Effet du contexte en situation de répétition

Cette question a justement fait l’objet d’une étude séminale réalisées par Smith, Glenberg, et Bjork (1978). Dans l’Expérience 1, les auteurs faisaient apprendre une même liste de mots lors de deux épisodes, P1 et P2, séparés par trois heures d’intervalle puis testée lors d’une tâche de rappel libre trois heures plus tard. Dans ces expériences, l’intervalle P1-P2 (IIR) était maintenu constant. Deux contextes environnementaux distincts pouvaient être instanciés pour les épisodes d’étude, C1 ou C2. Ces deux contextes différaient de diverses façons ; l’immeuble et la pièce où se déroulait l’apprentissage, la luminosité, le mode sensoriel de présentation, et l’habillement de l’expérimentateur étaient différents dans C1 et C2. Deux conditions étaient comparées : une condition de constance dans laquelle le même contexte était instancié à P1 et P2 (C1-C1 ou C2-C2) et une condition de changement dans laquelle le contexte variait (C1-C2 ou C2-C1). Le contexte instancié lors du rappel libre était neutre (C3). Les performances de rappel ont montré que la condition la plus favorable au rappel était la condition de changement, c’est-à-dire que la variation du contexte lors des épisodes d’encodage favorisait la rétention des items. Glenberg (1979, Expérience 3) a montré le même type de résultats.

Trente ans plus tard, Isarida et Isarida (2010) se sont interrogés sur l’effet de l’amplitude de la modification des contextes entre les occurrences. Dans leurs quatre expériences, une liste de mots était présentée à deux reprises séparées par un IIR donné. Ils faisaient varier ou gardaient constant le contexte environnemental, tout comme Smith et al. (1978) et, de plus, comparaient deux conditions :

Les auteurs ont montré que dans la condition de contexte de lieu simple, la condition de changement était plus avantageuse que la condition de constance pour la rétention finale, ce qui constituait une réplication des effets observés par Smith et al. (1978) et Glenberg (1978, Expérience 3). Cependant, cet effet était inversé en condition contexte de lieu complexe ; ainsi, lorsque la manipulation portait sur un plus grand nombre de caractéristiques de la situation expérimentale, il était plus avantageux de garder constant l’ensemble de ces paramètres entre P1 et P2 plutôt que de les faire varier.

De façon intéressante, Isarida et al. (2010) interprétaient ces résultats en termes de variabilité de l’encodage et de récupération en phase d’étude. Selon les auteurs, la récupération en phase d’étude est rendue plus difficile lorsqu’un grand nombre de paramètres sont modifiés, et en particulier la tâche d’encodage, ce qui est délétère pour la performance finale. En condition de variation du contexte de lieu simple, la récupération en phase d’étude est censée ne pas être différente dans les conditions de changement et de constance. Il est alors avantageux de faire jouer la variabilité de l’encodage, et c’est pourquoi on observait l’avantage de la condition de variation. En condition de variation du contexte de lieu complexe, la récupération en phase d’étude est rendue plus difficile entre P1 et P2. Ainsi il vaut mieux favoriser cette récupération qui est primordiale à la performance finale. C’est pourquoi on observe l’avantage de la condition de constance. Ainsi, de nouveau, réapparaît l’idée qu’une variabilité de l’encodage maximum est souhaitable, mais uniquement dans la mesure où la récupération en phase d’étude est réalisée, ce qui rejoint les notions de modèles mixtes développés dans le chapitre 2 (e.g., Young & Bellezza, 1982).

Pour résumer, si la théorie de la variabilité de l’encodage est bien la cause de l’effet d’espacement, alors dans le cas d’un apprentissage sur plusieurs sessions, ce ne peut pas raisonnablement être l’environnement physique de passation des sessions qui est l’élément qui fluctue ; en effet, on fait en sorte que les contextes environnementaux soient justement les plus similaires possibles de session en session. On peut donc penser que c’est plutôt la fluctuation du contexte interne, autrement dit l’état psychologique du sujet, qui devrait avoir une influence ; par exemple, le participant peut avoir de plus en plus faim au fur et à mesure du déroulement de l’expérience, il peut être de moins en moins anxieux, avoir un cheminement de pensée concernant les buts de l’expérimentateur, etc… Il n’a pas été réalisé à notre connaissance d’étude dans laquelle sont comparées une condition dans laquelle est induit un état mental différent lors de P1 et P2 avec une condition dans laquelle est induit un état mental similaire lors de P1 et P2.

De plus, il est également possible de considérer que les expériences qui manipulent l’IIR manipulent en réalité deux facteurs confondus : la durée de l’intervalle, mesurée en valeur absolue d’une part, et la fluctuation aléatoire de l’environnement et de l’état psychologique du sujet d’autre part. Nous proposons donc dans cette expérience de séparer ces deux facteurs habituellement confondus. Une piste pourrait être d’induire artificiellement ces contextes internes lors de P1 et P2. Cependant, dans l’Expérience 4, nous avons choisi de mettre en œuvre une autre procédure, basée sur une induction indirecte, dont le principe est décrit dans la section suivante.