6. 2. 1. Théorie de la variabilité de l’encodage

D’une façon générale, la théorie de la variabilité de l’encodage (e.g., Glenberg, 1979) postule qu’un item doit être associé à des contextes d’encodage les plus variés possible pour bénéficier d’une trace mnésique la plus riche possible, ce qui sera avantageux lors du rappel final (voir aussi le chapitre 5 pour une discussion sur la question du contexte). Cette théorie explique pourquoi des répétitions séparées par un long intervalle inter-répétition (IIR) permettent un meilleur rappel que des répétitions séparées par un court IIR : lors du long IIR, le contexte -à la fois environnemental et interne- a le temps de fluctuer de façon plus ample que lors de l’intervalle court. Cependant, cette explication semble moins évidente lorsqu’il s’agit d’expliquer l’effet de l’agencement temporel. En effet, lorsque des agencements temporels de répétitions sont comparés, l’intervalle moyen entre deux occurrences successives est le même dans tous les agencements. Dans l’agencement uniforme, tous les IIR sont identiques ; dans l’agencement expansif, les premiers IIR sont courts et les derniers sont longs ; dans l’agencement contractant, les premiers IIR sont longs et les derniers sont courts. Ainsi, le fait d’avoir de longs IIR à la fin de l’agencement expansif (ou au début de l’agencement contractant) est a priori compensé par le fait qu’on a de courts IIR au début (ou à la fin pour l’agencement contractant). Ainsi, en première appréciation, la variabilité de l’encodage n’est pas un facteur évident pour expliquer les différences entre les agencements.

Par ailleurs, la théorie de la variabilité de l’encodage prédit que la durée du DR influence les effets de pratique distribuée, car les éléments contextuels présents lors du test de rétention jouent un rôle dans la récupération des souvenirs : on a tendance à récupérer les traces contenant des éléments contextuels similaires à ceux présents au moment du test. Suite à un DR court, l’agencement contractant devrait donc être favorisé puisque le contexte instancié est alors proche du contexte ayant été instancié à la fin de la phase d’apprentissage. À l’inverse, suite à un DR long, l’agencement uniforme devrait être favorisé puisque le contexte instancié est alors très différent des contextes instanciés pendant la phase d’apprentissage. La trace constituée des éléments contextuels les plus variés, c’est-à-dire celle issue de l’agencement uniforme, devrait être davantage récupérée que les autres. Or nos résultats montrent que ces prédictions n’ont pas été vérifiées.

Nous émettons de surcroît des doutes sur l’idée que le contexte fluctue progressivement avec le temps sur une longue échelle de temps. comme discuté dans le chapitre 5, il nous semble pertinent d’affirmer que, sur une période de quelques minutes voire de quelques heures, le contexte fluctue progressivement et de façon continue. Mais prenons l’exemple de deux sessions d’apprentissage avec répétitions des items d’une session à l’autre, telles que l’IIR est dans un cas d’un jour et dans l’autre cas de quatre jours. Les contextes environnementaux (e.g., Smith et al., 1978) ainsi que les contextes internes (i.e., psychologiques ; e.g., Smith, 1995) sont-ils plus différents entre les deux sessions dans le cas de l’IIR de quatre jours que dans le cas de l’IIR d’un jour ? Nous pensons que ce n’est pas le cas, car la « coupure » qui se produit entre les sessions, pendant laquelle les sujets retournent à leurs occupations habituelles, rompt probablement la fluctuation du contexte due au temps. Ainsi, nous pensons qu’il n’y aura pas une plus grande différence de contexte entre deux sessions lorsque l’IIR augmente. Au contraire, il pourrait même exister une sorte de périodicité liée aux jours de la semaine, qui pourrait rendre les contextes davantage similaires entre eux dans certains cas. En effet, lorsqu’un IIR de sept jours sépare deux sessions, alors celles-ci ont alors lieu le même jour de la semaine, ce qui pourrait favoriser au contraire une similarité de contexte. Un étudiant, par exemple, avant d’assister à deux sessions expérimentales séparées par une semaine, a suivi des cours sur les mêmes disciplines, dans les mêmes salles et avec les mêmes enseignants. Or cela ne se produit pas lorsque les sessions sont séparées par 48 h. Pour prendre un cas extrême, si la deuxième session a lieu le samedi ou le dimanche, le contexte de l’environnement universitaire est alors particulier (e.g., pas d’étudiant sur le campus, etc) et diffère alors grandement du contexte universitaire d’un jour de semaine. Weigold (2008) défendait également cet argument.

L’Expérience 4 avait pour objectif de tester l’hypothèse de la variabilité de l’encodage en se focalisant particulièrement sur la variabilité du contexte interne du sujet au moment des occurrences de l’item. Nous avons tenté de simuler des degrés divers de fluctuation du contexte en manipulant la variété des activités réalisées pendant l’IIR. Les résultats étaient mitigés puisque la différence de performance finale, bien qu’allant dans le sens de la théorie de variabilité de l’encodage, n’était pas significativement plus élevée dans le groupe simulant une fluctuation forte que dans le groupe simulant une fluctuation faible. De plus, des effets de motivation étaient probablement en jeu dans la différence observée. Les résultats de l’Expérience 4 sont donc d’un intérêt limité, et ne se positionnent ni en faveur ni en défaveur de la théorie de la variabilité de l’encodage.

La limite principale de la théorie de la variabilité de l’encodage est, selon nous, l’absence de prise en compte de la récupération de la trace existante pour l’item lorsque celui-ci est répété, argument développé par Bellezza et ses collaborateurs (e.g., Young & Bellezza, 1982). Or, ce problème de récupération en phase d’étude est d’autant plus aigu que les IIR sont longs. Nous avons par exemple observé qu’un certain nombre de paires n’étaient pas reconnues lorsque répétées au bout de quelques jours (Expérience 2). Ainsi, même si la variabilité de l’encodage joue un rôle dans l’explication de l’effet de l’agencement temporel, il semble raisonnable de penser que les processus de récupération en phase d’étude ont des effets autrement plus importants sur les effets observés. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 3, des modèles mixtes ont été proposés (e.g., Verkoeijen et al., 2005) et modélisés (e.g., Mozer et al., 2009 ; Raaijmakers, 2003).

D’une façon générale, la théorie de la variabilité de l’encodage présente des aspects relativement flous et indéfinis, et qui ne sont pas explicitement décrits comme des « variantes » de l’hypothèse initiale. Comme nous l’avons discuté dans le chapitre 5, ce que signifie variabilité de l’encodage n’est pas toujours clair : s’agit-il d’encoder un item accompagné des éléments contextuels qui seraient intégrés à la trace, ou s’agit-il du fait que le contexte instancié influence sur la façon d’encoder les stimuli ? La formulation de Bower (1972) rejoindrait plutôt la seconde conception, tandis que celle de Glenberg (1979) serait à rapprocher de la première. Nous trouverions pertinent que cette théorie, qui est si souvent citée pour les effets de pratique distribuée, fasse l’objet d’une formulation explicite actualisée au vu des données empiriques récoltées depuis les années 1970.

Ainsi, en guise de conclusion tout à fait partielle sur la question de la théorie de la variabilité de l’encodage, il nous semble que, effectivement, il est pertinent de penser que les composants du contexte externe et interne sont encodés dans la trace ou, selon l’autre variante, qu’ils influencent la façon d’encoder les stimuli, et qu’ils influencent également les processus de récupération. Cependant nous ne voyons pas clairement comment la théorie de la variabilité de l’encodage pourrait expliquer simplement et à elle seule les résultats obtenus relatifs à l’effet de l’agencement temporel à long terme. Nous pensons que cette théorie néglige les phénomènes d’oubli et de récupération en phase d’étude, qui, selon nous, jouent un rôle plus important dans les effets observés.