1. Introduction

L’histoire des recherches à Persépolis et dans la plaine environnante est riche de plusieurs centaines d’années de contributions diverses dont l’exposé dans le détail pourrait faire l’objet d’une ou plusieurs thèses. Tout travail de recherche entrepris dans cette région est intimidant car il s’inscrit dans une longue tradition savante aux multiples ramifications. Alors que très tôt la Mésopotamie était désignée comme le cœur même des civilisations les plus brillantes du Proche Orient ancien, les hauts plateaux iraniens sont longtemps restés largement méconnus. Pourtant un site ne cessait de fasciner les voyageurs et les savants : Persépolis. Ses ruines majestueuses, intégrées à un paysage montagnard rude et austère, offraient un panorama et une architecture en pierre très éloignés des vestiges des grandes cités mésopotamiennes. Le site, de même que la nécropole royale de Naqsh-e Rustam, est ainsi devenu un passage obligé pour tous les voyageurs et savants occidentaux séjournant en Perse1. Aujourd’hui encore, un voyage en Iran ne saurait se concevoir sans venir admirer et capter l’atmosphère si particulière de Persépolis. Les différents récits des voyageurs anciens décrivent généralement le site comme une ruine isolée et énigmatique, un symbole de la puissance mais aussi de la décadence de l’Empire achéménide. La question de la fonction du site est au centre de débats qui portent sur l’interprétation des vestiges de la terrasse royale et ne concernent souvent que de très loin l’archéologie. La terrasse attire donc toute l’attention et cesse de s’appeler Tchehel Minar ou Takht-e Jamshid, sa toponymie vernaculaire, pour devenir Persépolis2 : un palais situé au pied du massif du Kuh-e Rahmat, au milieu d’une vaste plaine, certes fertile, mais désespérément vide de tout autre vestige aussi majestueux.

Pourtant, E. Flandin, au cours d’une description enthousiaste de Persépolis, fait part de son sentiment sur cette réduction du site aux seuls vestiges monumentaux : « Nous étions là en présence des antiquités les plus remarquables non-seulement du district de Merdâcht mais encore de toute la Perse. Persépolis, c'est la ville par excellence, la Ville Royale. Ce nom, qui devait, dans l'esprit des auteurs anciens, s'appliquer à la capitale dans toute son étendue, s'est restreint peu à peu, et ne désigne plus aujourd'hui conventionnellement que le groupe des monuments qui représentent l'immense palais des rois de Perse. On ne peut disconvenir que cette restriction irrationnelle laisse un peu de confusion dans l'esprit au sujet de ces ruines, et qu'en adoptant la désignation de Persépolis pour les palais seuls, on s'expose à faire croire qu'il n'y avait là autrefois qu'une résidence royale. » 3 . A plus de 150 ans d’écart, nous souscrivons pleinement à cette remarque qui reste encore largement valide aujourd’hui, même si cette « restriction irrationnelle » peut s’expliquer par l’absence d’autres vestiges visibles et les lacunes de la documentation archéologique en dehors des publications précises des fouilles de la terrasse. Dans notre étude nous ferons bien la distinction entre la terrasse de Persépolis, intégrée dans un ensemble de constructions monumentales définissant les contours d’un quartier royal, et Persépolis, la ville qu’une partie de nos recherches a tenté de mieux caractériser.

Les premières décennies du XXe siècle voient la naissance de la recherche archéologique dans la région. Les observations puis les fouilles à visée scientifique entreprises par E. Herzfeld4 et poursuivies par E.F. Schmidt5 se concentrent pour l’essentiel sur la terrasse et à Naqsh-e Rustam, mais elles ont parfois débordé aux alentours immédiats de la plateforme royale ainsi que sur le site d’Istakhr, haut-lieu dynastique des souverains sassanides, plus de cinq siècles après les Achéménides . Si ces travaux permettent d’obtenir des données précises sur les différentes constructions royales, la découverte la plus remarquable reste celle de plusieurs milliers de tablettes administratives, d’abord dans le bâtiment dit de la Trésorerie, et surtout au cours des fouilles des Fortifications au nord-est de la terrasse. A travers ces archives, et malgré les problèmes que pose leur traduction, c’est toute une partie de l’activité de la ville qui apparaît grâce à des sources provenant directement des Achéménides. Plus encore, c’est l’ensemble du territoire qui est largement exploité pour pourvoir en productions diverses les magasins royaux6. Ces textes fournissent donc les preuves irréfutables que Persépolis ne peut être réduit à un haut-lieu dynastique voulu par Darius. Confronté à ces données nouvelles, l’archéologie est bien en peine de retranscrire cette réalité sur le terrain. Malgré les nombreuses recherches7 archéologiques entreprises, Persépolis reste donc un site à part dont on ne connaît finalement que les bâtiments de prestige.

L’archéologie de la plaine connaît un développement plus tardif que celui qu’ont créé les fouilles de Persépolis. Entre les années 1930 et 1950, les données archéologiques dont nous disposons sur celle-ci sont très éparses. Les sondages publiés dès 19328 sur les sites de Tol-e Bakun, situés non loin de la terrasse, font apparaître des vestiges d’occupation, associés à un matériel céramique particulièrement riche en décors, qui sera par la suite daté du Chalcolithique. Des prospections aériennes effectuées par E.F. Schmidt ont permis de révéler une plaine riche en sites archéologiques9. Il faut attendre les années 1950 et les travaux pionniers de L. Vanden Berghe10 pour voir apparaître une première chronologie de l’occupation de la région. Celui-ci mène des prospections sur l’ensemble des grands tepes de la plaine, ouvrant des sondages sur plusieurs d’entre eux, mais il publie peu ses résultats. Il est alors prouvé que la plaine de Persépolis a connu une occupation importante depuis le Néolithique. W. Sumner reprend le flambeau au milieu des années 1960 et effectue des prospections systématiques et diachroniques de l’ensemble des tepes qu’il peut repérer11. Ses contributions à la connaissance de l’occupation ancienne de la plaine sont multiples : la plus importante reste la mise en œuvre de fouilles à Tol-e Malyan, identifié peu avant par J. Hansman à l’antique Anshan12, la capitale élamite des hauts plateaux. La plaine de Persépolis, avant que les souverains achéménides n’y construisent leurs palais et leurs tombes, a donc déjà vu se succéder plusieurs civilisations. Elle a été choisie successivement par les Elamites, les Achéménides et les Sassanides pour abriter des centres de pouvoir, ce qui démontre l’importance toute particulière de cette vaste plaine fertile nichée au cœur des montagnes arides du Zagros.

Les prospections de W. Sumner le conduisent à de multiples études sur les dynamiques d’occupation de la plaine depuis le VIIe millénaire av. J.-C. jusqu’aux périodes islamiques. En 1986, W. Sumner publie une synthèse fondatrice sur l’occupation achéménide de la plaine de Persépolis, avec une brillante tentative pour tenter d’identifier sur le terrain les connaissances acquises grâce à l’étude des archives13. Même si W. Sumner souligne de nombreuses lacunes, Persépolis n’apparaît plus dès lors comme un site énigmatique, mais peut être considéré comme une véritable ville, profitant d’un terroir riche et largement exploité. Cette étude et les questions qu’elle pose servent de bases à nos propres recherches dans la plaine de Persépolis.

Malgré ces différentes recherches, il demeure toutefois des lacunes importantes dans notre connaissance de l’évolution de l’occupation de la plaine de Persépolis. Ainsi, dans l’ensemble du Fars, l’Age du Fer reste insaisissable14 et aucune occupation n’a pu être attestée pour la première moitié du Ier millénaire av. J.-C.15. L’étude des textes est également bien en peine de mieux définir la situation de la Perse avant l’avènement de l’empire achéménide16. W. Sumner a défini une catégorie de céramique, qui correspond à la phase d’occupation la plus récente prise en compte au cours de ses prospections, sur la base de comparaisons avec le matériel publié à Persépolis et avec des tessons récoltés autour de la terrasse. Cette céramique, qui a dû être utilisée à l’époque achéménide, reste toutefois mal datée et il préfère donc l’appeler Late Plain Ware (LPW)17 (Pl. 13 et 14). Elle marque la fin d’une tradition de céramiques peintes caractéristique de la plupart des cultures antérieures. S’il est désormais prouvé que cette céramique a continué à être utilisée au cours de la période séleucide, peu d’éléments permettent d’attester son utilisation au cours de la première moitié du Ier millénaire18.

Un des objectifs de nos recherches était de tenter de restituer les dynamiques d’occupation sur l’ensemble du Ier millénaire et donc de retrouver les traces d’occupation pré-achéménide. Nous devons ici avouer notre frustration de ne pas en avoir retrouvé le moindre indice au cours de nos prospections malgré une démarche d’étude résolument diachronique19. Le seul marqueur d’une occupation de la plaine de Persépolis au cours de l’ensemble du Ier millénaire reste donc la céramique LPW, auxquels il faut rajouter les éléments d’architectures en pierre achéménides et séleucides. Notre recherche concerne donc l’occupation de la plaine dans la seconde moitié du Ier millénaire, centrée sur la période achéménide.

La délimitation de notre région d’étude reprend celle définie par W. Sumner. La plaine de Persépolis s’étend de la vallée du Tang-e Dorudzan au nord-ouest jusqu’aux limites du lac de Bakhtegan au sud-est (Pl. 2)20. Les limites nord-est et sud-ouest correspondent à des massifs montagneux s’élevant à plus de 2000 m. L’espace ainsi défini est vaste ; la plaine mesure environ 100 km de long pour, en moyenne, 30 km de large. L’utilisation du terme plaine peut prêter à confusion, car si la région correspond bien à un large bassin sédimentaire s’étendant sur plusieurs centaines de milliers d’hectares, la présence de nombreux reliefs est un autre élément dominant du paysage. Le contraste est saisissant entre une plaine verdoyante, intensément cultivée, et des reliefs au paysage minéral recouverts d’une végétation éparse. La prise en compte des données environnementales fait également apparaître d’importantes variations. Il existe par exemple un important gradient climatique entre le nord, plus arrosé, et le sud de la plaine, plus aride. Malgré un climat rude, semi-aride, les deux rivières pérennes, le Kur et le Pulvar, ainsi que de nombreuses sources permettent toutefois la mise en œuvre d’une agriculture irriguée. Le paysage de la plaine est également marqué par la présence de très vastes zones marécageuses (Pl. 8). Ici il faudrait plutôt employer le passé, car elles sont aujourd’hui en grande partie drainées et cultivées. L’intensification de l’agriculture et la croissance démographique et économique de la région, au cours de ces quarante dernières années, ont en effet profondément bouleversé le paysage dans lequel il va se révéler difficile de retrouver les traces des occupations passées. La géographie de la plaine de Persépolis est donc marquée par des conditions généralement favorables à l’agriculture et surtout par une grande variété de ses paysages offrant de nombreuses ressources, très largement exploitées par le passé et encore plus intensivement par ses occupants actuels.

Notre recherche se base sur une étude de l’occupation à travers l’ensemble de la documentation archéologique disponible. Comme le fait W. Sumner, il ne s’agit donc pas uniquement de s’intéresser aux sites potentiellement habités21 mais également aux indices d’exploitation et de mise en valeur du territoire de manière à proposer une reconstitution d’ensemble du paysage historique de la seconde moitié du Ier millénaire. Nous avons donc cherché à prendre en considération des vestiges archéologiques de natures très différentes. L’existence d’implantations peut se signaler par divers indices : les tepes, les vestiges d’architecture en pierre ou encore des concentrations de céramiques en surface. Ils permettent de déterminer l’existence d’une occupation longue, a priori sédentaire, ayant nécessité la construction de bâtiments en pierre ou en brique crue, qui peuvent certes correspondre à de l’habitat mais aussi assurer toutes sortes de fonctions commerciales, administratives, artisanales ou encore symboliques et religieuses. Il peut s’agir de bâtiments isolés ou de plus vastes zones bâties : des villages ou des petites villes. L’ensemble de ces sites définit un réseau sur lequel se base la mise en valeur de ce territoire fertile et sa gestion par l’administration de Persépolis.

Cet investissement peut également être étudié à travers les vestiges des canaux ou d’ouvrages hydrauliques permettant la nécessaire irrigation des terrains, leur drainage mais aussi leur protection contre les crues des rivières. Le thème de l’hydraulique ne sera abordé que sur certains secteurs spécifiques. Son étude à l’échelle de la plaine est menée par T. De Schacht dans le cadre de son doctorat (Pl. 45). Nos deux recherches sont donc étroitement liées et permettent d’envisager une restitution d’ensemble du paysage de la plaine au Ier millénaire. Les diverses implantations devaient également être reliées par des routes et des chemins qui, on le verra, ont laissé peu de traces. L’exploitation des ressources naturelles se traduit également par l’existence de nombreux vestiges de carrières, sur les pentes des différents massifs. Enfin, parmi ces indices, il est nécessaire d’évoquer les aménagements funéraires. Il en existe de nombreux exemples, de nature très variée et rarement datés, répartis sur l’ensemble de la plaine.

Le choix des méthodes utilisées répond avant tout à l’étendue des superficies couvertes par notre étude amenant à adopter une approche spatiale de l’occupation22. La mise en œuvre de fouilles archéologiques permet d’obtenir des informations précises sur la chronologie ou la nature des occupations à l’échelle du site, or ce sont les formes de l’occupation sur l’ensemble de la plaine de Persépolis que nous souhaitons caractériser. Nous avons de ce fait privilégié les études de surface en associant plusieurs méthodes de prospection complémentaires permettant d’aborder l’ensemble des problématiques définies. Nos recherches associent donc des données issues de prospections à vue, de prospections géophysiques, de relevés topographiques ainsi que des analyses des images aériennes et satellites. Le travail de cartographie a été également un élément important de nos travaux. La présentation des données spatialisées nécessite en effet de pouvoir disposer d’un fond cartographique pour l’ensemble de la plaine. L’étude de cartes anciennes, datant d’avant les grands remembrements agricoles survenus récemment, a également permis d’obtenir des informations sur les formes d’un paysage aujourd’hui disparu. Enfin, en liaison étroite avec le thème de l’hydraulique, des études géomorphologiques ont été entreprises sur les dynamiques environnementales, plus particulièrement fluviales, passées. Ces travaux, menés par la mission irano-française Shiraz23, se sont déroulés entre les années 2005 et 2008 et se sont répartis sur cinq missions de terrain représentant en tout plus de 120 jours de travail. Ils ont demandé l’intervention de plusieurs archéologues et spécialistes : géophysiciens24, topographe25, aérophotographe26, géomorphologue27, spécialiste du travail de la pierre28.

Deux zones d’étude ont été définies : la zone d’occupation de Persépolis et la plaine de Persépolis. Elles ont été déterminées à partir de l’analyse de la carte de W. Sumner publiée par R. Boucharlat29.

La zone d’occupation de Persépolis 30 , telle que nous l’avons définie, mesure environ 20 km² (Pl. 15). Elle est délimitée au sud par la terrasse de Persépolis et, à 6 km au nord, par la nécropole royale de Naqsh-e Rustam (Pl. 39). La distance entre ces deux sites suggère l’échelle à laquelle Darius a souhaité concevoir la construction de sa nouvelle résidence. Entre les deux, le site de Dasht-e Gohar rassemble les vestiges de deux constructions datant probablement du début du règne de Darius. Vers l’ouest, jusqu’au village de Firuzi, elle intègre un ensemble de sites disséminés sur plusieurs centaines d’hectares (Pl. 27) : groupes de tepes ou vestiges architecturaux en pierre, qui pourraient, d’après W. Sumner, correspondre aux vestiges de la ville de Matezzish, l’agglomération populaire où devait se dérouler une partie de l’activité économique et administrative de la capitale. Elle constituait également un réservoir de main d’œuvre pour les différents travaux gérés par l’administration de Persépolis. L’espace ainsi défini intègre également des carrières sur les piedmonts du Kuh-e Hussein, à l’est de Naqsh-e Rustam. Cette zone se distingue du reste de la plaine non seulement par la présence de nombreux édifices monumentaux mais aussi par une plus forte densité d’indices d’occupation, témoignant de l’importance des activités qui y régnaient. Persépolis pourrait donc rassembler des indices d’occupation variés et s’étendre bien au-delà des seules constructions royales décidées par Darius.

Nos travaux au pied de la terrasse ont été limités à quelques tests de prospections géophysiques (Pl. 16), car notre réflexion se base ici essentiellement sur une relecture de l’ensemble des données archéologiques disponibles sur les différents édifices aux alentours immédiats31. Cette analyse permet de définir les contours de ce que nous avons appelé le quartier royal. Nous avons procédé à des prospections extensives dans la plaine au nord-ouest de la terrasse32, autour du village actuel de Firuzi33, à Dasht-e Gohar ainsi que sur les piedmonts du Kuh-e Rahmat34, entre le site d’Istakhr et la terrasse de Persépolis, et du Kuh-e Hussein35, à l’est de Naqsh-e Rustam (Pl. 15). Les données obtenues permettent de proposer un schéma d’aménagement de Persépolis basé sur l’existence de plusieurs blocs d’occupation distincts, mais probablement interdépendants (Pl. 41). Ces blocs se distinguent entre eux par la nature de l’occupation. Les blocs d’occupation royale et/ou aristocratique rassemblent des constructions luxueuses, utilisant très largement des éléments d’architecture en pierre, à l’usage du roi ou de l’élite. Les blocs d’occupation commune correspondent à des secteurs probablement plus densément construits, se signalant par la présence de tepes et de concentrations de céramiques. Ces secteur auraient pu abriter une grande partie, voire l’ensemble, des activités quotidiennes de la ville. Ce que soulignent également nos résultats, en particulier au nord-ouest de la terrasse, c’est l’existence probable de vastes zones non bâties qui ont pu accueillir des parcs, des jardins ou des champs, voire des structures légères qui n’auraient laissé que peu de traces. Un canal longeant le Kuh-e Rahmat pouvait approvisionner en eau l’ensemble des terrains situés à l’ouest de la terrasse. Enfin, l’exploitation des affleurements de calcaire sur l’ensemble des deux piedmonts prospectés fournissait de la pierre aux différents chantiers de construction.

La plaine de Persépolis correspond à notre seconde zone d’étude : il s’agit de l’ensemble du territoire s’étendant au-delà de la zone d’occupation de Persépolis. Il est certain que l’on ne peut pas considérer les deux séparément et qu’il ne devait pas exister, dans la seconde moitié du Ier millénaire, de limites aussi nettes que celles que nous avons fixées entre nos deux zones d’étude. De plus, l’occupation de la plaine ne peut pas être prise en compte indépendamment de celle de la zone d’occupation de Persépolis, l’étude des tablettes ayant montré que l’exploitation du territoire était étroitement contrôlée depuis la capitale. La distinction entre les deux zones se base sur l’existence d’un tout autre schéma d’occupation dans la plaine. Comme le fait remarquer R. Boucharlat36, elle apparaît beaucoup moins densément occupée. Les agglomérations les plus proches, appelées « town » d’après la typologie mise en place par W. Sumner et que nous traduirons par la suite par petite ville, se situent entre 15 et 20 km de distance de Persépolis (Pl. 42 et 43). De ces petites villes, des centres administratifs locaux gérés en partie depuis Persépolis, dépendent des groupes de plus petits sites, situés à proximité et probablement engagés dans des activités agricoles.

Pour la plaine, les prospections37 des sites publiés par W. Sumner nous ont tout d’abord permis de constater que des dizaines de sites ont été détruits depuis 40 ans (Pl. 44), beaucoup d’autres sont réduits à quelques traces. Les résultats des prospections s’en trouvent gravement affectés, réduisant les conclusions que l’on pouvait espérer. Tout d’abord, notre intervention sur le terrain a permis, avec l’aide nos collègues iraniens, d’alerter les autorités compétentes qui, en plusieurs occasions, sont intervenues pour reporter certaines opérations, en autorisant des fouilles d’urgence, ou pour limiter les destructions. Ensuite, il a fallu tirer le maximum d’informations de cette situation. Une réévaluation des données issues des prospections antérieures et nos propres observations sur le terrain nous ont donné l’occasion de reconsidérer la carte de l’occupation de la plaine. Sur certains des sites encore préservés, les artefacts achéménides sont totalement absents et leur occupation à cette période peut être remise en cause (Pl. 50). Nous n’avons également effectué des prospections géophysiques que sur deux sites préservés. Les résultats de ces deux prospections n’ont pas permis de caractériser précisément leur fonction et leur organisation, ceci étant certainement lié à l’érosion ou à l’arasement des vestiges. Sur l’un deux nous avons toute même pu estimer l’étendue d’une surface d’occupation achéménide. Dans un second temps, des prospections sur quatre piedmonts de la plaine ont été entreprises de manière à obtenir une vision diachronique des dynamiques d’occupation, en enregistrant systématiquement les différents indices archéologiques rencontrés38 (Pl. 46 à 49). Les piedmonts prospectés sont situés aussi bien à proximité des petites villes que dans des zones où aucun site n’a été reconnu. Cette stratégie permettait de valider ou non les hypothèses de regroupement de sites autour des centres administratifs supposés ou de prouver l’existence d’occupations dans les zones apparemment vides. En tout, deux sites achéménides seulement ont été retrouvés au cours de ces prospections des piedmonts et il faut supposer que l’essentiel des implantations se trouvait au milieu des terres fertiles de la plaine sédimentaire. Les prospections dans la plaine de Persépolis nous ont également permis d’observer que les sites achéménides sont majoritairement de taille modeste et isolés, correspondant probablement à de petites installations rurales. Ces sites, dans le paysage actuel, sont très difficiles à retrouver et, pour la plupart, ont certainement disparu. Cependant, dans le futur, des prospections plus systématiques, orientées vers la découverte de ces petites installations, pourraient compléter notre connaissance de l’occupation achéménide de la plaine de Persépolis.

En couplant les observations antérieures, en particulier celle de W. Sumner, et nos propres données, nous pensons avoir pu reconstituer une image, certes très partielle de la plaine de Persépolis à l’époque achéménide. La vaste zone d’occupation de Persépolis, de la terrasse à Naqsh-e Rustam, correspond pour nous au site de la résidence royale et la capitale de la satrapie de Perse. L’image que nous en proposons ne correspond guère à l’organisation traditionnelle des grandes villes du Proche Orient ancien. Mais c’est ainsi que, selon nous, Darius et ses successeurs ont voulu Persépolis. Quant à la plaine, les reconnaissances d’ensemble et les prospections systématiques de zones sélectionnées apportent de nouvelles pistes de réflexion sur l’organisation du territoire qui soutenait les activités à Persépolis et nourrissait une population permanente, ainsi que les milliers de personnes accompagnant le roi lors de ses séjours.

Enfin, notre expérience acquise sur le terrain nous autorise à faire un certain nombre de recommandations et de propositions pour de futures recherches39 dans un rayon de quelques kilomètres autour de la terrasse royale, comme dans la vaste plaine de Persépolis, dans laquelle les activités modernes continuent de menacer le Patrimoine.

Notes
1.

Sancisi-Weerdenburg 1991a

2.

Allen 2007

3.

Flandin 1851 (t.2) p.145

4.

Herzfeld 1929, Anonyme 1934 ; Herzfeld 1941 : 221-274

5.

Schmidt 1939, 1953, 1957, 1970

6.

Briant 1996 : 437-462 ; Kuhrt 2007 : 467 ; Henkelman 2008 : 120-121

7.

Mousavi 2002 sur un historique des fouilles à Persépolis

8.

Langsdorff & Mc Cown 1932

9.

Schmidt 1939

10.

Vanden Berghe 1952, 1954, 1959 : 41-45

11.

Sumner 1972

12.

Hansman 1972

13.

Sumner 1986a

14.

ibid. : 4 ; Levine 1987 : 236 ; Miroschedji 1990 : 52-55 ; Cuyler Young 2003 : 24 ; Boucharlat 2005a : 226-228

15.

Cf. § 4 sur les problèmes de chronologie

16.

Briant 1984, 1996 : 23-38, Miroschedji 1985

17.

Sumner 1972 : 50-51

18.

Voir toutefois les hypothèses de Sumner 1994a ou CuylerYoung 2003 concernant une utilisation de cette céramique aux époques antérieures, cf. § 4.2

19.

Sumner 1986a : 7 arrive à la même conclusion ; on verra néanmoins l’hypothèse de Alizadeh 2003 sur l’existence d’un ensemble de céramique Age du Fer III qu’il aurait retrouvé au cours de ses prospections.

20.

Cf. § 2 pour une description de l’environnement de la plaine de Persépolis

21.

Pour Sumner 1986a il s’agit des « settlements », que nous proposons de traduire par implantation.

22.

Cf. § 3 pour un exposé sur la méthodologie mise en place.

23.

Sous la direction conjointe de R. Boucharlat (chercheur C.N.R.S./U.M.R. 5133 Archéorient) et successivement de M. Feyzkhah (Miras-e Farangi Tabriz) et K. Mohammadkhani (Parsa Pasargadae Research Foundation, doctorant à l’U.M.R. 5133 Archéorient)

24.

C. Benech (chercheur C.N.R.S/U.M.R. 5133 Archéorient) ; C. Camerlynck (maitre de conférence à l’Université Pierre et Marie Curie de Paris/U.M.R. 7619 Sisyphe) ; A. Demaied (doctorant à l’U.M.R. 7619 Sisyphe) ; K. Mohammadkhani (doctorant à l’U.M.R. 5133 Archéorient), F. Rejiba (maitre de conférence à l’Université Pierre et Marie Curie de Paris/U.M.R. 7619 Sisyphe)

25.

P. Lebouteiller (topographe à l’Institut Français d’Etudes Anatoliennes d’Istanbul)

26.

B.N. Chagny (aérophotographe indépendant)

27.

J.B. Rigot (maître de conférence à l’Université François Rabelais de Tour/ U.M.R. 6173 CITERES)

28.

J.C. Bessac (ingénieur de recherche C.N.R.S./U.M.R. 5140 Archéologie des Sociétés Méditerranéennes)

29.

Boucharlat 2003

30.

ibid.: 264 nomme cette zone « royal area », nous préférons utilisé celui de zone d’occupation de Persépolis du fait de la diversité de la nature des vestiges, royaux et non-royaux

31.

Cf. § 5.2

32.

Cf. § 5.3

33.

Cf. § 5.4

34.

Cf. § 5.5

35.

Cf. § 5.6

36.

ibid. : 265 définit également une troisième zone, les massifs montagneux ou encore le nord-est et le sud-ouest de la plaine, où l’absence de site démontrerait une occupation essentiellement tournée vers le pastoralisme ou l’extraction de matière première.

37.

Cf. § 6.2

38.

Cf. § 6.3

39.

Cf. § 7.2