2.3.2. Incision de la plaine et mise en place des terrasses fluviales

Dans le cadre de la mission irano-française dans les régions de Persépolis et Pasargades, l’étude géomorphologique s’est essentiellement concentrée sur la formation des terrasses du Pulvar dans les gorges du Tang-e Bulaghi, au sud-ouest de Pasargades. Elle s’est ensuite poursuivie dans la plaine de Persépolis en prenant en compte également les terrasses du Kur. Cette seconde saison d’étude ayant eu lieu en 2008, les analyses de sédiments ainsi que les datations sont encore en cours. Néanmoins, les observations, mêmes préliminaires, faites le long des deux rivières concordent. Elles montrent la présence de trois terrasses emboîtées (terrasses T1, T2 et T3, cf. fig. 2-7) qui marquent des changements de régimes des cours d’eau caractérisés par des épisodes de sédimentation et d’incision dépendants des variations des débits et de la charge solide transportée198.

Figure 2‑7 : Les trois terrasses fluviales le long du Kur au niveau du massif du Kuh-e Istakhr (cliché et interprétation JBR, printemps 2008)
Figure 2‑7 : Les trois terrasses fluviales le long du Kur au niveau du massif du Kuh-e Istakhr (cliché et interprétation JBR, printemps 2008)

Dans la vallée du Tang-e Bulaghi, des prélèvements de charbons ont été effectués dans des coupes naturelles au niveau de chacune des trois terrasses et ont permis d’obtenir une datation radiocarbone de l’âge des dépôts. Des échantillons prélevés dans la plaine de Persépolis au cours de la campagne 2008 ont ensuite permis d’affiner la chronologie. Les trois terrasses emboîtées se développent de haut en bas de la plus ancienne à la plus récente199 :

Si de nouvelles datations doivent venir prochainement préciser celles déjà obtenues, il est cependant d’ores et déjà possible de dresser un scénario de mise en place de ces terrasses au cours de l’Holocène.

Dans un premier temps, les lœss, déposés sur les versants lors du dernier maximum glaciaire, ont été largement érodés par le ruissellement puis transportés et remaniés par les cours d’eau. Ce sont eux qui forment la matrice de la terrasse alluviale T1. Le début de l’Holocène étant marqué par un climat plus humide et plus chaud205, la végétation sur les versants devait être plus dense et donc stabiliser les sols. La phase solide transportée par les rivières ainsi que la sédimentation doit donc diminuer. Les améliorations climatiques se traduisent généralement par des phases d’incision des nappes fluviatiles. Or aux alentours de 8000 BP, dans la plaine de Persépolis, la terrasse T1 est encore en train de se former, ce qui pourrait apparaître comme un paradoxe au regard de l’amélioration holocène du climat. Du fait que les rivières étudiées se trouvent dans un milieu globalement semi-aride et montagnard, il est possible que le temps de réponse de la végétation aux améliorations de conditions climatiques soit plus lent. Une autre hypothèse pourrait expliquer le retard de l’incision de T1 et concerne l’activité tectonique de la région au cours de l’Holocène. Un exhaussement de la partie inférieure du bassin du Kur pourrait induire une baisse de la pente de la plaine et une plus forte sédimentation dans le lit du Kur206.

Le début de l’incision de la plaine est difficile à situer pour le moment à cause du manque de datations absolues. Il semble cependant qu’elle pourrait débuter aux alentours de 5000 BP207. Les raisons de cette incision peuvent être multiples : baisse des précipitations et donc des apports de sédiments depuis les versants, augmentation du couvert végétal, exhaussement de toute la région lié à l’activité néotectonique. Pour le moment, c’est la première qui est privilégiée car l’optimum climatique prendrait fin vers 5500 BP.

Ensuite vers 1300 BP une nouvelle phase de sédimentation dans les rivières de la plaine de Persépolis amène à la création de la terrasse T2. Ce nouvel épisode de sédimentation pourrait être en lien avec la présence croissante de l’Homme dans la région. La pratique de l’élevage extensif sur les versants, couplée avec une mise en culture de surfaces importantes dans la plaine pourraient expliquer une érosion accrue des terrains du fait d’un amenuisement du couvert végétal naturel lié au défrichement ou au pâturage. La période de 1300 BP correspond à peu près à l’avènement de l’Islam dans la région, période qui se traduit par un développement de l’agriculture, en particulier de l’agriculture irriguée avec la mise en place de vastes réseaux de canaux208. Il est également tout à fait possible que des variations climatiques aient provoqué cette reprise de sédimentation mais il n’en existe pas de preuve que ce soit à travers les archives historiques ou les études paléo-environnementales209.

Concernant l’incision de T2 et la mise en place de T3, il est difficile de donner pour le moment une explication. Ces phénomènes sont peut-être liés à des variations de l’occupation humaine, couplés à des changements climatiques qui impliquent la création d’un cycle d’incision et de sédimentation. En domaine semi-désertique, de plus montagnard, une légère variation d’intensité, de période ou de fréquence des précipitations peut entraîner de fortes instabilités géomorphologiques et entraîner rapidement des érosions importantes des versants. L’incision, en cours, de T3 est probablement liée à la construction du barrage sur le cours du Kur à la fin des années 1960 qui induit une diminution de la quantité de sédiments transportés par la rivière.

Enfin concernant les dynamiques fluviales dans la plaine de Persépolis, il faut souligner que les différentes photographies aériennes ou images satellites dont nous disposons montrent la présence de nombreux paléoméandres le long des deux principales rivières. Une étude plus détaillée des variations horizontales du tracé des cours d’eau de la plaine est actuellement menée par T. De Schacht à partir de photographies satellites des années 1960 et pourrait révéler d’importants déplacements du tracé des rivières au cours de l’Holocène

Notes
198.

Les premiers résultats de cette étude ont fait l’objet d’une publication, cf. Rigot 2010

199.

Cette description se base sur celle publiée par ibid.: 63-66

200.

Kehl et al. 2005, 2009 ; cf. § 2.3.1

201.

Les auteurs désignent T2 par l’appellation « Lower Kor Terrace » dans l’article Kehl et al. 2009, excluant ainsi T3, la plus basse des trois terrasses, de leur description.

202.

ibid. : 66

203.

Deux datations IRSL ont donné des datations proches de 1000 BP pour la terrasse T2 (ibid. : 66) avec une marge d’erreur très étendue. Une troisième date IRSL de 4000 BP a été obtenue et publiée par Kehl et al. 2005, date à partir de laquelle T2 aurait donc pu commencer à se former d’après les auteurs.

204.

Kehl et al. 2009 : 66, les datations IRSL des couches supérieures, situées au-dessus des pseudo-loess, sont comprises entre 9520 ± 1390 BP et 8420 ± 1430 BP

205.

Cf. § 2.4.1

206.

Kehl et al. 2009 : 69 ; Rigot 2010 : 68

207.

Rigot 2010 : 68, une date beaucoup plus récente de 1758 ± 45 BP a été obtenue par J.B.Rigot au sommet de T1 dans la plaine de Persépolis mais l’échantillon peut provenir d’apports latéraux plus récents provenant des versants, toutefois si cette date correspond bien à la dernière phase de dépôts alluviaux sur la terrasse T1, il faudrait restituer une incision de celle-ci de 15 m sur une période de 500 ans, l’hypothèse paraît cependant peu vraisemblable ; sur le début de l’incision voir aussi Kehl et al.  : 69 qui la situent entre 10000 BP et 4000 BP

208.

Whitcomb 1979 : 369

209.

Cf. § 2.4.2.3