6. 3. 2. Taux d’oubli et effet de pratique distribuée

Ces observations mettent en évidence plusieurs points. Premièrement, nos résultats révèlent l’importance d’inclure plusieurs modalités du facteur DR dans les expériences, et de ne pas tirer de conclusions définitives sur l’effet d’un facteur lorsqu’on a testé la rétention après un DR unique. Ces considérations valent pour les facteurs IIR et agencement, mais également pour d’autres comme par exemple la modalité des essais (Etude seule versus Test-étude ; e.g., Wheeler, Ewers, & Buonanno, 2003). En effet, les effets observés peuvent être différents, voire opposés, lorsqu’on fait varier la durée du DR. Cela explique peut-être pourquoi, dans la littérature, des effets parfois contradictoires ont été observés ; les DR choisis correspondaient peut-être à des DR pour lesquels il n’y avait pas de différences entre les conditions, tandis que d’autres DR auraient pu mettre en évidence des effets. Il serait par conséquent très intéressant de répliquer les Expériences 1 et 2 avec des DR différents. Selon notre interprétation que l’agencement expansif est associé à un taux d’oubli plus faible, alors l’écart entre les agencements devrait se creuser, tout comme dans l’Expérience 3. À l’inverse, il devrait se resserrer pour un DR plus court.

Deuxièmement, ces constatations nous amènent à suggérer que, dans les études sur l’effet de pratique distribuée, il serait avantageux d’adopter une nouvelle perspective. En effet, les auteurs s’intéressent classiquement à l’effet de l’IIR (c’est-à-dire quel est l’IIR optimal) en fonction du DR. A contrario, on pourrait plutôt comparer la rétention induite par chacun des IIR en fonction du DR. Ce changement de perspective serait associé à un remaniement des figures représentant les résultats. Concrètement, l’axe des abscisses représenterait le délai de rétention (et non plus les IIR) tandis que les différents IIR (et non plus les DR) seraient représentés par des courbes différentes. Cette nouvelle façon de considérer les données aurait l’avantage, selon nous, de rendre plus facile l’interprétation des courbes. Par exemple, dans l’ancienne perspective, on pouvait interpréter les courbes de la façon suivante : « Au fur et à mesure que le DR augmente, l’IIR optimal augmente également ». La même observation dans la nouvelle perspective deviendrait : « Avec l’augmentation du DR, on assiste à l’avènement progressif de la supériorité des longs IIR ». À titre d’exemple, nous avons transformé la représentation graphique des résultats de Glenberg (1976, représentés dans la Figure 2 dans la section 1.3.1) ; la nouvelle mise en forme est présentée dans la Figure 31.

Figure 31 : Reproduction des résultats de l’Expérience 1 de Glenberg (1976). Taux de rappel en fonction du délai de rétention (abscisses) et de la durée de l’IIR (couleur).

De la même façon sont représentés dans la Figure 32 les résultats de l’étude de Cepeda et al. (2008), figure qui peut être comparée avec la Figure 4 de la section 1.3.2. On notera que, dans ces deux figures, est retrouvée la forme classique de la courbe d’oubli.

Figure 32 :Reproduction des résultats de l’étude de Cepeda et al. (2008). Taux de rappel en fonction du délai de rétention (abscisses) et de la durée de l’IIR (couleur).

L’observation de ces courbes révèle que des IIR de longue durée sont souvent associés à la fois aux performances de rétention les plus élevées et également aux taux d’oubli les plus faibles. C’est le cas par exemple des conditions où l’IIR est de 20 items dans l’étude de Glenberg (1976), et de 21 jours dans l’étude de Cepeda et al. (2008). Il nous semble qu’il serait plus simple d’expliquer ces résultats en essayant de comprendre en quoi l’IIR influence la courbe d’oubli. La courbe d’oubli suit une forme connue (e.g., Wixted & Carpenter, 2007 ; Wixted & Ebbesen, 1991), dont deux paramètres peuvent varier : d’une part, l’ordonnée à l’origine, c’est-à-dire les performances réalisées immédiatement à la suite de l’apprentissage et, d’autre part, la pente, c’est-à-dire la vitesse de déclin des souvenirs. Nous pensons que la théorie de la récupération en phase d’étude pourrait être améliorée pour pouvoir rendre compte de ces phénomènes, notamment en considérant que la récupération pourrait avoir des effets différentiels à la fois sur la force d’un souvenir et sur son taux de déclin (i.e., sa résistance).