2.2.2.1. Précipitations

Calculée sur plus de 80 ans d’enregistrement, la valeur moyenne annuelle de précipitation à Shiraz est de 340 mm, ce qui constitue une référence moyenne de la pluviosité dans le Fars central. Cette valeur place la région en domaine semi-aride, en limite de la zone où il est théoriquement possible de pratiquer une agriculture sèche54. Cependant, cette valeur est à considérer à titre indicatif dans le cadre des recherches dans la plaine de Persépolis car elle provient d’une station située hors de notre zone d’étude. La ville de Shiraz (Pl. 3) est certes située à proximité de la plaine de Persépolis, dans un bassin endoréique55 présentant un contexte environnemental comparable, mais son altitude (1490 m) est moins élevée que celle de Persépolis et elle est située une trentaine de kilomètres plus au sud. Elle est de plus localisée au pied d’un massif, situé au nord-ouest, culminant aux alentours de 3000 m et qui peut avoir des influences sur les circulations d’air et de fronts pluvieux qui se font essentiellement d’ouest en est56. Dans un contexte physique marqué par d’importantes variations du relief, une différence, même minime, de localisation peut être marquée par des variations climatiques non-négligeables. Dans les publications anciennes sur la plaine de Persépolis, les données fournies par la station de Shiraz sont cependant très souvent utilisées car il s’agissait des seules mesures disponibles dans la région. La valeur de précipitation moyenne annuelle calculée à Shiraz ne sera ici considérée que comme une valeur de référence, très fiable cependant : elle est en effet évaluée sur une longue période d’enregistrement et présente l’intérêt de pouvoir étudier en relatif l’existence de variations climatiques sur une échelle de temps étendue. Les nouvelles données disponibles, depuis les années 1960 jusqu’à aujourd’hui pour des stations réparties dans le bassin inférieur du Kur, permettent d’étudier de manière plus précise les variations des différentes données climatiques.

Dans la plaine de Persépolis, la pluviométrie est principalement marquée par une diminution des précipitations en direction du sud-est. M. Rosenberg, au cours d’une étude de l’environnement de la plaine, a dessiné une carte régionale de pluviométrie57 qui montre cette nette tendance à la diminution des précipitations vers le sud-est. La valeur moyenne annuelle de pluviométrie calculée à la station d’Ahmadabad/Dorudzan à partir des valeurs enregistrées entre les années 1961 et 200058 est de 448 mm. Au sud-est du lac Bakhtegan, à la station de Neyriz située à 200 km de Dorudzan, cette valeur est de 199 mm pour un intervalle de temps comparable compris entre 1964 et 2001. Enfin, à Marvdasht, soit à peu près au quart de la distance entre Dorudzan et Neyriz, cet indice est de 330 mm calculé sur 28 ans entre 1965 et 1984. La limite des 300 mm de pluies revêt une importance particulière dans les études concernant les climats iraniens car elle définit des domaines bioclimatiques différents, en dessous de 300 mm il s’agit de domaines arides où l’agriculture sèche est difficile59. Il existe plusieurs cartes synoptiques de répartition des pluviométries annuelles, mais elles sont toutes à l’échelle de l’Iran et ne permettent pas de définir précisément cette « limite » des 300 mm60. Les cartes qui définissent les zones présentant un bilan hydrologique annuel positif61 intègrent généralement le nord de la plaine dans les zones à bilan positif, le sud et la région de Shiraz affichant un bilan négatif62. La plaine de Persépolis peut donc se diviser en deux zones distinctes du point de vue des régimes de précipitation, une zone au sud-est de Marvdasht plus sèche et au nord une région plus arrosée. Toutefois, la prise en compte de la seule valeur de précipitation moyenne annuelle masque de fortes disparités de précipitation intra et interannuelles.

Figure 2‑1 : Diagrammes ombrothermiques obtenus à partir des données enregistrées aux stations de Dorudzan et Neyriz
Figure 2‑1 : Diagrammes ombrothermiques obtenus à partir des données enregistrées aux stations de Dorudzan et Neyriz

En moyenne, les précipitations sont en effet très irrégulièrement espacées suivant les saisons. A Dorudzan, sur une année, les précipitations se répartissent de la manière suivante : 61% en hiver, 10% au printemps, 0,5% en été, 28,5% en automne. A Neyriz, les statistiques sont comparables : 66% en hiver, 9% au printemps, 1% en été, 24% en automne. Que ce soit au sud ou au nord de la plaine, le régime pluviométrique se caractérise par un déséquilibre, les précipitations se concentrant à 90% sur les saisons d’automne et d’hiver. Pour les deux stations, les diagrammes ombrothermiques (Fig. 2-1) font de plus apparaître que les précipitations sont essentiellement concentrées sur les quatre mois suivants : décembre, janvier, février et mars. Janvier correspond, dans les deux régions, au mois le plus humide. Cet important déséquilibre est caractéristique des climats semi-aride de type méditerranéen. Cette répartition peut avoir des conséquences sur l’agriculture où, pour la plupart des espèces cultivées, la croissance se fait durant le printemps et les récoltes au cours de l’été, les deux saisons étant ici marquées par la sécheresse. Elle permet cependant la culture sèche du blé d’hiver qui a besoin de beaucoup d’eau après avoir été semé.

Figure 2‑2 : Comparaison des courbes de précipitations annuelles enregistrées à la station de Dorudzan et de Neyriz, valeurs calculées en année grégorienne (en bas) et en année hydrologique (en haut)
Figure 2‑2 : Comparaison des courbes de précipitations annuelles enregistrées à la station de Dorudzan et de Neyriz, valeurs calculées en année grégorienne (en bas) et en année hydrologique (en haut)

L’importante variabilité interannuelle constitue une autre des caractéristiques de la pluviosité dans la plaine de Persépolis. Les stations de Neyriz et Dorudzan fournissent chacune, depuis plusieurs dizaines d’années, des statistiques climatiques qui permettent d’étudier et de comparer l’évolution du régime des précipitations sur 37 ans, soit entre 1964 et 2001. Les courbes de précipitations annuelles enregistrées sur les deux stations ont été tracées sur deux mêmes graphiques (Fig. 2-2) sur lesquels est reportée la valeur de précipitation annuelle en fonction des années calendaires pour l’un des graphiques et pour l’autre en fonction des années hydrologiques63. L’étude de ces courbes permet tout d’abord de conclure à une forte variabilité interannuelle. Cette variabilité est cependant différente suivant les stations, elle paraît beaucoup plus prononcée à Dorudzan qu’à Neyriz. Le calcul de l’écart-type pour les deux stations permet de chiffrer concrètement cette différence de variabilité, il est de 87 mm pour la station de Neyriz et de 191 mm pour Dorudzan, soit un écart-type entre deux valeurs de précipitation annuelle deux fois plus grand. Les hauteurs de précipitations annuelles sont donc plus stables au sud de la plaine qu’au nord. Cette variabilité très élevée à Dorudzan s’illustre par exemple par les valeurs obtenues sur deux années consécutives : en 1976/1977 la hauteur des précipitations s’élève à 352mm ; en 1977/1978, elle atteint 950 mm. L’année 1976/1977 est donc plutôt sèche, les précipitations se situant 100 mm en-dessous de la moyenne, alors que l’année 1977/1978 est une année record. Entre les deux années, la différence de hauteur est donc de 600 mm. La courbe montre également des années particulièrement sèches, dont au moins six en 40 ans en-dessous du seuil théorique des 300 mm à partir duquel une agriculture sèche est possible. Donc, si l’on ne prend en compte que la moyenne à 40 ans, l’agriculture sèche paraît tout à fait envisageable dans la région de Persépolis, or les courbes de variations des précipitations montrent que cette pratique peut être mise en péril par des successions d’années sèches. La mise en place d’un réseau d’irrigation peut donc s’expliquer en partie à partir des données de précipitations, par la nécessité d’assurer la pérennité de la production agricole en cas de période de sécheresse, évènement climatique qui apparaît comme récurrent dans la région et qui peut s’étendre sur plusieurs années.

En termes de tendances, des cycles d’environ dix ans semblent se dessiner. Les enregistrements n’étant disponibles que sur un intervalle 40 ans, cette observation reste tout à fait hypothétique. Si l’on considère la courbe la plus stable obtenue à Neyriz, en fonction des années hydrologiques, les années 1964 à 1973 paraissent globalement sèches, la plupart des valeurs étant en-dessous de la moyenne, de 1973 à 1983, les valeurs sont généralement au-dessus. Entre 1983 et 1991, il existe de nombreuses lacunes dans les données, cependant si ce n’est une année 1988/1989 particulièrement pluvieuse à Neyriz, les valeurs apparaissent en dessous de la moyenne. A partir de 1991, les années sont plutôt humides, cela s’observe très clairement pour la station de Dorudzan. Vers 2001, les deux courbes dessinent en parallèle une tendance à la baisse. Les enregistrements récents incluant les années 2001 à 2009 sont manquants, mais apparemment, d’après les agriculteurs rencontrés au cours de nos prospections, les années 2007 et surtout 2008 ont été particulièrement sèches, ce qui pourrait confirmer une tendance au déficit des précipitations au début des années 2000. Si l’existence de cycles récurrents d’une dizaine d’années demanderait une confirmation par une étude statistique plus poussée ainsi que par la prise en compte de données sur un plus grand intervalle de temps, les courbes montrent incontestablement l’existence de tendances pluriannuelles homogènes.

En conclusion, les précipitations dans la plaine de Persépolis sont caractérisées par une valeur moyenne assez élevée qui masque cependant une forte irrégularité. Cette irrégularité est d’abord saisonnière avec une concentration presque exclusivement hivernale des précipitations, puis interannuelle avec l’existence d’extrêmes particulièrement marqués et enfin pluriannuelle avec la possible existence de cycles secs et humides de plusieurs années. Ces caractéristiques sont classiques en domaine semi-aride et obligent l’Homme à adapter ses pratiques agricoles aux aléas du climat.

Notes
54.

Miller 1982 : 46 ; concernant la limite des 300 mm comme limite de l’agriculture pluviale en domaine semi-aride, la réalité est généralement beaucoup plus complexe suivant les milieux étudiés. A titre d’exemple, Sanlaville 2000 : 110 dans les steppes arides de Syrie, cette limite est de 250 mm et il est possible d’envisager une agriculture sèche en-dessous de 250 mm, voire 200 mm, de précipitation moyenne annuelle dans les cuvettes sédimentaires présentant des sols profonds.

55.

L’endoréisme est le fait, pour une région, de ne pas avoir d’écoulement des eaux vers une mer ouverte.

56.

Bohloul 2008 : 230

57.

Rosenberg 1988 : 184-fig.4-3

58.

Sur le site internet de l’IRIMO, il s’agit de l’intervalle de mesure disponible. Les données obtenues à Ahamdabad entre 1951 et 1964 sont disponibles dans Justin & Courtney 1966 : A-5-Table A-2 mais pour les années communes aux deux jeux de données les valeurs indiquées ne sont pas identiques. Les données fournies par l’IRIMO s’étendant sur un intervalle de temps plus important et étant a priori très fiables, seules ces dernières ont été utilisées pour les calculs.

59.

Bobek 1952 : 68 ; 81-Abb.6.

60.

Par exemple ibid. : 69-Abb.1, sur la carte des différentes zones pluviométriques de l’Iran, l’espace correspondant à la plaine de Persépolis chevauche deux zones de précipitations, le nord de la plaine est incluse dans la zone où la somme des précipitations annuelle est comprise en 300 et 500 mm, le sud dans celle où elles sont comprises en 300 et 200 mm ; sur des cartes plus récentes par exemple Ehlers 1980 : Karte 4 ou Beaumont 1973 : 3-fig.4, la plaine de Persépolis est entièrement incluse au sein de la zone recevant entre 200 et 400mm.

61.

C’est le cas lorsque la hauteur de précipitation est supérieure à celle de l’évaporation.

62.

Ehlers 1980 : Abb.14 ; Beaumont 1973 : 4-fig.5

63.

L’année hydrologique commence à partir du mois suivant le mois le plus sec de l’année. Dans la région de Persépolis il s’agit du mois d’octobre. La prise en compte des variations des précipitations calculées sur une année hydrologique permet d’intégrer une saison de pluie hivernale dans son intégralité sans que celle-ci ne se retrouve sur deux années calendaires différentes. Une même saison de pluies, que ces dernières soient rares ou abondantes, rentre alors en compte dans le volume de précipitation annuel de deux années distinctes. La prise en compte des valeurs suivant l’année hydrologique permet de mieux visualiser la possible existence de tendances humides ou sèches sur plusieurs années et de corriger certaines aberrations liées au calcul des hauteurs de précipitations sur une année grégorienne. Par exemple, sur le graphique en année grégorienne (Fig. 2-2), l’année 1989 apparaît très humide à Neyriz et plutôt sèche à Dorudzan. Il s’agit en fait d’un artefact lié à une répartition inégale des précipitations autour du mois de janvier 1989 à Neyriz.