5.1.1.1.2. Le silence des auteurs grecs

Dans un chapitre consacré à l’organisation administrative de l’Empire achéménide, R.N. Frye traite du problème des capitales. A propos de la fonction de Persépolis, il écrit « Persepolis was virtually unknown to the Greeks before Alexander's conquests. », et plus loin « One may speculate that the site was sacred or taboo to ordinary people, or that some event in the life of Darius made this area of special importance for him. » 513 . A la lecture des auteurs grecs contemporains de l’Empire achéménide, l’absence de mention de Persépolis signifierait donc que cette dernière possède un statut à part. Nichée au cœur de la Perse, la cité serait un sanctuaire tabou, interdit à toute personne étrangère, et cachée au reste du monde514. Persépolis n’existe pas aux yeux des Grecs, donc ce n’est ni une ville d’importance, ni une capitale.

Cette hypothèse a été contestée sur plusieurs points. Tout d’abord sur le plan logique, le fait de raisonner par le vide à partir des seuls écrits grecs paraît dangereux : si l’on pousse le raisonnement à l’extrême, tout ce que n’ont pas mentionné les auteurs antiques n’existe pas515. Il se peut de plus que la ville soit citée, mais pas sous le nom de Persépolis. Un des principaux témoignages utilisé par les historiens pour traiter de l’Empire achéménide est celui de Ctésias, médecin grec qui a résidé à la cour royale achéménide516 ; or il ne mentionne jamais Persépolis tandis qu’il traite bien de la Perse. Il semble toutefois que, dans certains cas, le terme grec Perse peut, suivant le contexte, désigner le peuple, le pays ou la ville517. Le nom de Persépolis n’apparaît que tardivement dans des textes postérieurs à la chute de l’empire achéménide518. Ainsi, si pour les Grecs, Suse ou Babylone apparaissent comme des centres administratifs et économiques bien connus et sont largement évoqués, ils ne devaient probablement pas ignorer l’existence de Persépolis.

Concernant les arguments issus des textes classiques pour attester de l’importance du caractère symbolique du site, il paraît donc raisonnable de constater qu’ils sont pour le moins allusifs sur le sujet. D’une manière générale, il est impossible de traiter de Persépolis en se basant sur l’étude des auteurs grecs contemporains de l’Empire achéménide. En effet, P. Calmeyer, étudiant les parallèles entre les bas-reliefs de Persépolis et les textes grecs, introduit son article en ces termes « Even the two most prominent historians, contemporary with the Achaemenids, Herodotus and Ctesias give us much information of Persian customs and even court affairs but next to none on the palaces and houses, where all that took place.» 519 .

Notes
513.

Frye 1962 : 101 pour les deux citations

514.

Mousavi 1992 : 204-207 suppose que le secret qui entoure le site était lié à son rôle de trésorerie royale ; Mousavi 2005 : 35 avance un autre argument : le site est resté méconnu car sa construction n’a jamais été achevée.

515.

Root 1980 : 8 à propos de l’absence de mention à Persépolis chez Xénophon ; Sancisi-Weerdenburg 1991a : 3 sur le manque d’intérêt des auteurs classiques quant à la description des sites et bâtiments royaux.

516.

Sancisi-Weerdenburg 1987 : 35-37 expose les différentes réserves émises concernant les textes de Ctésias souvent pris comme un témoignage direct en provenance de la cour achéménide, alors que ses témoignages, connus de manière indirecte, reflètent également ses centres d’intérêts personnels et ses présupposés idéologiques.

517.

Cameron 1973 : 56 Ctésias écrit que les rois sont enterrés en Perse, or on sait qu’ils sont très précisément inhumés à Persépolis, Cameron propose dont de traduire, pour ce cas très particulier, Perse par Parsa. Amandry 1987 : 164-n8 souligne que la même confusion entre la ville et le pays se retrouve dans les inscriptions en vieux perse et seul le contexte permet de proposer une traduction adéquate.

518.

Allen 2007 : 315

519.

Calmeyer 1980 : 55