Interprétations

Le fait de n’avoir pas montré que la variabilité des activités réalisées pendant l’IIR influençait significativement le rappel indicé final peut s’interpréter de différentes façons relativement à la théorie de la variabilité de l’encodage.

Selon la première interprétation possible, l’hypothèse de la variabilité de l’encodage est correcte et l’expérience est adaptée au test de cette hypothèse, mais la trop grande variabilité des scores a eu pour effet d’empêcher d’atteindre la significativité de la différence. Il faudrait donc augmenter de façon drastique les effectifs des deux groupes de participants pour avoir une chance d’obtenir un effet. Une possibilité serait également, avant de commencer l’expérience proprement dite, de faire passer aux participants une tâche d’apprentissage et de rappel sur un matériel similaire à celui de l’expérience ; à partir des résultats à cette tâche, ne participeraient à l’expérience que ceux ayant des performances moyennes, dans une fourchette déterminée au préalable. On pourrait également envisager un protocole dans lequel le facteur fluctuation serait manipulé en intra-sujets, mais cela amènerait d’autres biais à contrôler également (effet de séquence par exemple).

Selon la seconde interprétation possible, l’hypothèse de la variabilité de l’encodage est correcte, mais l’expérience n’est pas adaptée pour la mettre en évidence. Plusieurs éléments expérimentaux pourraient être ajustés pour pouvoir mieux tester l’hypothèse. Par exemple, une tâche de rappel libre pourrait être mieux à même de mettre en évidence des effets de contexte (en effet, en reconnaissance, les indices extérieurs jouent un rôle plus faible qu’en rappel indicé où ils jouent un rôle essentiel. De même, la tâche de sudoku n’est peut-être pas si monotone que nous le pensions initialement, et l’effet induit par la tâche de sudoku est probablement différent selon les personnes en fonction de leur habitude d’en réaliser, de leur attirance pour les jeux de chiffres, etc… Il se peut également que les deux groupes, du fait des activités réalisées, aient été confrontés de façon différente à des interférences avec l’apprentissage des paires. En tout état de cause, l’effet que nous cherchions à mettre en évidence est très subtil et peut être facilement noyé par d’autres facteurs entrant en jeu dans l’expérience.

Selon la troisième interprétation possible, la différence (non significative) entre les deux conditions serait due non pas à la fluctuation de l’état psychologique des sujets, qui serait plus importante en condition de Fluctuation Forte, mais à un niveau de motivation plus élevé induit par les tâches -assez ludiques- réalisées dans cette condition par rapport à la condition de Fluctuation Faible. En effet, on imagine aisément qu’un participant plus motivé sera plus efficace dans l’encodage lors de P2, ce qui sera la cause de ses performances finales plus élevées, et non pas la fluctuation de contexte. De plus, certains participants ayant appartenu au groupe Fluctuation Faible nous ont fait part d’une certaine « frustration » due à la longue durée de la tâche de sudoku. Tout un ensemble de facteurs peuvent également différer entre les deux conditions : niveau d’arousal, niveau de fatigue, état psychologique tel que l’anxiété, l’ennui. On est donc confronté à un problème de confusion de variable avec de nombreux autres facteurs, qui ferait en sorte que le participant se trouve simplement dans de meilleures conditions pour apprendre a moment de P2 dans la condition de Fluctuation Forte.

Enfin, selon la quatrième interprétation possible, l’hypothèse de la variabilité de l’encodage est fausse et ne joue pas de rôle dans les effets de pratique distribuée. Ainsi, l’intervalle de temps séparant P1 et P2 serait le facteur responsable des effets de pratique distribuée, la fluctuation du contexte étant un phénomène annexe et qui pourrait dans certains cas avoir une influence. Selon cette interprétation, les activités réalisées par le sujet pendant l’IIR n’influeraient pas sur la variabilité de l’encodage, ou alors la variabilité de l’encodage induite par ces activités différentielles n’aurait pas d’influence sur la rétention. Si seul le temps est le facteur responsable de l’effet de pratique distribuée, cela va dans le sens des hypothèses de type neurophysiologique qui postulent que les phénomènes de consolidation synaptique et systémique (voir la section 3.3) à l’œuvre dans l’effet de pratique distribuée nécessitent une période incompressible pour se réaliser. Ces effets pourraient éventuellement être modulés par d’autres phénomènes comme la variabilité de l’encodage.

Nous ne pouvons pas départager ces quatre interprétations sur la base des résultats de l’Expérience 4.

Il est nécessaire également d’ajouter ici que, dans la mesure où 1) l’IIR était constant, 2) les caractéristiques de présentation des stimuli étaient identiques entre P1 et P2, 3) que les temps de présentation étaient relativement longs, 4) que les participants étaient informés lors de P2 que les items de P1 seraient répétés, et 5) au vu des scores plafonds de reconnaissance 24h plus tard observés dans l’Expérience 2, que les phénomènes de récupération en phase d’étude de P1 lors de P2 devraient se trouver autour des 100% sans différence particulière entre les deux groupes de participants. Si cette intuition est correcte, alors nous avons manipulé, comme nous le souhaitions, uniquement la variabilité de l’encodage sans interférer avec la récupération en phase d’étude. Toutefois nous n’avons pas de données tangibles permettant d’étayer notre intuition.