5.1.2. La ville de Persépolis

5.1.2.1. Une importante activité attestée par les archives

Si en apparence E. Herzfeld ne semble pas avoir accordé une importance prioritaire à l’étude des tablettes inscrites retrouvées au cours de ses fouilles, leur traduction progressive a offert un éclairage nouveau sur l’organisation administrative achéménide. Ce témoignage est d’autant plus important qu’il s’agit de la seule source directe de documentation provenant du centre de l’Empire554. La traduction et l’exploitation du contenu de ces tablettes ont fait l’objet d’un grand nombre de publications qu’il serait inutile, voire impossible, de citer ici555. Nous ne donnerons ici qu’un exposé très général sur le contenu de ces archives, en insistant plus particulièrement sur leurs conséquences sur la recherche archéologique à Persépolis.

Les différentes tablettes inscrites ont été retrouvées en deux lots. Un premier ensemble de 746 documents a été découvert dans le bâtiment dit de la « Trésorerie » situé au sud-est de la terrasse de Persépolis, et est en partie publié dès 1948 par G. Cameron556. Le second est de loin le plus important. Il provient des fouilles des fortifications au nord-est de la terrasse, et représente la grande majorité des archives disponibles, puisque ce sont entre 20000 et 25000 tablettes ou fragments de tablettes qui ont été retrouvés. Il est à noter que ces tablettes ne sont pas toutes inscrites, certaines ne présentant qu’une ou plusieurs empreintes de sceau557. Parmi celles qui sont inscrites, 4833 ont été traduites par R.T. Hallock, dont un peu moins de la moitié a été publiée jusqu’à présent558.

Les auteurs soulignent plusieurs problèmes fondamentaux concernant l’étude de cette documentation, dont les trois principaux559 sont : la langue élamite, dans laquelle la grande majorité des archives a été rédigée, reste encore mal connue et de nombreux termes sont mal compris ; les archives mises au jour témoignent de l’activité de l’administration persépolitaine sur des périodes de temps très limitées ; elles concernent avant tout la région située dans les environs immédiats de Persépolis. Cette dernière spécificité, si elle réduit la portée géographique des informations contenues à une petite partie de l’Empire, signifie par contre que les archives sont une source de première importance pour notre étude de la plaine de Persépolis.

La question de la chronologie est à considérer plus précisément. En effet, les différents textes de la Trésorerie couvrent une période allant de 492, la fin du règne de Darius, jusqu’à 458 av. J.-C., le début de celui de Artaxerxes I. L’intervalle de temps couvert par les archives des Fortifications est encore plus réduit, car elles se concentrent entre 509 et 494 av. J.-C. Les deux tiers des textes publiés provenant de la Trésorerie sont datés de la seule année 466, et la moitié de celles des Fortifications des années 500-499560. Les tablettes offrent donc un instantané de l’activité qui régnait à Persépolis très concentré dans le temps. Même si l’on n’en a pas la trace, il est possible d’imaginer que Persépolis a été un centre administratif sur l’ensemble de la période achéménide, voire post-achéménide.

Les tablettes des Fortifications traitent pour leur grande majorité de la collecte, du stockage et de l’attribution de produits alimentaires. Ces tâches sont sous la surveillance d’une administration très hiérarchisée561. La distribution de denrées est destinée à la cour, aux fonctionnaires ou aux artisans œuvrant sur les chantiers de construction de Persépolis, ainsi qu’aux ouvriers travaillant dans les domaines ou les ateliers gérés par l’administration562. Ces produits alimentaires sont donc destinés à des groupes variés, résidant ou circulant dans la région. Même si des pans entiers de l’économie persépolitaine restent encore largement inconnus, d’après les données disponibles, les tablettes retranscrivent une importante activité à Persépolis : l’ensemble de l’administration et des différentes tâches de stockage et de distribution à partir des réserves, sans compter les chantiers de construction, devait demander le concours d’un nombre important de personne. W. Henkelman résume ainsi l’extraordinaire intérêt que représente l’étude des tablettes : « The image of many interrelated clay tablets that constitute a single archive really captures and recreates the network of activities and individuals that made up the dazzling mosaic of Achaemenid Parsa. » 563 . Beaucoup plus qu’un rôle uniquement symbolique, les archives traduisent donc l’existence à Parsa d’un centre régional très actif ,entouré d’une véritable ville aux fonctions multiples.

Notes
554.

Briant 1996 : 435-436 ; Kuhrt 2007 : 763 ; Henkelman 2008 : 65-67

555.

En outre ibid. : 65-179 publie une synthèse très fouillée sur la nature des archives des Fortifications et de leur contenu ainsi que sur l’ensemble des études thématiques publiées à leur sujet ; concernant ce dernier aspect voir plus particulièrement la note 153 p.67.

556.

Cameron 1948 ; les différentes données sur le nombre de tablettes et la composition des lots proviennent de Jones & Stolper 2008

557.

La glyptique de Persépolis a été en partie étudiée par Garrison & Root 2001, qui doit être complétée par deux autres volumes à venir.

558.

Hallock 1969 ; les traductions des tablettes restantes, au nombre de 2713, ont du reste été largement utilisées par Henkelman 2008. W. Henkelman va les diffuser très prochainement dans le cadre du Persepolis Fortification Archive Project de l’Université de Chicago, projet au sein duquel se poursuit le travail de traduction, cf. Stolper 2010 : 84-85. En outre, les archives des Fortifications ont fait l’objet en 2006 d’un colloque spécifiquement dédié à leur étude, publié en 2008 (Briant et al. 2008), qui témoigne de la dynamique actuelle des études sur les tablettes de Persépolis.

559.

Pour Kuhrt 2007 : 763-764

560.

ibid. : 463 ; Henkelman 2008 : 178-179

561.

Briant 1996 : 437-442 ou Henkelman 2008 : 126-134 sur le fonctionnement et les différentes strates de l’administration.

562.

Toute personne qui effectue un travail pour l’administration nécessitant d’être payé sous forme de ration est désignée par le terme générique de kurtash. Le versement de rations à ces travailleurs, provenant de divers provinces de l’empire, concernent une grande majorité des textes, cf. Briant 1996 : 442

563.

Henkelman 2008 : 66