5.2.2.3. L’hypothèse de lignes de défense multiples

Si, vers l’est, le système défensif du secteur royal est renforcé par un long rempart construit sur les pentes du Kuh-e Rahmat, il présente cependant des faiblesses au sud et au sud-ouest de la terrasse.

Ces lacunes du système défensif pourraient s’expliquer par l’existence d’autres lignes de défense, en avant de la terrasse vers le sud et vers l’ouest, renforçant la protection de l’ensemble. A. Mousavi évoque tout d’abord la possible existence d’un fossé, ou plutôt de douves, au pied de la terrasse, le long des limites ouest et sud636. Ceci expliquerait en partie la relative faiblesse défensive de la limite sud de la terrasse, la protection étant en partie assurée par l’existence de ce fossé. Il aurait eu de plus un rôle d’agrément pour un jardin situé au pied de la terrasse, et aurait été lié au système de canalisation de la terrasse et du Barzan-e Jonoubi. La présence de ce fossé est cependant très hypothétique, et ne repose que sur que très peu de données archéologiques attestées. En effet, il n’existe pas de preuve formelle de la présence de douves, si ce n’est dans les sondages effectués par A. Tadjvidi au pied de la terrasse, qui n’ont révélé que la présence de sédiments déposés en milieu humide mais aucune section de fossé637. L’existence d’un fossé est néanmoins attestée en contrebas des pentes du Kuh-e Rahmat, par les fouilles de E.F. Schmidt dans le secteur du  « Garrison Quarters », au pied du rempart qui longe la limite sud-est de la terrasse royale. Ce fossé, qui mesure entre 6,5 et 9 m de large pour 1,6 m de profondeur, aurait cependant eu plus un rôle de protection contre les inondations lors des épisodes orageux qu’une réelle fonction défensive, puisqu’il est situé en amont du rempart construit pour protéger les pentes du Kuh-e Rahmat638. La présence de douves entourant la terrasse, qui auraient ainsi complété le système défensif de la terrasse royale, doit donc être considérée comme une simple hypothèse sans attestation archéologique.

La présence d’autres lignes de remparts n’est pas mieux documentée et se base surtout sur la description de Persépolis donnée par Diodore de Sicile639, qui évoque la présence de trois remparts concentriques protégeant la cité. Le troisième rempart correspondrait à la terrasse elle-même, c'est-à-dire à son soubassement en pierre surmonté par endroit d’un rempart en brique crue, auquel il convient d’ajouter les fortifications des pentes du Kuh-e Rahmat. Il reste donc à étudier les données sur l’existence des deux autres lignes de fortification.

Concernant le second rempart, dès la fin du 19e siècle, H. Weld-Blundell640 reconstitue, à partir de ses observations des divers vestiges au sud de la terrasse royale, une seconde enceinte englobant l’ensemble du quartier royal, Barzan-e Jonoubi inclus. Au sud encore, E. Herzfeld observe la présence, aux alentours de la tombe inachevée, de restes de murs qui pourraient correspondre au tracé d’un second rempart641. Ces données anciennes restent cependant tout à fait imprécises et peu nombreuses. Aucune étude archéologique spécifique n’a été menée sur les restes visibles de cette ligne de défense périphérique lors des grandes campagnes de fouille menées à Persépolis au cours des années 1930 et 1940. Aujourd’hui, du fait des aménagements récents, ces vestiges ont disparu. Parmi les objectifs de A. Tadjvidi, lors de la reprise des fouilles, la recherche des restes de ce second rempart constituait une de ses priorités. Ainsi, vers le sud, outre les différentes fouilles effectuées sur les bâtiments du Barzan-e Jonoubi, il a ouvert une série de sondages plus à l’ouest jusqu’au niveau de l’angle sud-ouest de la terrasse. Ces travaux ont permis la mise au jour de différents segments des fondations en pierre d’un long mur, de direction nord-ouest/sud-est, situé à une centaine de mètres de la terrasse642. Ce mur pourrait constituer les fondations du second rempart, qui partirait donc des environs de la tombe inachevée au sud, où les vestiges d’un grand mur ont été signalés. Il engloberait ensuite l’ensemble du secteur royal formé par le Barzan-e Jonoubi et la terrasse de Persépolis643, en suivant le tracé matérialisé par les sections de fondation d’un mur mis au jour par A. Tadjvidi. A. Mousavi, pour sa part, fait continuer ce mur jusqu’à la limite septentrionale du vallon nord qui jouxte la terrasse (Pl. 18)644. S’il est nécessaire, dans le plan de reconstitution du système défensif proposé par A. Mousavi, de refermer cette seconde ligne de défense au nord, rien ne prouve que le vallon nord, qui jouxte la terrasse royale, était protégé par ce second rempart. Nous verrons de plus que ce secteur était probablement peu construit à l’époque achéménide645. Le mur pouvait également s’arrêter plus au sud, par exemple au niveau de l’angle nord-ouest de la terrasse.

Reste le troisième rempart évoqué par Diodore de Sicile, le plus éloigné de la terrasse. A. Mousavi évoque la découverte par A. Sami des vestiges d’un rempart en brique crue à 500m à l’ouest de la terrasse, qui présenterait une orientation parallèle au second mur646. Cette découverte ne semble cependant pas avoir été documentée plus précisément, et constitue un indice somme toute assez faible pour permettre de reconstituer le tracé du troisième rempart décrit par Diodore de Sicile647. Récemment, les résultats d’une recherche concernant les limites de Persépolis ont été publiés dans une revue scientifique spécialisée en télédétection648. Les auteurs prennent comme base pour la détection du tracé des anciens remparts de la ville la valeur d’albédo des remparts du Kuh-e Rahmat. Ils recherchent ensuite, sur les différentes images aériennes dont ils disposent, tous les pixels qui correspondent à cette même valeur, et en concluent qu’ils pourraient correspondre aux restes d’une ancienne muraille. Ils terminent leur article en restituant une enceinte encerclant très largement la terrasse, incluant les remparts des crêtes du Kuh-e Rahmat et le Barzan-e Jonoubi, et passant à environ 600 m à l’ouest de la terrasse. Il nous semble que cette méthode n’est pas appropriée pour mettre en place une cartographie aussi fine des murailles : la valeur d’albédo des vestiges des remparts en terre du Kuh-e Rahmat doit en effet être très proche du sol nu de la plaine. Enfin, le protocole de recherche ne semble pas avoir inclu de vérifications in situ, étape qui paraîtrait ici tout à fait nécessaire. Finalement, force est de constater qu’il n’existe donc aucune information fiable sur l’existence de ce troisième rempart.

Notes
636.

Mousavi 1992 : 219-220 ; Mousavi 1999 : 149

637.

Mousavi 1992 : 220

638.

Schmidt 1953 : 211

639.

ibid. : 215 ; la description par Diodore du troisième rempart est la suivante : « La troisième enceinte, enfin, a la forme d’un quadrilatère et le rempart qui l’entoure, haut de soixante coudées est construit en pierre dure, bien propre à demeurer en place éternellement » Diodore XVII.71.5.

640.

Weld-Blundell 1893 : 547-556 dont les principaux résultats sont résumés par Mousavi 1992 : 217 et Mousavi 2002 : 220-222

641.

Herzfeld 1929 : 22 et 32 ; Mousavi 1992 : 218 a traduit un passage d’un guide de Persépolis en persan rédigé par H. Basiri, le premier inspecteur des fouilles menées par l’Oriental Institute de Chicago, confirmant la présence de vestiges de murs à proximité de la tombe inachevée.

642.

Tadjvidi 1976 : 70 et p. 68-fig.20 les segments de mur fouillés ont été relevés sur un plan d’ensemble, ainsi que les parements des terrassements dans le secteur du Barzan-e Jonoubi ; résultats repris par Kleiss 1980: 210-Abb.9 ; l’ensemble des résultats des fouilles iraniennes concernant un possible second rempart est résumé par Mousavi 1992 : 217-218.

643.

ibid. : 218

644.

ibid. : 210-fig.2 ; Boucharlat 1997 : 222-n.9 propose une autre hypothèse de restitution concernant les trois enceintes évoquées par Diodore de Sicile : la première correspondrait aux remparts du Kuh-e Rahmat, la seconde à la terrasse elle-même, et la troisième aux segments de mur mis au jour par A. Tadjvidi.

645.

Cf. § 5.2.2.3.1

646.

Mousavi 1992 : 217 ; Boucharlat 1997 : 222-n.9 doute de la pertinence de la prise en compte de ce seul segment de mur pour restituer le tracé du troisième rempart

647.

Il le décrit comme étant « haut de seize coudées et pourvu d’un soubassement de grand prix, le premier est orné au sommet d’une ligne de merlons en forme de tour » Diodore XVII.71.4.

648.

Aminzadeh & Samani 2006