6. 4. Effet de l’agencement selon l’échelle de temps

Nos résultats, en particulier ceux de l’Expérience 3, sont en contradiction avec les résultats des études récentes étudiant l’effet de l’agencement temporel sur une courte échelle de temps (e.g., Karpicke & Roediger 2007 ; Logan & Balota, 2008). En effet, nos résultats suggèrent que l’avantage de l’agencement expansif des répétitions sur plusieurs jours est de plus en plus important au fur et à mesure que le DR s’allonge. Au contraire, les études réalisées sur le court terme (i.e., au sein d’une seule session expérimentale) ont montré que l’avantage de l’agencement expansif parfois observé suite à un DR court (i.e., quelques minutes) est remplacé par l’avantage de l’agencement uniforme lorsque le DR est considérablement allongé (i.e., 24 h ou plus). Ainsi, l’ensemble de ces études suggère que la durée du DR module de façon différente l’effet de l’agencement temporel sur les deux échelles de temps.

Cette observation remet en question l’idée que les études à court terme constituent des simulations « en miniature » des études à long terme. Cette idée semble pourtant admise parmi les auteurs des articles récents (e.g., Cepeda et al., 2006). En effet, il n’est pas développéexplicitement dans la littérature l’idée que ce qui se produit lorsque les répétitions ont lieu lors de sessions différentes (et en particulier avec des IIR de 24h ou plus) puisse refléter des phénomènes différents de ceux en jeu lorsque les répétitions et le test ont lieu au sein d’une même session. Par exemple, selon Cepeda et al. (2008), il existerait une loi générale relative aux effets joints entre l’IIR et le DR, loi valable sur toutes les échelles de temps et reflétée par l’équation décrite dans l’article.

Pourtant, nos résultats constituent des arguments expérimentaux allant à l’encontre de cette idée. Il faut toutefois admettre que nos expériences ne constituent pas une réplication exacte à long terme des études sur l’effet de l’agencement à court terme. Par exemple, dans ces expériences (e.g., Karpicke & Roediger, 2007 ; Logan & Balota, 2008), les IIR étaient de quelques items et les DR étaient de 24 ou 48h. Si on voulait respecter ce ratio à long terme dans nos expériences où les IIR sont de plusieurs jours, il faudrait tester la rétention après des DR de plusieurs années. À ce propos, Weigold (2008) a réalisé une étude pour comparer un protocole à long terme avec son équivalent, toutes proportions conservées, à court terme. Bien que ses objectifs étaient plus spécifiquement de comparer les effets du type d’essai (Test-étude vs Etude seule) en fonction de l’échelle de temps, il n’a pas observé les mêmes effets à court et à long terme. Il serait donc intéressant d’essayer, comme Weigold, de répliquer « en miniature » nos expériences, en respectant exactement les ratios entre les IIR et les DR.

Plusieurs facteurs pourraient expliquer pourquoi les résultats sont différents dans les deux échelles de temps. Premièrement, en ce qui concerne les phénomènes d’oubli (qui sont notamment en jeu dans les processus de récupération en phase d’étude), on peut penser que ceux-ci sont dépendants de la durée des IIR en valeur absolue et non en valeur relative. En effet, l’oubli n’est pas censé dépendre de ce qui va venir après ; ce n’est pas parce que la prochaine occurrence d’un item aura lieu dans 10 jours que l’on va oublier plus ou moins vite, et ce, d’autant plus quand on ne sait pas quand aura lieu la prochaine occurrence. Ainsi, les processus de récupération en phase d’étude, puisqu’ils sont étroitement liés à l’oubli, seront nécessairement différents suite à un IIR de quelques minutes que suite à un IIR de plusieurs jours. Un deuxième facteur qui différencie les deux types d’étude est le fait que, dans les expériences à long terme, il y a une réelle interruption de la situation expérimentale entre les sessions, contrairement aux études à court terme. Cela joue probablement un rôle dans les effets obtenus. Un troisième facteur est la présence d’épisodes de sommeil entre les répétitions et pendant le DR ; comme nous l’avons vu dans le chapitre 3, le sommeil a un effet de consolidation des traces mnésiques et en particulier, selon les recherches récentes un rôle de renforcement des traces contre les interférences (e.g., Ellenbogen et al., 2009). Enfin, les stratégies mises en œuvre par le sujet seront peut-être différentes si celui-ci sait que le test aura lieu plusieurs jours après ou quelques minutes après. Tous ces éléments font que, probablement, les effets de pratique distribuée dans deux échelles de temps ne diffèrent pas uniquement par l’unité de mesure du temps.

Enfin, ces questions sont importantes dans la mesure où elles indiquent qu’il faut être prudent quand il s’agit de faire des recommandations pratiques sur les stratégies d’espacement à long terme alors qu’on se base sur les résultats d’études à court terme.