenberg (1979), les éléments contextuels sont encodés dans la trace mnésique représentant l’item et participent à la réactivation de cette trace lors de la récupération ultérieure de l’item. Deuxièmement, le passage du temps a pour conséquence de faire fluctuer graduellement les éléments contextuels. Troisièmement, la différence de contexte entre les épisodes P1 et P2 est donc plus importante pour un long IIR que pour un court IIR. Finalement, puisqu’il est bénéfique d’encoder les items dans des contextes les plus variés possible, alors un IIR long mènera à des performances de récupération ultérieures plus élevées.

Cette théorie a été développée et testée principalement dans le cadre d’études à court terme, c’est-à-dire dans lesquelles des items sont présentés au sujet au sein d’une session expérimentale, et en général, au sein d’une liste. Dans cette liste, un item donné est répété, et durant l’intervalle séparant ses occurrences (i.e., l’IIR), un nombre variable d’autres items est présenté. Les items sont ensuite testés quelques minutes plus tard par une tâche de rappel. Dans ce type d’études, on conçoit sans difficulté que le contexte fluctue de façon continue tout au long de l’expérience. En effet, au fil des minutes, des éléments environnementaux peuvent se modifier graduellement (par exemple, la luminosité), l’état interne du sujet fluctue également (par exemple, son niveau de stress diminue et sa faim augmente), et enfin la suite des items présentés tout au long de l’expérience constitue également un contexte qui évolue.

On peut toutefois s’interroger sur le fait que la théorie de la variabilité de l’encodage est une explication valide sur le long terme. En effet, dans le cadre d’une étude sur le long terme où les répétitions ont lieu lors de jours différents, il semble moins évident de penser que le contexte fluctue régulièrement entre les occurrences. Par exemple, il ne semble pas certain que le contexte environnemental fluctue davantage entre P1 et P2 lorsque l’IIR est de sept jours par rapport au cas où l’IIR est d’un jour. Il est même possible d’envisager qu’au contraire, après un IIR de sept jours, le contexte à P2 soit plus proche de celui de P1 qu’après un IIR d’un jour. En effet, si l’intervalle P1-P2 dure 7 jours, alors P1 et P2 se déroulent le même jour de la semaine ; or les jours de la semaine sont, pour la plupart des individus, marqués par des habitudes hebdomadaires -dans le cas des étudiants par exemple, les mêmes cours ou loisirs sont suivis chaque semaine, les mêmes lieux sont fréquentés, les mêmes déplacements sont réalisés, etc. Au contraire, deux journées successives peuvent être très différentes, par exemple lorsqu’on compare un jour de cours comme le vendredi à un jour de fin de semaine comme le samedi. En tout état de cause, on peut penser que des IIR de l’ordre de plusieurs heures interrompent la continuité de la fluctuation contextuelle puisque entre les sessions expérimentales, les participants aux expériences retrouvent leurs activités habituelles, leur « vie réelle », contrairement aux expériences sur le court terme. L’évolution graduelle du contexte n’a donc pas lieu a priori dans ce cas. Un autre élément nous conduit à nous interroger sur les effets de contexte comme explication des effets de pratique distribuée à long terme. Il s’agit de l’observation que, dans les expériences étudiant l’effet d’intervalle sur une longue échelle de temps, les expérimentateurs prennent soin de réaliser les sessions d’apprentissage dans des contextes expérimentaux les plus homogènes possibles, c’est-à-dire en évitant au maximum de changer le contexte environnemental entre les sessions. Ainsi, l’explication de l’effet de la pratique distribuée à long terme par le principe de la variabilité de l’encodage nous semble sujet à questionnement.

Avant d’aborder plus avant le lien entre les effets de répétition et la variabilité de l’encodage, il est nécessaire de faire une parenthèse concernant les effets généraux du contexte environnemental sur la mémoire. On postule que la trace épisodique d’un souvenir contient l’élément dit focal, c’est-à-dire les informations sur lesquelles l’individu a porté son attention (e.g., les items à apprendre), mais également des éléments contextuels sur lesquels il n’a pas nécessairement porté son attention. Un certain nombre d’études ont porté sur l’effet de la congruence entre l’environnement d’apprentissage et l’environnement de récupération sur les performances mnésiques dans des situations où une seule occurrence de l’item survient et où l’item est testé dans un deuxième temps (pour une revue, voir Smith & Vela, 2001). Une grande majorité de ces études a montré que les performances mnésiques sont plus élevées lorsque le contexte d’encodage et le contexte de récupération sont similaires (e.g., Godden & Baddeley, 1975 ; Smith, 1979). Cet effet est lié à la notion de spécificité de l’encodage développée par Tulving et Thompson (1973), selon laquelle les éléments environnementaux présents lors de la récupération serviraient d’indices pour aider la récupération des traces contenant des éléments similaires. Nous avons déjà vu cette notion dans la théorie de la variabilité de l’encodage développée par Glenberg (1979). Cependant, dans certains cas la supériorité de la congruence du contexte n’a pas été observée (Fernandez & Glenberg, 1985).