2.2.4.2. Le bassin de Neyriz, les lacs Tashk et Bakhtegan

2.2.4.2.1. Le bassin de Neyriz : un kevir ?

Le bassin de la rivière Kur, dont la plaine de Persépolis constitue la partie inférieure, est un des grands bassins endoréiques du centre de l’Iran. Dans cette partie du pays, la présence de rivières endoréiques est un aspect dominant de l’hydrographie car seuls les cours d’eau des versants méridionaux du massif du Zagros se jettent dans le Golfe Persique130. Cette situation est liée à la tectonique très active du Zagros qui est un massif jeune présentant une vitesse d’exhaussement rapide. Cette dynamique implique le soulèvement de reliefs de direction générale nord-ouest/sud-est131 qui barrent la circulation des cours d’eau vers des débouchés maritimes. L’érosion fluviatile, quant à elle, n’est pas en mesure de concurrencer l’élévation générale du Zagros132. Les bassins versants endoréiques du Plateau Iranien drainent les circulations d’eau de surface jusqu’à de vastes dépressions exutoires dans lesquelles se forment des lacs intermittents. Parmi ces bassins, beaucoup se situent dans un domaine climatique aride à semi-aride et constituent alors, d’un point de vue géomorphologique, des kevirs, terme persan synonyme du terme arabe sebkha généralement employé par les géomorphologues français ou de celui de playa utilisé par les chercheurs anglo-saxons. Il s’agit de dépressions fermées, tapissées de croûtes de sel, qui peuvent être en partie occupées par des lacs permanents ou semi-permanents très souvent de faibles profondeurs, présentant généralement de très fortes teneurs en sel. Les marges des kevirs sont constituées de zones marécageuses correspondant à des terrains chargés en sel et recouverts par une végétation halophile133.

Figure 2‑5 : Evolutions saisonnières du lac Bakhtegan entre les années 1972 – 1973
Figure 2‑5 : Evolutions saisonnières du lac Bakhtegan entre les années 1972 – 1973 (repris de Krinsley 1976:148-Figure 94)

Au sud-est de la plaine de Persépolis, le Kur se jette dans le lac Bakhtegan situé dans le bassin de Neyriz, du nom d’une ville située à l’extrême sud-est de celui-ci. Le bassin de Neyriz présente toutes les caractéristiques d’un kevir bien qu’il ne soit généralement pas désigné comme tel dans la littérature134. La distinction paraît cependant importante car elle rattache le sud de la plaine de Persépolis à une forme de paysage bien connue qui présente des équilibres environnementaux, en particulier hydrologiques, précaires et peut donc connaître de rapides évolutions. Dans le cadre d’études géologiques menées sur l’ensemble des kevirs d’Iran et publiées dans les années 1970 par D.B. Krinsley135, le bassin de Neyriz est bien désigné comme un des kevirs d’Iran. L’étude, d’abord effectuée sur le terrain aux alentours du lac Bakhtegan, puis à partir d’images satellites136 a permis de décrire précisément ces régions et leurs dynamiques. Ces recherches ont prouvé que les surfaces en eau, dans le bassin de Neyriz, connaissent d’importantes variations137, les lacs pouvant se rétracter jusqu’à leur quasi disparition138. Ainsi, cette étude a permis de montrer qu’au cours du mois d’août 1973 le lac Bakhtegan s’était contracté de 95% par rapport à son extension maximale atteinte au printemps139 (Fig. 2-5). Les lacs Tashk et Bakhtegan correspondent donc à des surfaces en eau non permanentes soumises à une forte évaporation estivale, leur assèchement laissant place à de vastes surfaces recouvertes par une croûte de sel d’épaisseur centimétrique140. Ils sont entourés de terrains sub-horizontaux, marécageux et saumâtres, du fait de la présence de la nappe phréatique à proximité de la surface. De nombreuses sources karstiques, fortement chargées en sel, situées sur le versant sud-ouest du massif du Kuh-e Rahmat alimentent également ce complexe marécageux qui de ce fait s’étend jusqu’au pied du massif du Kuh-e Rahmat, à plus de 20km au sud-ouest de la rive nord du lac Bakhtegan141. L’ensemble de ces unités morphologiques caractérise le kevir de Neyriz.

Dans les études régionales, les lacs sont le plus souvent considérés comme permanents142 et leurs limites géographiques correspondent en fait à leur extension maximale. En effet, la superficie de ces lacs de kevir est généralement importante : en année moyenne en termes de précipitations les fluctuations restent assez limitées. Par exemple, un bilan hydrologique complet du lac Maharlou a été effectué dans le cadre d’une étude publiée en 2003 à partir de données hydrologiques et climatiques récoltées en 1988143. Bien que n’étant pas situé dans le bassin de Neyriz, le lac Maharlou prend place au sud-est du bassin de Shiraz, soit à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Neyriz (Pl. 3). Pour l’année 1988, le bilan hydrologique annuel du lac est légèrement positif alors que le bilan mensuel a été négatif huit mois sur douze144, l’évaporation étant bien entendu maximale entre le mois de mai et le mois d’août. Durant l’été 1988 la surface du lac ne se contracte donc que de 20%, alors qu’au cours de l’été 1973 il a connu une diminution de 99% de sa surface145. Les données pluviométriques obtenues à la station météorologique de Shiraz146 donnent un total annuel de précipitation de 183 mm pour l’année 1973 et 432 mm pour 1988, la moyenne annuelle sur trente ans (entre 1973 et 2003) étant de 335 mm. L’année 1988 est donc plutôt humide alors que l’année 1973 est la plus sèche de la période 1973-2003, ce qui peut expliquer les importants écarts observés. Les kevir du Fars central correspondent donc à des milieux très changeants suivant les saisons mais également suivant les années. Ainsi, ils réagissent très vite à des épisodes météorologiques extrêmes, comme celui de la sécheresse de 1973, durant lesquels ils viennent à disparaître presque complètement. Il semble cependant qu’en année moyenne en terme de précipitations leur surface reste relativement stable, ce qui bien entendu relativise leur désignation par le terme de kevir au regard des grands kevirs des zones désertiques du nord et de l’est de l’Iran où les variations sont beaucoup plus régulières. Pour les lacs Tashk et Bakhtegan, il est également possible que le contrôle du débit du Kur depuis les années 1970, via le barrage de Dorudzan, implique des arrivées d’eau plus régulières limitant ainsi les rétractations estivales.

Notes
130.

Ces cours d’eau drainent cependant 90% de l’eau disponible dans le Zagros vers le Golf Persique, ce qui peut en partie expliquer la sècheresse de la partie septentrionale et orientale du massif, cf. Nadji 1997 : 172.

131.

Cf. § 2.2.3.1

132.

ibid

133.

Miller 1982 : 63 ; Djamali et al 2009 : 125-126 pour une description détaillée de la végétation halophile sur les marges du lac Maharlou situé à l’est de Shiraz.

134.

Par exemple Oberlander 1968 : 277

135.

Krinsley 1970

136.

Krinsley 1976

137.

Krinsley 1970 : 239

138.

Cornwallis 1968 : 155 évoquant une étude plus ancienne affirme que le lac s’est également asséché au cours de l’année 1933/1934

139.

Krinsley 1976 : 145

140.

Krinsley 1970 : 240

141.

Cf. § 2.2.4.3

142.

A titre d’exemple Nadji 1997 pour le bassin de Neyriz ou Djamali et al. 2009 pour le lac de Maharlou ne retiennent pas le caractère non-permanent des lacs et donc la désignation des bassins qu’ils occupent comme des kevirs.

143.

Dumas et al 2003

144.

ibid. : 225-Tableau V

145.

Krinsley 1976 : 145

146.

Disponible sur internet à l’adresse suivante : http://www.irimo.ir/