6. 3. Délai de rétention et taux d’oubli

6. 3. 1. Taux d’oubli et effet de l’agencement temporel

L’observation réellement novatrice de nos travaux est l’observation, dans l’Expé-rience 3, que l’agencement expansif semblait associé à un taux d’oubli plus faible que les autres agencements, et ce alors que les niveaux de performance initiale (J15) étaient similaires. Nous nous sommes interrogée sur les taux de rétention observés dans les études sur l’effet de l’agencement à long terme qui utilisaient plusieurs DR (Cull, 2000 ; Tsai, 1927). Les représentations graphiques des courbes d’oubli de ces études sont présentées dans les Figures 27 et 28, tandis que les Figures 29 et 30 présentent les courbes d’oubli observées dans les Expériences 2 et 3.

Figure 27 : Reproduction des résultats de l’étude de Tsai (1927 ; Expérience 2 à gauche et Expérience 3 à droite). Taux de rappel en fonction du délai de rétention (abscisses) et de l’agencement (couleur de la courbe).
Figure 28 : Reproduction des résultats de l’étude de Cull (2000, Expériences 3 et 4). Taux de rappel en fonction du délai de rétention (abscisses) et de l’agencement (couleur de la courbe).
Figure 29 : Résultats de l’Expérience 2. Taux de rappel en fonction du délai de rétention (abscisses) et de l’agencement (couleur).
Figure 30 : Résultats de l’Expérience 3. Taux de rappel en fonction du délai de rétention (abscisses) et de l’agencement (couleur).

Avant toute discussion, il est nécessaire de rappeler qu’aucune de ces observations ne constitue une mesure convenable de l'oubli en fonction du DR, et ce pour les raisons suivantes. Premièrement, dans certains cas (i.e., Tsai, 1927 ; Expérience 2), les mêmes sujets étaient testés deux fois sur l'intégralité du matériel ; or on sait que le premier épisode de rappel modifie les processus de consolidation en cours et, par conséquent, les résultats lors du deuxième rappel étaient probablement différents de ceux qu'ils auraient été si le premier rappel n’avait pas eu lieu. Deuxièmement, dans d’autres cas (i.e., Cull, 2000 ; Expérience 3) des sujets différents étaient testés lors de deux DR, or les grandes variabilités individuelles inhérentes aux tâches de rappel rendent difficiles la comparaison inter-groupes. Troisièmement, dans d’autres cas encore (i.e., Expériences 2), lorsque les participants étaient testés de nouveau au bout de deux mois, seul un sous-ensemble de l’échantillon initial a participé, ce qui rend les résultats moins représentatifs que si tous avaient participé.

L’observation de ces courbes d’oubli, avec toutes les réserves mentionnées, fait apparaître que l’agencement expansif était souvent associé au taux d’oubli le plus faible (Cull, 2000 ; Expérience 2 ; Expérience 3). Dans l’étude de Tsai (1927) cependant, c’est l’agencement contractant qui était associé au taux d’oubli le plus faible. On remarque cependant que dans ce dernier cas, l’agencement expansif était alors celui qui entraînait les meilleures performances à la tâche de rappel. Ainsi, dans l’ensemble de ces études, l’agencement expansif présentait soit l’avantage numérique, soit l’avantage en terme de taux d’oubli, soit les deux.

Ainsi, l’apprentissage grâce à l’agencement expansif favoriserait une rétention optimale car plus durable dans le temps que les autres agencements. Ces résultats suggèrent également, dans le cadre de la théorie de la récupération en phase d’étude, que les récupérations successives (qui sont optimisées dans l’agencement expansif) en plus de permettre un enrichissement de la trace, amélioreraient sa résistance dans le temps. Les concepts de force et de résistance de la trace mnésique (e. g., Wickelgren, voir la section 3.3.2) pourraient être mises à contribution pour expliquer ces effets. Par exemple, l’agencement expansif pourrait à la fois favoriser la force et à la résistance des traces mnésiques, ou bien uniquement leur résistance. Des modèles mathématiques qui implémentent de telles notions pourront aider à comprendre le phénomène. En tout état de cause, davantage de données sont nécessaires, et en particulier sur ce qui se produit pendant la phase d’apprentissage.

De façon intéressante, si l’on adhère à la définition de la consolidation comme un processus rendant les traces résistantes à l’oubli (e.g., Litman & Davachi, 2008), alors l’agencement expansif semble être celui qui favorise le plus la consolidation. L’importance de générer des traces mnésiques dont la résistance dans le temps est importante, c’est-à-dire des souvenirs durables, est évidente dans le domaine éducatif, puisque le but de l’enseignement est d’inculquer des connaissances durables, et non permettre de passer un examen à un moment donné.

Enfin, ces observations sont également cohérentes avec les conceptions évolutionnistes développées par Anderson et Schooler (1991 ; section 3.3.5). Si le système cognitif est capable de détecter qu’un item se répète de façon initialement fréquente, puis de moins en moins fréquemment (i.e., selon un agencement expansif), il devrait être capable de prédire que l’on aura besoin de cet item dans le futur avec des intervalles de plus en plus longs ; il est donc nécessaire de maintenir un taux de rétention élevé pour cet item. À l’inverse, un item qui se répète avec des intervalles de plus en plus courts (i.e., selon un agencement contractant) va logiquement finir par devenir omniprésent dans l’environnement ; par conséquent, seule une rétention à court terme sera nécessaire. Entre les deux, l’agencement de type uniforme devrait logiquement induire un taux de rétention moyen.