5.1.1. Persépolis réduit à la terrasse royale

5.1.1.1. Persépolis cantonné à un rôle essentiellement symbolique
5.1.1.1.1. L’interprétation des bas-reliefs

En 1991, H. Sancisi-Weerdenburg a publié une synthèse s’interrogeant sur les origines de l’hypothèse, largement répandue, selon laquelle se déroulait tous les ans à Persépolis, en présence du roi, la fête du Nouvel An iranien, le Nowrouz501. Elle introduit son étude en évoquant deux articles de 1957 défendant cette thèse, et rédigés par deux spécialistes de l’archéologie et de l’histoire de l’art iraniennes. Ces deux articles sont fondateurs d’une interprétation religieuse et ritualiste du site de Persépolis, reprenant ainsi une idée déjà véhiculée par les récits de voyageurs bien avant le XXe siècle502, et lui offrant ainsi une certaine légitimité scientifique503. Ainsi R. Ghirshman affirme504 : « Persepolis était une idée de Darius de créer, non pas une capitale dans le sens politique que nous donnons a ce terme, mais une capitale réservée aux cérémonies de la plus grande fête religieuse, celle de Now Rouz ou Jour de l'An, qui était en même temps une fête nationale et impériale. ». Indépendamment, la même année, A.U. Pope écrit: « The main function of Persepolis was to provide a splendid setting to reflect on earth the heaven above, and by its grandeur and transcendant beauty to lend irresistible power to the appeal of king and people, and to induce the gods to re-enact on earth this demonstration of abundance. ».

A la base de ces deux articles, on retrouve une interprétation des bas-reliefs de Persépolis, considérés comme une représentation conforme de la cérémonie de Nowrouz. L’ensemble des bas-reliefs de la Terrasse détaillerait non seulement les nombreux participants, mais également les différentes étapes de la procession rituelle du Nouvel-An. Partant de cette thèse, les différentes constructions de la plateforme royale sont également réinterprétées en fonction de leur possible rôle cérémoniel. Par la suite, la recherche du caractère essentiellement cérémoniel du site donne lieu à des rapprochements anachroniques avec des tablettes babyloniennes d’époque Séleucide, qui détaillent le déroulement de cérémonies du Nouvel-An en Mésopotamie505, ou encore à la construction d’une théorie astronomique de l’orientation des bâtiments de la Terrasse, destinée à déterminer précisément le déclenchement des festivités du printemps506. Sans tomber dans de tels écueils, cette théorie ritualiste va être suivie et discutée par une grande partie des iranologues507.

C. Nylander a été l’un des premiers à mettre en doute l’existence d’une fête de Nouvel An à Persépolis508. Il constate que la célébration de Nowrouz le premier jour du printemps n’est tout simplement pas attestée pour la période achéménide. Il suppose de plus que, si celle-ci avait réellement lieu, elle ne ressemblerait en rien à des pratiques plus récentes. Pour les tenants de l’hypothèse ritualiste, il existe en effet un parallèle évident entre le programme pictural des bas-reliefs et la tradition iranienne actuelle consistant à s’offrir des cadeaux le jour du Nouvel An. Un des arguments les plus pertinents est sans conteste celui avancé dans un article de P. Calmeyer509 : d’après certains auteurs antiques, le roi séjournait généralement à Persépolis vers la fin de l’automne, et non au printemps. Une des conclusions de l’article de H. Sancisi-Weerdenburg, cité en introduction de cette partie, est donc que la célébration de Nowrouz n’est pas attestée à Persépolis pour la période achéménide510.

Il est toutefois possible que les bas-reliefs s’inspirent de scènes réelles récurrentes, bien attestées, qui se déroulaient au cours des déplacements du roi dans l’ensemble de l’Empire, et au cours desquels les représentants des différents peuples venaient s’acquitter de dons symboliques auprès du roi511. Dans ce cas, il ne s’agirait donc pas d’une seule et unique cérémonie qui aurait eu lieu seulement à Persépolis. Les frises peuvent certes s’inspirer de scènes réelles, mais en l’absence d’attestation formelle, elles valent surtout pour leur caractère symbolique. Le programme iconographique, replacé dans les traditions égyptiennes et moyen-orientales, apparaît donc plus comme une représentation profane, symbolique du pouvoir du roi sur les peuples conquis, et des relations, avant tout économiques et pacifiques, qu’il entretient avec ces derniers512. Le message de puissance ainsi véhiculé se retrouve fixé dans la pierre des édifices royaux de la terrasse de Persépolis.

Notes
501.

Sancisi-Weerdenburg 1991b

502.

ibid. : 176

503.

Avant cette date, l’hypothèse est évoquée dans quelques publications archéologiques, par exemple Breasted 1933 : 15 ou encore Anonyme 1934 : 231. L’hypothèse est également reprise par Schmidt 1953 : 82. Enfin, pour la même période, il faut également citer Barnett 1957, qui traite plus spécifiquement de l’identification des différentes nations représentées sur les bas-reliefs de l’Apadana, le tout représentant pour lui la cérémonie de Nouvel An.

504.

Ghirshman 1957 : 265

505.

Fennelly 1980. Levine et al. 1981réfutent point par point les différentes hypothèses de Fennelly 1980, pointant de nombreuses erreurs factuelles et méthodologiques.

506.

Lentz-Marburg & Schlosser 1968 et Lentz-Marburg 1972 ; cette hypothèse est contestée par Krefter 1973

507.

Il serait trop long de lister toutes les références à la célébration du Nouvel An à Persépolis entre 1957 et les années 1970, ; parmi les ouvrages ou les articles de synthèse voir Erdmann 1960 : 44-47, Krefter 1971 : 96-102, Frye 1962 : 101, Deshayes 1969 : 598, Wilber 1969 : 17, Matheson 1972 : 224, Gnoli 1974 : 123-125. Il faut noter que certains font preuve de prudence et ne prennent pas part au débat, par exemple Vanden Berghe 1959 : 27-37 se cantonne à la description des monuments de Persépolis sans vraiment se prononcer sur la fonction du site.

508.

Nylander 1974 ; Sancisi-Weerdenburg 1991b: 174

509.

Calmeyer 1980 et Briant 1996 : 936 développent les arguments sur ce dernier point : Darius est mort à Persépolis en novembre 486 ; il semble attesté que le Roi pouvait séjourner à Persépolis fréquemment tout au long de l’année.

510.

Sancisi-Weerdenburg 1991b: 201, elle, ne porte cependant pas de jugement définitif sur son absence et conclut en donnant quelques pistes de recherche pour approfondir le sujet et mettre en place un protocole d’étude sur l’origine de la fête de Nowrouz.

511.

Pour la pratique et la symbolique des dons : Calmeyer 1980 : 57 et Briant 1996 : 196-207 ; sur le parallèle possible avec les bas-reliefs de Persépolis ibid. : 206

512.

Root 1979 : 236-240, Root 1980 : 12, Calmeyer 1980 : 61