5.1.2.3. Parsa/Matezzish

Dans les archives publiées des Fortifications et celles de la Trésorerie, R.T. Hallock a compté l’occurrence de Parsa (Persépolis) dans 351 tablettes578. Le toponyme de Matezzish apparaît pour sa part 37 fois579 ; après Suse et Parsa il s’agit de la plus importante destination pour les voyageurs (soldats, messagers, membres de l’élite…) mentionnée dans les tablettes. Dans les archives, Parsa et Matezzish paraissent donc bien différenciés par des toponymes différents. Toutefois, l’étude des tablettes, couplée aux données archéologiques de terrain, fait état d’une étroite interrelation entre les deux lieux.

Les arguments en faveur de la proximité de Matezzish et de Parsa ont été discutés par plusieurs auteurs580. Ils tiennent essentiellement dans le fait que les nombreux travailleurs employés à Matezzish reçoivent leurs rations directement des réserves de Parsa, que plusieurs notables semblent occuper des fonctions dans les deux endroits, et enfin que la destination finale des voyageurs peut être tantôt Parsa ou tantôt Matezzish sans réelle distinction. Matezzish semble de plus avoir été un centre urbain important et très actif durant toute la période achéménide. Il est admis que la ville de Matezzish préexiste à Parsa581. Cette hypothèse se base essentiellement sur l’identification du toponyme Humadeshu apparaissant dans les tablettes babyloniennes du règne de Cambyse à Matezzish582. Ainsi, P. Briant estime que la construction des différents édifices royaux a pu s’appuyer sur l’existence d’un centre urbain déjà bien établi, qui a pu servir de base logistique aux travaux gigantesques entrepris par la volonté de Darius583. D’autres auteurs vont plus loin et estiment que Matezzish correspond à un centre de pouvoir régional déjà bien établi à l’époque de Darius, et que Parsa deviendra par la suite la nouvelle capitale administrative du Fars584. Matezzish reste alors un centre actif, étroitement lié à Parsa, et fait certainement office de capitale économique de la région. H. Koch va jusqu’à suggérer que Parsa et Matezzish ne forment qu’une seule et même agglomération qui correspondrait à la capitale585. De ce fait, et pour des raisons qui tiennent également à l’archéologie et qui seront détaillées par la suite, nous avons choisi de désigner la ville de Persépolis sous le terme double de Parsa/Matezzish, lorsque nous ne faisons pas référence directement à un seul de ces toponymes. Persépolis ne sera le plus souvent utilisée que comme une contraction de ce que nous avons défini comme étant la zone d’occupation de Persépolis.

Les vestiges d’édifices, antérieurs à la fondation de la terrasse de Persépolis et situés dans les environs de la terrasse de Persépolis, ont été étudiés et ont fait l’objet de publications par l’équipe italienne dirigée par G. Tilia, qui travaillait à la restauration des différents édifices royaux586. Il s’agit de l’ensemble de bâtiments mis au jour à Bagh-e Firuzi587, à 3 km à l’ouest de la terrasse (Pl. 15 et 23), et des deux monuments situés à Dasht-e Gohar588, à 5 km au nord. Dans les deux secteurs, différents détails architecturaux lui ont fait dater ces différents édifices de la période de Cambyse589. D. Stronach voit dans cet ensemble l’embryon d’une capitale, construite par Cambyse sur le modèle de Pasargades590. On voit ici que les données archéologiques sont en concordance avec l’hypothèse de l’existence d’une occupation achéménide à proximité de la terrasse de Persépolis avant sa fondation. Cet ensemble de bâtiments correspond toutefois à un ensemble de constructions richement construites, présentant des salles à colonnes ou encore des seuils en pierre. Il ne peut donc pas s’agir a priori de la ville. Se basant sur les données de R.T. Hallock, W. Sumner591 s’essaie à une définition de la zone urbaine de Matezzish592 à partir des données de ses prospections entreprises dans la plaine de Persépolis. Pour lui, l’emplacement de la ville correspond à un groupe de tepes, s’étendant sur 25 ha, qu’il a repéré à 1,5 km à l’ouest de la terrasse de Persépolis, lieu qu’il appelle Persepolis West (Pl. 22 et 26). Le développement de la ville, sous l’impulsion de la fondation de Parsa, aurait alors pu faire de l’ensemble formé par Bagh-e Firuzi et Persepolis West une seule et même ville. Pour W. Sumner, l’occupation achéménide autour du village moderne de Firuzi n’est pas limitée au seul ensemble architectural de Bagh-e Firuzi, mais englobe plusieurs autres sites, présentant des artefacts achéménides et disséminés tout autour de Firuzi. Firuzi s’étend donc d’après lui sur plus de 600 ha. Firuzi et Persepolis West constitueraient en quelque sorte deux ensembles bien distincts, formant Matezzish : à Firuzi un groupe de résidences destinées à l’élite, probablement inclus dans un ensemble de parcs et de jardins ; à Persepolis West les vestiges de la ville concentrant les activités économiques, administratives et les habitats. Ainsi, W. Sumner conclut sa tentative d’identification de Matezzish comme suit : « If Matezzish is a large urban center supplying workers rations and other materials and services in support of daily operations and continued construction at Persepolis, then the choice of Persepolis West and Firuzi as the location of Matezzish seems obvious » 593. Parallèlement, W. Sumner ne définit pas clairement Parsa d’un point de vue archéologique. Il l’identifie à Persépolis, mais sans en définir les contours, et la considère donc implicitement comme un lieu distinct de Matezzish594. Du fait de ces observations, le fait de nommer a priori la ville par le double toponyme de Parsa/Matezzish traduit également une position de prudence, illustrant le manque de données archéologiques permettant de distinguer précisément les deux lieux.

Notes
578.

Sur les différents noms par lesquels est désigné Parsa dans les archives voir par exemple Roaf 2004 : 394

579.

Sumner 1986a : 21-Table2 reprend des données qui lui ont été transmises par R.T. Hallock, cf. p.21-n.96

580.

Enoncés par Hallock 1978 : 113 et repris par Stolper 1984 : 306-307 ; Sumner 1986a : 20, Briant 1996 : 99 et plus particulièrement détaillés par Koch 1990 : 25-29

581.

Cuyler Young 2003 souligne en outre que le nom de Parsa n’apparaît pas dans les archives babyloniennes antérieures au règne de Darius.

582.

Cette identification a d’abord été proposée par Zadok 1976 puis reprise et acceptée par Stolper 1984 : 307 ; Koch 1990 : 30. Elle est toutefois contestée par G. Tolini (com. pers.) dans une thèse qui sera soutenue prochainement et traitant des relations entre la Babylonie et l’Iran à l’époque achéménide. Il propose effectivement de localiser Humadeshu plus proche de Babylone, peut-être en Elam.

583.

Briant 1996 : 99

584.

Stolper 1984 : 307 ; Koch 1990 : 29-30 ; Kuhrt 2007 : 470 qui suggère en plus que la nécropole royale de Naqsh-e Rustam est probablement à relier à la ville ; Henkelman 2008 : 118 place Matezzish « […] in the Persepolis agglomeration ».

585.

Koch 1990 : 29 « Aus all diesen Beobachtungen geht hervor, dass es sich bei Matezzish um einen wichtigen Ort handeln muss, der in unmittelbarer Nähe von Persepolis zu liegen Scheint. Dies veranlasste auch R.T. Hallock anzunehmen, dass beide Ortsbezeichnungen für ein und denelben Ort gebraucht wurden. ».H. Koch fait suivre cette hypothèse du commentaire de plusieurs tablettes qui illustrent que les noms de Parsa et Matezzish peuvent désigner le même lieu.

586.

Tilia 1974, Tilia 1978

587.

Cf. § 5.4.3

588.

Cf. § 5.5.1

589.

Datation discutée par Bessac & Boucharlat 2010 : la plateforme à degrés de Takht-e Rustam et le pavillon attenant pourraient également dater du début du règne de Darius, cf. § 5.5.1.1

590.

Stronach 2001

591.

Sumner 1986a

592.

Ce terme est emprunté à W. Sumner, cf. ibid. : p.22

593.

ibid. : 23

594.

Il est intéressant de comparer deux des tableaux de synthèse publiés par Sumner 1986a : p.12-Table1, le tableau récapitulatif des différentes occupations achéménides de la plaine de Persépolis inclut Firuzi et Persepolis West, mais pas Parsa/Persépolis, qui implicitement n’est pas considéré par l’archéologue comme un lieu occupé ; p.21-Table2, le tableau présente une hiérarchie des différents sites dont les noms sont connus d’après les archives, Parsa est alors placée au sommet et classée comme un ville.