5.1.2.2. Le problème de la localisation et de l’extension de la ville de Parsa

L’étude des archives permet donc de supposer la présence à Parsa d’un personnel permanent et nombreux appartenant à l’administration ou employé par elle564. Parallèlement, les diverses activités attestées par les tablettes obligent à restituer l’existence de bâtiments administratifs, d’infrastructures de stockage, d’ateliers pour les artisans, ou encore d’habitations. Force est de constater que parmi les différentes constructions mises au jour par les différents campagnes de fouilles à Persépolis, réduites à la terrasse et aux environs immédiats, très peu pourraient correspondre à ce type de construction. Cette observation reste vraie même si l’on étend notre vision de Persépolis à l’ensemble formé par la terrasse, l’ensemble du Barzan-e Jonoubi formé par les édifices au sud de celle-ci, et les pentes fortifiées du Kuh-e Rahmat à l’est565 (Pl. 17).

Sur la terrasse, seule la Trésorerie paraît correspondre à un édifice faisant office de centre administratif et de réserve royale566. Dans le Barzan-e Jonoubi567, un seul bâtiment (Pl. 19, bâtiment A) constitué d’une succession de salles étroites pourrait constituer les vestiges de magasins. Concernant les lieux de résidence, le bilan est également contrasté : la plupart des bâtiments de la terrasse royale correspondent à des édifices d’apparat centrés sur des salles hypostyles, qu’il paraît difficile d’habiter. Le Tachara de Darius ou le Hadish de Xerxes, ont été longtemps interprétés comme des palais où réside le roi. Leur fonction résidentielle est aujourd’hui largement mise en doute568, et aucun des bâtiments construits sur la terrasse ne semblent correspondre à une habitation569. Au sud de la terrasse, trois bâtiments au maximum (Pl. 19, bâtiments B, G et H) pourraient toutefois faire office de résidence570. On voit ici que le bilan est maigre concernant la présence, dans ce nous appellerons par la suite le quartier royal 571 , de bâtiments administratifs et d’habitations princières qui doivent donc être situés à proximité, mais dont on n’a pas la trace. Il faut de plus rappeler ici qu’à la mort de Darius, la plupart des différentes constructions n’étaient pas achevées572. Les archives datant pour l’essentiel de la fin de son règne, les quelques bâtiments énumérés auparavant, qui pourraient abriter les résidences et les différentes administrations, n’étaient donc pas terminés, sauf la Trésorerie, un des rares bâtiments susceptible d’accueillir les activités gérées par l’administration persépolitaine, attestées par la traduction des tablettes. Soulignons enfin que les quelques résidences supposées, concentrées dans le Barzan-e Jonoubi, correspondent à des constructions luxueuses réservées au roi ou à l’élite573. Les fouilles archéologiques n’ont donc révélé aucune trace de l’habitat plus commun des ouvriers et autres fonctionnaires de l’administration.

Notre connaissance archéologique de Parsa est donc limitée au seul quartier royal, dont le contour reste à préciser comme nous le verrons par la suite574. Qui plus est, cet ensemble de constructions connues, majoritairement des bâtiments d’apparat, n’est pas à même d’accueillir le roi et sa cour lors de leurs séjours à Persépolis. En liaison avec l’hypothèse de P. Briant du « roi itinérant », se déplaçant avec sa cour à travers l’empire et exerçant un pouvoir itinérant575, R. Boucharlat576 propose de restituer, dans les zones non-construites situées à proximité de la terrasse, l’emplacement du camp royal. Si l’hypothèse de constructions temporaires, de structure légère et ayant de ce fait laissé peu de traces archéologiques est tout à fait possible, il est toutefois nécessaire de restituer l’existence à Parsa d’une véritable ville, concentrant l’ensemble des activités permanentes, ainsi que des secteurs d’habitats dont la localisation précise fait justement défaut577. Cette ville est peut-être à situer autre part, et pourrait correspondre à l’ancienne Matezzish connue d’après les archives de Persépolis.

Notes
564.

Il ne semble pas exister d’évaluation globale chiffrée du nombre de personnes travaillant à Persépolis, à la différence des centres administratifs régionaux dépendant de Persépolis pour lesquels les archives donnent une image plus complète de l’activité, cf. Kuhrt 2007 : 766. Par exemple le nombre de travailleurs employés par la « trésorerie » de Shiraz est de 181, 77 à Urandush. A Persépolis, le travail d’analyse de M. Roaf sur les sculpteurs employés sur les chantiers de Persépolis, activité connue d’après les tablettes de la Trésorerie, permet de montrer qu’à la fin du règne de Xerxes 18 sculpteurs sur bois et 151 sculpteurs sur pierre étaient employés, cf. Roaf 1980 : 68-69. Il montre par ailleurs que ces chiffres sont très variables entre le début et la fin de son règne. Ce sont donc plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de personnes, qui travaillent quotidiennement à Persépolis.

565.

Boucharlat 2007 : 455

566.

Au terme d’une des rares synthèses sur la fonction d’un bâtiment de la terrasse impliquant l’ensemble des données disponibles, Cahill 1985 : 386-387 estime que la trésorerie a servi à la fois de centre administratif d’importance limitée, et de lieu de stockage royal d’objets provenant de diverses provinces de l’empire ; Razmjou 2010 : 242-243 limite la fonction de la Trésorerie à un simple bâtiment de stockage d’objets divers, plutôt luxueux, et définit le bâtiment comme une sorte de musée.

567.

Cf. § 5.2.3

568.

Pour une synthèse des débats sur les fonctions de ces deux bâtiments, voir ibid. : 232-242 où il rejette catégoriquement le terme de palais et préfère suggérer une fonction religieuse aux deux bâtiments.

569.

ibid. : 244, où il estime que les différents bâtiments de la terrasse servent d’abord à des audiences et à des réceptions, d’après lui la terrasse est d’abord le lieu de cérémonies et de rites royaux. On voit ici que les interprétations fonctionnelles des bâtiments de la terrasse n’ont finalement guère évolué depuis 50 ans.

570.

Mousavi 1999 restitue un quartier résidentiel dans le Barzan-e Jonoubi comportant également des bâtiments d’apparat provisoires dans l’attente de l’achèvement des travaux sur la terrasse. Boucharlat 2010a : 435 définit les bâtiments B, G et H comme de possibles résidences.

571.

Cf. § 5.2.1

572.

Roaf 1983 : 150, 157,.151-fig.152 ; Boucharlat 2010a : 429

573.

Mousavi 1999 : 151

574.

Cf. § 5.2.5.1

575.

Briant 1988 ; Briant 1996 : 200-207

576.

Boucharlat 1997a : 222-223

577.

Boucharlat 2005a : 230 ; soulignons toutefois la tentative de Mousavi 1999 de définir l’existence d’un « […] urbanisme fonctionnel indéniable. » à partir de l’emplacement et la fonction supposés des différentes constructions connues : elle se heurte toutefois aux différentes lacunes évoquées dans cette partie : les différents édifices connus à ce jour ne peuvent pas définir une ville regroupant un ensemble d’activités complexes.