2.2.2.3. La division « traditionnelle » des zones climatiques du Fars

Une des grandes problématiques de l’archéologie iranienne, plus particulièrement dans la province du Fars, est l’importance des populations nomades par le passé68. Bien qu’en déclin actuellement, ce mode de vie est encore pratiqué par 55000 personnes dans le Fars69, essentiellement des Qashqai. Les écrits des géographes arabes et des voyageurs d’abord, les études ethnologiques ensuite70, ont montré que le Fars était divisé en trois régions par les populations nomades, chacune correspondant à des zones de pâturages spécifiques pour chaque saison. Les populations nomades actuelles pratiquent une sorte de transhumance nord-sud annuelle entre les pâturages de montagne du nord en été et les régions plus chaudes du sud en hiver. La province se partage donc en trois zones géographiques : les sardsir zones de pâturage estival au nord, les motadel zones de transition fréquentée au printemps et à l’automne, les garmsir zones de pâturage hivernal au sud du Fars. Cette division du Fars est souvent reprise par les archéologues préhistoriens pour lesquels le mode de vie nomade, supposé dominant au cours de la Préhistoire, peut être décrit via des comparaisons ethnologiques avec les populations nomades actuelles. Si le parallèle peut paraître anachronique et parfois hasardeux, cette division en plusieurs zones de pâturage saisonnier est intéressante à considérer dans le cadre de cette présentation environnementale de la plaine de Persépolis. Elle correspond en effet à une perception locale et empirique du paysage ainsi qu’à une adaptation du mode de vie aux variations annuelles climatiques et à la diversité bioclimatique du Fars. Indirectement, ces rythmes nous renseignent sur les potentialités agricoles en fonction des saisons des différentes régions concernées par ce pastoralisme mobile71.

Les sardsir sont globalement situés entre la plaine de Pasargades et Ispahan, entre 2000 et 2500 m d’altitude72. Les tribus nomades y trouvent en été de vastes alpages. La pratique d’une agriculture sèche, proche de celle des milieux tempérés, y est possible. La limite haute des sardsir correspond à celle de la culture des céréales qui est légèrement en-dessous de la limite supérieure des arbres. Les garmsir sont situés au sud du Fars, ils englobent les régions méridionales et s’étendent jusqu’à Shiraz, à une hauteur de 1300 m. Elles se distinguent des régions plus élevées par l’absence de gel et de neige durant l’hiver. Comparés au nord, les pâturages sont moins riches mais plus étendus. La culture de la datte est emblématique de cette zone, mais toutes les cultures de type tropical y sont pratiquées.

Entre ces deux grands ensembles, c'est-à-dire entre les piedmonts méridionaux du Zagros et ses hauts sommets, se situe une zone de transition appelée motadel, à laquelle se rattache la plaine de Persépolis. Les populations nomades y circulent au printemps autour du mois d’avril, et au début de l’automne vers le mois de septembre. Le passage entre garmsir et sardsir du Fars via les plaines de Shiraz, Persépolis et Pasargades est très largement utilisé par les différentes populations nomades. La circulation des troupeaux y est actuellement délicate car, les surfaces cultivées s’étendant, les zones disponibles pour le pâturage diminuent73. Cet antagonisme, entre nomades et sédentaires, associé à la question récurrente de leur « nécessaire » sédentarisation, existe dès l’Antiquité74, au sein des zones de transition particulièrement propices à l’agriculture. Cette zone de transition, motadel, correspond de plus à des régions généralement fertiles où la flore des zones froides et des zones chaudes s’entremêlent. Le motadel peut lui-même se subdiviser en trois étages bioclimatiques distincts75, la plaine de Persépolis se rattachant à une zone intermédiaire avec des périodes de gelées ramassées et se distinguant par une arboriculture fruitière « méditerranéenne » qui inclue par exemple la grenade ou la vigne. L’hiver, bien que très froid mais de courte durée, permet des récoltes bisannuelles d’une grande variété de céréales.

Notes
68.

Sumner 1986a : 29 publie une courte synthèse sur les évolutions des schémas d’occupations nomades et sédentaires par période dans la plaine de Persépolis. A titre d’aperçu, Potts 2008a, dans une recension de Alizadeh 2006, offre une synthèse concernant la place de l’étude du nomadisme dans l’archéologie iranienne et de l’importance, parfois exagérée à son avis, qu’elle a prise. Alizadeh 2009 réaffirme quant à lui l’importance géopolitique centrale des populations nomades dans la constitution des grands royaumes « perses ».

69.

Zanjani 1999 : 357-table2, dans l’ensemble de l’Iran il représenterait en 1997 une population estimée à 1,5 millions de personnes d’après Digard & Pâpoli-Yazdi 2008 : 89

70.

Alizadeh 2006 : 30

71.

Bobek 1952 : 75 s’appuie et reprend cette partition traditionnelle pour en faire une des bases de sa description climatologique de l’Iran et décrire les différences de végétations entre le nord et le sud.

72.

Les descriptions des différentes zones sont en partie reprises de Alizadeh 2006 : 30-31 et de Bobek 1952 : 75

73.

Digard & Pâpoli-Yazdi 2008 : 92

74.

Briant 1976 sur les antagonismes entre cultivateurs et éleveurs vus à travers les historiens de l’Antiquité, en réponse et en complément Digard 1976 traite de la permanence jusqu’à aujourd’hui de cette opposition.

75.

Kortum 1976 : 21-Tab.2