2.5.3. Le paysage de la plaine de Persépolis au Ier millénaire av. J.-C.

Les données paléoenvironnementales donnant des indications sur le climat régnant dans la plaine de Persépolis au cours du Ier millénaire sont peu nombreuses. Il faut toutefois replacer la région dans une évolution régionale du climat au cours de l’Holocène290. La première moitié de l’Holocène (entre 10000 BP et 5000 BP) est probablement marquée par un radoucissement post-glaciaire du climat et un environnement plus clément. Cette amélioration semble toutefois intervenir plus tardivement dans la partie sud du Zagros qu’au nord-ouest. Après cette phase plus clémente, qui culmine probablement aux alentours de 5500 BP dans le Fars, le climat semi-aride semble durablement s’installer. A partir de cette époque, les données palynologiques provenant du lac de Maharlou donnent des informations pour la région du Fars central291. Cette étude montrerait l’existence de deux périodes plus arides entre 5000 et 4500 BP puis entre 3000 et 2000 BP, avec deux pulsations sèches centrées sur 2800 BP et 2100 BP encadrant donc la période achéménide. Il faut toutefois insister ici sur le fait que ces données doivent être considérées avec prudence. Elles ne concernent qu’une seule séquence stratigraphique, prélevée dans le lac de Maharlou près de Shiraz donc assez loin de la plaine de Persépolis, et dans un environnement de kevir a priori peu propice à la conservation des pollens. Il existe de plus un temps de réponse entre les changements climatiques et ceux de la végétation qui permet de nuancer les datations proposées. Si, au cours du Ier millénaire, les données à l’échelle macrorégionale semblent indiquer l’existence d’un climat semi-aride comparable à celui qui existe actuellement, avec de forts écarts de température, des hauteurs de précipitations, essentiellement hivernales, proches de 300 mm par an, il est toutefois nécessaire de prendre en compte l’éventualité que le Ier millénaire soit plus sec qu’aujourd’hui.

Pour restituer les dynamiques géomorphologiques, nous disposons de données nouvelles pour la région de Persépolis et de Pasargades grâce aux études menées par J.B. Rigot dans le cadre de notre mission. Les études des terrasses fluviales ont permis de montrer que les lits des rivières Kur et Pulvar étaient probablement déjà profondément enfoncés dans la plaine au Ier millénaire puisque la phase d’incision majeure a débuté aux alentours de 5000 BP, donc près de 2000 ans avant292. Il est toutefois difficile de déterminer avec précision le niveau exact des rivières, il était probablement proche de celui existant actuellement. Pour utiliser l’eau du Kur ou du Pulvar, il était donc nécessaire d’en élever le niveau au moyen de barrage, les seuls vestiges de barrages connus dans la plaine datent toutefois de la période islamique. Comme le démontre la prise d’eau de Sang-e Dokhtar293, datée de la période achéménide, une autre solution consiste à alimenter un réseau de canaux depuis l’amont, à partir des gorges du Tang-e Dorudzan où le lit de la rivière est moins incisé. La pratique d’une agriculture irriguée permet également d’aborder le problème des processus de salinisation secondaire des sols. Les terres arables de la plaine de Persépolis sont actuellement très largement touchées par ce phénomène lié en grande partie à une irrigation mal contrôlée. Il est possible que les populations du Ier millénaire aient rencontré des problèmes comparables, il faudrait toutefois pouvoir documenter leurs pratiques agricoles pour aborder cette question.

Concernant les terrasses fluviales, la terrasse T2 ne va se former qu’à partir de 1300 BP, soit au début de l’ère islamique, elle n’existait donc pas au Ier millénaire. Ces dépôts ont pu cependant recouvrir des installations plus anciennes construites dans le lit des rivières. Enfin, l’aspect des versants des reliefs devaient être à peu près identique à ceux que l’on connaît actuellement, la dynamique de formation des cônes sédimentaires de piedmont semblant s’être stabilisée aux alentours de 5000 BP.

Il paraît difficile d’apporter une réponse à la question de la végétation existant au Ier millénaire. Les données du lac de Maharlou sont trop dépendantes des variations locales dans la plaine de Shiraz. Elles montreraient une diminution du couvert végétal au cours du Ier millénaire mais il est possible que le phénomène soit très localisé. Les études géomorphologiques ne permettent pas de répondre précisément à cette question. Le début de la mise en place de la terrasse T2, probablement aux alentours de 1300 BP, permettraient seulement de supposer un déboisement des versants à partir du début de la période islamique. Comme le montrent les études archéobotaniques menées à Malyan294, le déboisement est très lié aux variations de l’occupation humaine, elle touche d’abord les alentours immédiats des sites et s’étend par la suite à des zones plus vastes. La végétation au Ier millénaire est donc liée à l’intensité de l’occupation. Les chantiers de construction de Persépolis ou les ateliers de production artisanale ont pu demander d’importants volumes de bois et provoquer un déboisement important des versants, phénomène qu’il reste toutefois à prouver. Il faut aussi prendre en compte l’éventuelle sécheresse du climat qui peut également participer au recul de la forêt. En ce qui concerne la faune, des données sur la période néolithiques montrent que la région était giboyeuse mais des études archéozoologiques seraient toutefois nécessaires pour préciser le spectre faunique du Ier millénaire.

Le gradient environnemental qui existe actuellement entre le nord et le sud de la plaine devait déjà exister puisqu’il dépend en grande partie des différences de latitude. Si les sources saumâtres des piedmonts sud-ouest du Kuh-e Rahmat étaient déjà actives, le sud-est de la plaine pouvait être très marécageux. L’existence de ces vastes complexes marécageux dépend également des évolutions de la pente de la plaine, liées en grande partie au soulèvement tectonique de la région qui reste pour le moment peu étudié. Le kevir au sud-est de la plaine existait déjà au Ier millénaire, la question se pose toutefois de sa morphologie et de l’existence ou non des lacs. Si le climat était effectivement plus sec, il est possible qu’ils aient disparu à cette époque. Si la partie sud de la plaine pouvait présenter une morphologie assez différente de son aspect désolé actuel, il faut toutefois imaginer que l’occupation s’est d’abord développée au nord de la plaine, vers des terrains plus fertiles et plus arrosés.

Notes
290.

Cf. § 2.4

291.

Cf. § 2.4.2.1.1

292.

Cf. § 2.3.2

293.

Nicol 1970, Cf. § 6.2.5.1

294.

Cf. § 2.4.2.1.2