6. 2. 2. Théorie de la récupération en phase d’étude

La théorie de la récupération en phase d’étude (e.g., Johnston & Uhl, 1976) postule que les répétitions des occurrences d’un même item, lors de la phase d’apprentissage, déclenchent la récupération des souvenirs des occurrences précédentes et que cette récupération est favorable au rappel final (voir le chapitre 2). Par exemple, la récupération du souvenir de l’épisode P1 au moment de P2 permettrait à la trace récupérée d’être enrichie par la nouvelle occurrence. Au contraire, si le souvenir de P1 ne peut pas être récupéré, une nouvelle trace est créée qui ne profite pas des occurrences antérieures, menant à des performances finales plus faibles. D’une façon générale, l’agencement expansif est celui qui devrait bénéficier du plus grand nombre de récupérations en phase d’étude successives, puisque les IIR sont d’abord courts, permettant la récupération et l’enrichissement de la trace, puis de plus en plus longs. Globalement, les résultats des Expériences 1 à 3 vont donc dans le sens de cette hypothèse.

Plus précisément, dans l’Expérience 2, nous avons mesuré les taux de reconnaissance des paires mot-pseudomot lors de la phase d’apprentissage et avons montré que les paires ayant été reconnues lors de P2 avaient une plus grande probabilité d’être également rappelées lors du test final. Or, ce sont les items de l’agencement expansif qui ont été les mieux reconnus à P2, ce qui est naturellement dû au fait que l’intervalle P1-P2 est plus court dans cet agencement que dans les autres agencements. Cette observation peut être interprétée de la façon suivante. L’agencement expansif est le plus efficace car, comme les intervalles entre les occurrences sont initialement courts, c’est dans cet agencement que, au moment des premières répétitions, la récupération en phase d’étude est la plus probable. Les longs intervalles entre les dernières occurrences sont moins problématiques pour la récupération en phase d’étude (par exemple, au moment de P4) car les opportunités antérieures de récupération ont permis à la trace de s’enrichir, lui permettant de résister davantage à l’oubli (entre P3 et P4 par exemple). À l’inverse, l’agencement contractant devrait être le moins efficace car il est davantage probable que la seconde occurrence ne permette pas la récupération du souvenir de la première occurrence, ce qui était observé dans l’Expérience 2. Ce premier intervalle étant trop long, l’item a été oublié lorsque celui-ci se répète, et par conséquent, une nouvelle trace doit être créée. L’agencement uniforme devrait être moyennement efficace car les probabilités de récupération en phase d’étude sont intermédiaires. Bien entendu, cette explication de la récupération des traces en « tout ou rien » est schématique ; d’une façon plus modérée et réaliste, une trace résiduelle des occurrences précédentes est probablement toujours présente en mémoire. Cependant ces traces résiduelles peuvent être tellement infimes dans le cas d’un long IIR qu’on considérera que rien n’est récupéré.

La théorie de la récupération en phase d’étude telle qu’elle est présentée dans la littérature ne fait pas de prédiction concernant l’effet du DR. Cependant, on pourrait développer la théorie de la récupération en phase d’étude en postulant que la récupération des occurrences antérieures a deux conséquences : a) la trace récupérée est enrichie par de nouveaux éléments correspondant à l’épisode actuel, ce qui lui permet de bénéficier d’un plus haut niveau d’activation ; b) cette trace récupérée et enrichie devient également plus résistante dans le temps, c’est-à-dire qu’elle sera moins sensible à l’oubli au fil du temps. Par conséquent, les items appris selon un agencement expansif devraient être associés à un rappel final à la fois plus élevé et plus durable. Selon cette hypothèse, l’effet modulateur du DR observé dans l’Expérience 3 pourrait s’expliquer de la façon suivante. Peu après la fin de la phase d’apprentissage, lors de J15 par exemple, les items issus des trois agencements sont rappelés avec la même probabilité car tous ont été présentés deux jours auparavant (P4 à J13), et bénéficient donc tous d’un niveau d’activation relativement élevé. Cependant, au fur et à mesure que le temps passe avec l’allongement du DR, les souvenirs des items des agencements contractant et uniforme subissent un plus grand déclin que ceux de l’agencement expansif, ce qui mène à l’apparition progressive de la supériorité de l’agencement expansif. Le modèle de Pavlik et Anderson (2005) simule ce type de phénomène, bien qu’il n’ait pas été à même de montrer l’avantage de l’agencement expansif (Lindsey et al., 2009).

Il est intéressant de considérer que nous avons abouti à des résultats similaires aux prédictions faites par le modèle de Mozer et al. (2009), relatées dans Lindsey et al. (2009). En effet, les simulations prédisaient que l’agencement expansif serait de plus en plus optimal parmi les trois agencements au fur et à mesure de l’allongement du DR. Or, ce modèle implémentait à la fois les concepts de variabilité de l’encodage et de récupération en phase d’étude. Ainsi nos résultats sont concordants avec les prédictions d’un modèle qui implémente une certaine version des modèles mixtes.

Les modèles mixtes (e.g., Bellezza & Young, 1982) peuvent par conséquent apparaître comme une solution dans laquelle les deux théories se combinent pour donner un modèle complexe pouvant rendre compte d’un certain nombre de résultats. Par exemple, nous avons vu que pour expliquer la modulation de l’effet de l’agencement par le DR (observé dans l’Expérience 3), ni la théorie de la variabilité de l’encodage seule ni la théorie de la récupération en phase d’étude seule ne prédisaient les résultats. D’une façon générale, il s’agirait de combiner les principes des deux théories, aboutissant aux deux principes suivants : 1) il est nécessaire que les différentes occurrences soient mises en lien dans une trace unique, par le biais de la récupération des traces antérieures lors des répétitions des items ; et 2) les contextes au moment de l’encodage et de la récupération jouent leurs rôles comme le décrit le modèle de la variabilité de l’encodage. Cette combinaison de principes pourrait expliquer pourquoi, après un DR court, l’égalité a été observée entre tous les agencements : même si l’agencement contractant n’est pas optimum concernant la récupération en phase d’étude, il est favorisé par le contexte de récupération proche du contexte d’encodage des dernières occurrences. Ensuite, avec le passage du temps lors du DR, le contexte instancié lors de la récupération est de plus en plus différent des contextes instanciés à l’encodage, ce qui favorise l’agencement expansif qui a permis aux traces correspondantes d’être plus riches, grâce aux récupérations en phase d’étude successives lors de la phase d’apprentissage. Un tel modèle peut atteindre des niveaux élevés de complexité et nécessite beaucoup de suppositions ; par conséquent, une description verbale du modèle et de ses prédictions (notamment par rapport à l’interaction entre agencement et DR) est limitée. C’est pourquoi des modélisations mathématiques telles que celles de Mozer et al. (2009) présentent un grand intérêt.

Pour revenir à la théorie de la récupération en phase d’étude, nous pensons qu’il reste des améliorations à apporter quant à sa formulation. Par exemple, la théorie de la remémoration récursive telle que formulée par Hintzman (2004 ; 2010) postule que les occurrences successives sont récupérées de façon enchâssée : à P2, on récupère la trace de P1 ; A P3, on récupère la trace correspondant au souvenir que lors de P2, on avait récupéré P1 ; A P4, on récupère la trace correspondant au souvenir qu’à P3, on avait récupéré la trace de P2 qui elle-même contenait le souvenir de la récupération de P1. Et ainsi de suite… On peut se demander si un processus aussi complexe est vraiment réaliste dans le cadre de répétitions sur plusieurs jours. D’autre part, la théorie de la récupération en phase d’étude est intimement liée à des questions telles que : Que récupère-t-on réellement lors d’une répétition ? Cette récupération est-elle associée à un état conscient particulier ? La reconnaissance est-elle vraiment le corrélat de cette récupération, comme nous l’avons postulé dans nos expériences ? Ces questions ne font pas l’objet de beaucoup de développement dans la littérature, et de nouvelles études sont nécessaires pour y répondre.