Persépolis, limitée à la seule terrasse royale et considérée comme un ensemble de bâtiments d’apparat isolé, dont la construction ex-nihilo s’est faite par la volonté de Darius, ne pouvait que correspondre avant tout à un site symbolique, un haut-lieu dynastique, situé au centre de la Perse et destiné uniquement à accueillir des cérémonies royales. Le programme iconographique et architectural de la terrasse définit Persépolis comme un instrument de la propagande royale, destiné à glorifier la puissance du roi qui s’illustre par l’étendue de son empire et la diversité des peuples sur lesquels il règne599. Il a fallu attendre la traduction d’une partie des archives de la Trésorerie et des Fortifications pour que Persépolis se révèle dans toute sa complexité, et apparaisse non seulement comme une résidence royale, mais également comme un centre administratif et économique régional très actif. Force est néanmoins de constater que, face aux progrès des études épigraphiques, l’archéologie accuse un retard et a du mal à retrouver les preuves matérielles de la complexité organisationnelle de la capitale. L’absence de vestige dans les environs immédiats de la terrasse, argument souvent employé lorsqu’est évoqué le statut soi-disant à part de Persépolis, est pour le moins discutable. Les données archéologiques sur les différents vestiges achéménides situés hors de la terrasse ont certes été peu et mal diffusées, mais leur existence, connue dès le départ des fouilles menées à Persépolis, semble quasiment ignorée par de nombreux chercheurs. Leurs regards se tournent irrémédiablement vers la terrasse royale, ses bas-reliefs et ses vestiges prestigieux. Ainsi, dans un mouvement d’aller-retour entre les archéologues et les préoccupations de l’ensemble de la communauté iranologique, l’activité archéologique s’est essentiellement focalisée sur la terrasse royale, où tout nouveau résultat obtenu est très largement commenté et repris.
Les fouilles et les prospections menées dans les environs de la terrasse royale ont permis de révéler plusieurs secteurs d’occupation achéménide au sein de la zone d’occupation de Persépolis. La mise au jour progressive depuis les années 1930 de l’ensemble architectural Barzan-e Jonoubi, situé au sud de la terrasse, augmente l’emprise des constructions à caractère royal et définit, en y associant les fortifications construites sur les pentes du Kuh-e Rahmat, les contours d’un véritable quartier royal. A l’ouest, dans la plaine, s’étendent, selon W. Sumner, les vestiges de la ville de Matezzish, ses quartiers populaires, ses ateliers ainsi que des résidences destinées à l’élite. Il s’agit d’une ville qui serait active avant le règne de Darius ; elle a pu offrir les infrastructures et les travailleurs nécessaires à la mise en œuvre de la construction du quartier royal. W. Sumner la localise à Persepolis West et autour de Firuzi, village moderne situé à 3 km du quartier royal. Plus au nord, les monuments de Dasht-e Gohar pourraient témoigner de l’existence de constructions royales bien avant la construction de la terrasse, et sont peut-être à relier à l’existence de Matezzish. Plus au nord, à 6 km du quartier royal, la nécropole royale de Naqsh-e Rustam définit la limite nord de la zone d’occupation royale car elle caractérise, au même titre que la construction du quartier royal, l’importance de l’investissement dans l’aménagement de la région par les souverains achéménides. L’ensemble de ces vestiges permet de définir ce que nous avons appelé la zone d’occupation de Persépolis, d’une surface de plus de 20 km². Les 12 ha de la terrasse de Persépolis, et même le quartier royal dans son ensemble, ne représentent donc qu’une petite partie de cette région, jouant toutefois probablement un rôle central, et doivent être restitués comme faisant partie d’un plus vaste espace aménagé.
La prise en compte de l’ensemble des données disponibles permet de restituer une toute autre image de Persépolis. Toutefois, de nombreuses questions restent en suspens ; elles contribuent à définir nos problématiques et notre stratégie de recherche dans la zone d’occupation de Persépolis.
La question primordiale est certainement la caractérisation de la ville que nous avons choisi d’appeler Parsa/Matezzish. Pour l’instant, ses vestiges supposés ne couvrent que les seuls 25 ha de Persepolis West, auxquels W. Sumner propose de rattacher le secteur de Firuzi. Si la surface ainsi définie est très vaste, plus de 800 ha, la densité des vestiges archéologiques y est très faible. La nature des vestiges est variable : une concentration de tepes à Persepolis West et, comme nous le verrons par la suite, à Firuzi Sud ; des constructions luxueuses employant largement des éléments d’architecture en pierre à Bagh-e Firuzi. Enfin, le quartier royal présente un ensemble plus dense et cohérent de constructions d’apparat. Entre ces différents secteurs, aucune continuité spatiale de l’occupation n’a pu être caractérisée, et il est impossible d’affirmer que la ville de Parsa/Matezzish couvre l’ensemble de la surface. L’espace à considérer est encore plus vaste si l’on prend en compte l’ensemble des constructions achéménides réparties sur la zone d’occupation de Persépolis. L’existence d’un plan d’organisation d’ensemble, dans lequel pourraient s’insérer les différents vestiges, pourrait être un premier élément permettant de définir la ville. Les différents secteurs détermineraient alors les différents quartiers d’une même ville. L’exploration des zones situées entre les différents vestiges ou groupes de vestiges connus pouvait également révéler de nouvelles zones bâties, et démontrer une continuité de l’occupation. A l’inverse, l’occupation a pu se développer de manière tout à fait indépendante dans différents secteurs bien délimités mais certainement interdépendants. Il était alors nécessaire de définir le plan d’occupation de chacun des secteurs au sein de limites bien définies.
A l’intérieur des différents secteurs, la nature précise de l’occupation reste très imparfaitement définie. Cette observation est vraie même pour le quartier royal, pourtant mieux connu car largement fouillé et étudié, et pour lequel les débats autour de la fonction des différents bâtiments sont toujours d’actualité. La définition même de ses limites pose également un problème, car elle laisse plus ou moins de place à l’existence de constructions annexes aux édifices d’apparat pouvant abriter l’habitat de l’élite, l’administration et les magasins royaux. A Firuzi et à Persepolis West, l’occupation n’a été caractérisée par W. Sumner et G. Tilia que par des prospections de surface et des sondages limités. S’ils ont permis de distinguer des vestiges de natures différentes, des constructions luxueuses et des tepes issus de l’érosion de bâtiments en brique crue, le plan et la fonction précise des occupations ne sont pas connus. Cette observation vaut également pour les deux monuments, le Takht-e Rustam et le pavillon à colonnes, construits à Dasht-e Gohar. L’existence d’habitats populaires, de zones d’activité artisanales ou encore de bâtiments publics ou administratifs n’est qu’une hypothèse qu’il reste à démontrer. En l’état, il manque donc de nombreuses composantes de la ville. Un autre aspect rarement abordé, mais qui constitue une autre des composantes traditionnelles des villes, est l’absence de nécropoles. Des prospections anciennes sur les piedmonts ont révélé de nombreuses fosses et niches funéraires rupestres, pour la plupart mal ou non datées. L’hypothèse d’une datation achéménide de ces aménagements est peu probable mais doit toutefois être considérée600. Les pratiques funéraires à l’époque achéménide sont un des grands thèmes pour lequel l’archéologie reste muette. Aucune nécropole, datée de l’époque achéménide, n’a en effet pu être mise en évidence, excepté à Naqsh-e Rustam et sur les pentes du Kuh-e Rahmat à l’est de la terrasse de Persépolis, où elles ne sont destinées qu’à accueillir les dépouilles des rois et de leur famille.
Ce n’est peut-être qu’en considérant les vestiges d’occupation achéménide sur l’ensemble des 20 km² de la zone d’occupation de Persépolis que l’on pourra éventuellement commencer à définir les différentes composantes de la ville. Il n’est toutefois pas concevable de restituer une ville, définie comme étant une concentration de constructions, sur l’ensemble de cet espace. Notre hypothèse est donc que celui-ci devait nécessairement comporter de vastes zones non-bâties mais tout de même occupées et aménagées. En cela, les traces de carrières sur les piedmonts contribuent également à caractériser l’occupation achéménide autour de Persépolis. De même, l’étude des canaux peut apporter des informations sur la mise en valeur des terrains non-bâtis. Nous supposons donc que le quartier royal n’est que la partie la plus visible, et la mieux connue, d’un plus vaste projet d’aménagement coordonné par l’administration royale et voulu par Darius, s’appuyant sur les ressources offertes par un riche territoire.
Root 1979 : 236-240, Calmeyer 1980 : 61
Cf. § 5.5.4.3