2.6.3.2. Les conséquences pour l’archéologie

Les conséquences de ces bouleversements récents du paysage sont multiples et concernent les modes de subsistance, les structures sociales307 ou encore l’environnement, fortement dégradé par une surexploitation des terrains et des ressources en eau308. Dans le cadre de nos prospections archéologiques dans la plaine de Persépolis, ces transformations ont également des conséquences importantes.

Elles sont tout d’abord d’ordre pratique, les visites des sites découverts au cours de prospections anciennes, antérieures au remembrement sont rendues difficiles : tous les points de repères, en dehors des massifs montagneux, ont disparu. Si un site est localisé à côté d’un village par exemple, il est possible que ce dernier ait disparu ou ait été déplacé. De plus, le réseau de routes et de chemins empruntés par les archéologues qui nous ont précédés et qui leur ont permis de visiter les sites a été profondément transformé, rendant leur accès difficile.

Les deux cartes de la région située au nord du Kuh-e Ayyub (Pl. 11) illustrent de plus une des conséquences principales de l’intensification de l’occupation de la plaine : la disparition de nombreux sites archéologiques et plus particulièrement des tepes. Dans le cas présent, seuls les sites présentant une occupation achéménide ont été pris en compte. W. Sumner en avait toutefois relevé beaucoup d’autres dans ce secteur au cours de ses prospections effectuées dans les années 1960, avant les remembrements309. Ne les ayant pas tous visités, nous avons choisi de ne représenter que les sites achéménides sur lesquels nos recherches se sont concentrées310. Cinq tepes présentant une occupation achéménide avaient été relevés au cours des prospections, aujourd’hui un seul subsiste. Le site d’Ak Tepe, encore en place, est situé sur une haute colline naturelle et domine la plaine de 35m, ce qui explique qu’il ait été préservé. Les quatre autres sites correspondaient à des tepes de petite taille qui ont du disparaître lors du remembrement du parcellaire agricole. Le regroupement des parcelles, les travaux de drainages et de nivellement des terrains ont probablement détruit un grand nombre de tepes. Parallèlement, la mécanisation croissante de l’agriculture et la succession des labours profonds ont probablement détruit les plus petits sites. Ces destructions peuvent également être liée à la croissance et au déplacement des villages.

L’intensification récente de l’occupation peut également avoir des conséquences plus inattendues. Plusieurs tepes visités au cours de nos prospections sont en effet en partie détruits sans pour autant que les surfaces nivelées fassent place à des parcelles cultivées. Les sédiments constituant les tepes sont issus de la dégradation des constructions en brique crue et des déchets accumulés durant les occupations successives. Les tepes offrent donc des réserves de terre fine et riche en éléments organiques qui peuvent servir à amender les champs et les jardins. A proximité des agglomérations, les tepes peuvent également servir de carrière de terre argileuse, utilisée pour des travaux de construction311.

La plaine s’est donc totalement transformée depuis ces quarante dernières années et les grandes campagnes de prospections archéologiques menées avant la révolution islamique312. Elle présente un paysage neuf issu des grandes campagnes de remembrement récentes. Dans le cadre des études archéologiques régionales de la plaine, cet environnement est difficile à appréhender car le paysage ne conserve que très peu d’éléments des organisations anciennes. Le parcellaire a été complètement réorganisé, les anciens réseaux d’irrigation ont disparu. Il reste toutefois quelques secteurs préservés au nord de la plaine : les régions de Bayza et d’Abarj (Pl. 2) n’ont par exemple pas été concernées par le programme d’irrigation du barrage de Dorudzan ; la région de Band-e Amir présente un parcellaire et une organisation du territoire qui semble avoir peu évolué depuis plus de 1000 ans. Les reliefs restent également assez préservés bien que de vastes secteurs de piedmonts ont été mis en culture. Les massifs montagneux demeurent assez sauvages et ne sont parcourus que par les bergers. Il faut toutefois noter l’ouverture récente de quelques carrières.

Si le paysage de la plaine de Persépolis est bien le produit des différentes civilisations qui se sont succédées dans la région pendant des millénaires, la pression croissante de l’occupation humaine au cours de ces dernières décennies s’est traduite pas une transformation en profondeur du paysage dont les éléments les plus anciens ont en grande partie disparu.

Notes
307.

Ajami 2005

308.

Nadji 1997

309.

Sumner 1972

310.

Cf. § 6.2.3

311.

Abdi 2001 : 78-80 constate également que le site de Malyan a pu servir de carrière d’argile pour la construction ou de terre pour amender les jardins des villages voisins.

312.

Cf. § 6.1.1