2.2.3.2.2. Les processus de salinisation des sols dans la plaine de Persépolis

Les processus de salinisation des sols touchent une grande partie des terres arables en Iran98. Ils affectent fortement les rendements agricoles et ont ainsi fait l’objet de nombreuses études récentes99. En 2000, une carte générale des risques de salinisation des sols a été publiée par l’administration iranienne des sols et de l’eau (Pl. 6), document sur lequel la plaine de Persépolis est indiquée comme présentant, sur la totalité de sa surface, des problèmes de salinisation des sols. La grande partie des terrains de la région sont cependant classés dans la catégorie des sols avec de faible teneur en sel. Il est possible de distinguer deux grandes zones de part et d’autre d’une ligne d’orientation est-ouest passant par Band-e Amir : au sud la salinisation des sols est généralisée ; au nord la plupart des sols présentent de plus faibles concentrations de sel.

Pour le nord, les études pédologiques100 permettent d’estimer les sols touchés par des processus de salinisation (noté s cf. Pl. 5) à 38% des terrains cartographiés. Parmi eux, la partie nord-ouest de la plaine, correspondant essentiellement au district de Bayza qui présente de vastes solonchaks101 (sols de classe 5), c'est-à-dire des zones marécageuses à haute teneur en sel. De même, sur la carte régionale tirée des données récentes (Pl. 6), cette zone correspond aux sols à très fort niveau de salinité qui s’étendent sur environ 2800 ha. Si l’on exclue les sols de classe 4 à 6, le pourcentage de terrains touchés par des problèmes de salinité est situé aux alentours de 15%. Au sud, plus on approche du kevir de Neyriz (Pl.7)102, plus les sols sont chargés en sel. Le paysage au nord dominé par la présence de champs cultivés laisse alors progressivement place à des terrains incultes, parfois marécageux, présentant des efflorescences de sel en surface et sur lesquels ne pousse qu’une végétation halophile éparse.

La salinisation des sols de la plaine de Persépolis est avant tout une salinisation primaire, c'est-à-dire liée à des processus naturels103. Elle est due à la présence de sel dans les eaux de la nappe phréatique ou provenant de certaines résurgences karstiques. Ces concentrations de sel dans les eaux souterraines sont liées à la présence de dôme de sel intrusif à l’intérieur des formations crétacées situées sous les dépôts quartenaires de la plaine sédimentaire104. Des analyses ont montré que la nappe phréatique pouvait ainsi présenter des concentrations de minéraux dissous105 jusqu’à cinq fois supérieure à la moyenne généralement observée en Iran et elles sont plus importantes au sud qu’au nord de la plaine106. La nappe phréatique est souvent très proche de la surface107 et les fortes chaleurs peuvent soumettre les sols à une intense évaporation qui entraîne des remontées d’eaux salées d’autant plus importantes que le toit de la nappe est peu profond. C’est ce dernier phénomène qui explique la présence de sols très chargés en sel au nord-ouest et au sud-ouest de la plaine. Au sud-est, associé aux remontées d’eau minéralisée de la nappe, un autre facteur de salinisation primaire rentre en jeu. D’importants apports d’eau chargée en sel proviennent en effet des sources karstiques situées le long du massif du Kuh-e Rahmat108. Du fait de la faible pente de la plaine, au pied de ces résurgences se forment des complexes marécageux saumâtres dont l’eau est drainée lentement via un système de chenaux en tresse vers le lac Tashk, situé au nord du kevir du bassin de Neyriz. Les terrains présentant des problèmes de salinisation primaire peuvent tout de même présenter un intérêt agricole. Ainsi, sur un sol modérément touché et bien drainé, il est possible d’obtenir des rendements proches des sols les plus fertiles de la plaine109. L’équilibre concernant les teneurs en sel de ce type de sol est cependant instable. Les solonchaks ne présentent qu’un intérêt limité, ils ne peuvent servir que de pâturages. La végétation halophile qui les recouvre peut permettre de nourrir 1,5 tête de bétail par mois et par hectare110.

Les terres arables de bonne qualité, concentrées au nord de la plaine, sont quant à elles concernées par des processus de salinisation secondaire liés à l’irrigation. L’irrigation, sur des terrains mal drainés, implique en effet une infiltration des surplus d’eau dans le sol et une élévation du niveau de la nappe phréatique superficielle111. Dans la plaine de Persépolis et plus généralement en Iran, l’irrigation est aujourd’hui souvent mal maîtrisée. Elle se fait par inondation, les terrains sur-irrigués sont alors saturés en eau, l’évaporation est très importante faisant augmenter les teneurs en sel dans les horizons superficiels du col112. L’apport d’eau dans les couches superficielles est également lié aux infiltrations latérales à partir des réseaux de canaux en terre creusés à même le sol113. Enfin, s’ajoute le problème de l’irrigation avec de l’eau chargée en sel, remontée par pompage depuis les nappes phréatiques. Nous avons ainsi pu concrètement observer cette pratique deux fois lors de nos prospections dans la plaine, au sud de Persépolis le long du piedmont du Kuh-e Rahmat et au pied du Kuh-e Istakhr plus au nord (Pl. 2). Dans les deux cas, les champs irrigués étaient situés sur les piedmonts, la pente permettant de drainer l’eau et donc d’éviter une salinisation des champs. Les surplus d’eau se déversent donc dans les champs en contrebas, participant ainsi à leur dégradation. Il n’existe pas d’étude récente sur la salinisation des terrains irrigués dans la plaine de Persépolis. Pour l’ensemble de l’Iran, il semble que plus de 30% des terrains irrigués soient touchés par la salinisation. Ce chiffre, dans la plaine de Persépolis, est probablement plus élevé car les études pédologiques des années 1960 ont montré que près de 40% des terres arables de bonne qualité présentaient des problèmes de salinisation à des degrés plus ou moins élevés (Pl. 5). Le traitement de ces problèmes de salinisation secondaire des sols est généralement très complexe et demande la mise en place d’un drainage efficace et d’une irrigation raisonnée114.

En ce qui concerne les occupations anciennes dans la plaine de Persépolis, il est tout à fait possible que les phénomènes de salinisation primaire, liés à des facteurs géomorphologiques, touchaient les mêmes zones qu’aujourd’hui. Pourtant au sud et au nord-ouest de la plaine de Persépolis, il existe de nombreux sites archéologiques115 où les Hommes devaient développer soit un élevage extensif, soit une agriculture très maîtrisée sur des terrains bien drainés. L’occupation de ces secteurs devait toutefois être précaire, à moins que les caractéristiques environnementales de ces terrains aient été plus favorables. Enfin, les problèmes de salinisation secondaire, particulièrement importants à l’heure actuelle, pouvaient se poser de la même manière. Une irrigation mal maîtrisée pouvant amener à une salinisation rapide et donc une dégradation de la qualité des sols, allant jusqu’à leur éventuel abandon. Si, dans la région de Persépolis, la pratique de l’irrigation remonte peut-être au néolithique116, nous ne savons cependant rien des techniques d’irrigation. Il est donc impossible, dans l’état actuel des connaissances, de préciser si des phénomènes de salinisation secondaires ont pu représenter un frein à l’agriculture par le passé.

Notes
98.

Qadir et al 2008 : 216, 17% des terres arables du Khuzestan et 16,5% de celles des provinces du centre de l’Iran, les plus touchées par les problèmes de salinisation, sont concernées. En outre au moins 50% des terres irriguées en Iran présentent de problèmes de salinisation des sols.

99.

Ghassemi et al. 1995 ; Kehl 2006 ; Qureshi et al 2007 ; Qadir et al 2008.

100.

Cf. § 2.2.3.2.1

101.

Cf. § 2.2.3.2.1

102.

Cf. § 2.2.4.2

103.

Kehl 2006 : 2 ; Qadir et al 2008 : 215-216

104.

Kehl et al 2009 : 57

105.

Qureshi et al 2007 : 17

106.

Ghassemi et al. 1995 : 359

107.

Cf. § 2.2.4.4

108.

Cf. § 2.2.4.3

109.

Kortum 1976 : 33-34

110.

ibid : 34

111.

Cf. § 2.2.4.4

112.

Qureshi et al 2007 : 19

113.

Ghassemi et al. 1995 : 360

114.

Qadir et al 2008 : 225 ; la région en aval de Band-e Amir est un exemple de mise en culture réussie, continue depuis plus d’un millénaire, grâce à la mise en place d’un réseau d’irrigation dense alimenté par un barrage construit sur le Kur et qui a permis de drainer des terrains très chargés en sel, cf. § 6.2.3.3.

115.

Voir par exemple les résultats des prospections mise en œuvre au sud de la plaine, le long du Kuh-e Rahmat, cf. § 6.3.4

116.

Sumner 1986b : 199,1994b : 52 estime que l’irrigation a pu être pratiquée dès le néolithique qu’elle s’est développée au chalcolithique ; Miller & Kimiaie 2006 : 113 nuancent le propos et montrent que l’hypothèse reste ouverte pour les périodes finales du chalcolithique.