2.2.4.2.3. Evolutions passées des lacs

L’équilibre hydrologique des kevirs est très instable et il nécessaire d’étudier la question des fluctuations des limites du lacs, et donc de la dynamique du kevir de Neyriz, dans le passé. Ces changements peuvent être conditionnés par les variations climatiques, ponctuelles ou à long terme, les évolutions de l’occupation humaine de la région, ou encore la combinaison des deux facteurs. Ainsi, concernant l’influence de l’Homme, la conclusion, en forme de prospective, d’un bilan hydrologique récent du lac150 souligne l’impact que pourrait avoir le développement d’une irrigation trop intensive sur l’existence du lac Maharlou. Concernant l’évolution des limites des lacs dans le passé, il est souvent fait référence à G.N. Curzon151 qui a étudié les écrits des anciens géographes relatifs à l’Iran. Des références aux lacs n’apparaissent qu’au XIIIe siècle du fait de la destruction des systèmes d’irrigation lors des invasions mongoles152. Le déclin de l’agriculture irriguée aurait alors permis à l’eau de circuler jusqu’à la cuvette de Neyriz et d’alimenter les lacs. Même si la disparition des réseaux d’irrigation est à nuancer dans la plaine de Persépolis153, D.B. Krinsley154 retient l’hypothèse et estime lui aussi qu’une disparition des lacs liée à une pratique intensive de l’irrigation est possible. Cette éventuelle disparition aux alentours du XIIIe siècle pourrait également être due à des variations climatiques155. L’étude géomorphologique des terrasses fluviales dans la plaine a aussi permis de montrer qu’il y a eu des évolutions du régime hydrologique aux alentours de 700 ap. J.-C. dont les causes, anthropiques ou naturelles, ne sont pas encore bien déterminées156.

Un autre indice d’une possible variation plus ancienne du niveau des lacs est l’existence de terrasses alluviales, repérées par D.B. Krinsley, dominant de 1 à 3 m le lac Tashk. Ces terrasses, correspondant à d’anciennes plages, témoignent d’un niveau du lac plus élevé. Lors de ses prospections, le géologue a retrouvé des artefacts lithiques du paléolithique datés de 20000 B.P. permettant donc d’estimer l’âge de dépôt de ces sédiments157. Ainsi le lac semble connaître son extension maximum à la fin du dernier maximum glaciaire158. Une étude géomorphologique allemande publiée récemment sur la caractérisation de la stratigraphie des dépôts quaternaires de la plaine ne relève cependant pas d’indice concernant un plus haut niveau des lacs par le passé159. Elle met toutefois en évidence, aux alentours de 20000 B.P., un climat plus humide et la présence de vastes étendues marécageuses et d’autres lacs dans la plaine160.

Entre une possible extension maximale vers 20000 B.P., une disparition possible en 1000 et 1500 ap. J.-C. et son état d’équilibre actuel, les variations du lac demeurent inconnues. Pour le Ier millénaire av. J.-C., il faut tout de même prendre en compte la possibilité que le sud de la plaine, le kevir de Neyriz, pouvait présenter une tout autre physionomie qu’aujourd’hui.

Notes
150.

Dumas et al 2003 : 226

151.

Cité entre autre par Oberlander 1968 : 277, Krinsley 1970 : 239 ; Rosenberg 1988 : 173

152.

Christensen 1993 : 10 et 12, l’auteur critique une vision catastrophiste et simpliste des invasions mongoles, qui seraient une des causes du déclin des civilisations moyen-orientales. Cette vision constitue une paraphrase des récits médiévaux qui réduisaient les Mongoles, nomades, à la seule sauvagerie des destructions qu’ils faisaient subir aux territoires conquis, celles-ci ayant été en réalité beaucoup plus localisées. Les systèmes agricoles préexistants paraissent avoir souvent été préservés.

153.

Whitcomb 1979 : 370 ne note pas de disparition des réseaux d’irrigation entre 1150 et 1500 même s’il parle pour cette période d’une expansion du nomadisme du fait des incertitudes militaires et politiques ; Christensen 1993 : 169 décrit des destructions lors de guerres au 11e siècle mais évoque du 12e au 14e le paiement de tributs par les autorités locales aux Mongols pour éviter les destructions dans les régions de Shiraz et de Marvdasht.

154.

Krinsley 1970 : 240

155.

Cf. § 2.2.4.2.1. Des indices paléoclimatiques, essentiellement issus de la palynologie, concernant l’existence d’une pulsation sèche située vers le 14e siècle ont été relevés en divers secteurs de l’Iran par Stevens et al 2006 dans le lac Zeribar à l’ouest de l’Iran, par Ramezani et al 2008 dans une zone marécageuse au nord de l’Iran ou encore par Djamali et al 2009 dans le lac de Maharlou. Bien que légèrement postérieure au 13e siècle évoqué ici, il paraît intéressant d’évoquer cette possible aridification du climat qui aurait pu entraîner une déstabilisation assez longue de l’équilibre hydrologique du bassin de Neyriz et la disparition sur un laps de temps plus ou moins long des lacs.

156.

Cf. § 2.3.2

157.

Krinsley 1970 : 244

158.

ibid. : 246

159.

Kehl et al 2009 : 60

160.

Cf. § 2.3.1