5.2.3.4.2. La limite du Barzan-e Jonoubi vers le sud

La limite sud du Barzan-e Jonoubi se matérialise sur les divers plans existants par les bâtiments F et C. Néanmoins, plus au sud, des aménagements à caractère royal ont été découverts.

A proximité du secteur fouillé, la prise en compte de la tombe inachevée, aménagée en partie dans les affleurements calcaires, pourrait éventuellement permettre de repousser un peu plus au sud les limites du quartier royal. Les différents auteurs qui se sont intéressés à cette construction s’accordent en effet sur le caractère royal de la tombe, soulignant les similitudes du programme architectural et iconographique avec les tombes rupestres surplombant la terrasse de Persépolis ou celles de Naqsh-e Rustam716. E. Herzfeld et E.F. Schmidt pensaient que cette sépulture était destinée à accueillir la dépouille de Darius III717. Néanmoins, une étude plus récente a souligné que certains détails techniques et stylistiques pourraient montrer que la construction de la tombe inachevée prendrait place entre celle des sépultures de la nécropole de Naqsh-e Rustam et celle des deux tombes royales situées sur le Kuh-e Rahmat718. Dans cette hypothèse, le chantier aurait donc pu être entamé entre les règnes de Darius II et d’Artaxerxès II, soit entre la fin du Ve et le milieu du IVe siècle av. J.-C. Le chantier de la tombe inachevée aurait effectivement pu être abandonné du fait des difficultés rencontrées pour la taille du monument funéraire dans une roche fragile et très fissurée, comme nous avons pu le constater sur place719. Face à ces difficultés, les concepteurs auraient dès lors pu préférer construire les tombes royales sur les pentes du Kuh-e Rahmat au-dessus de la terrasse. Quelle que soit l’hypothèse retenue, la présence de cette tombe permet néanmoins de supposer que le secteur du Barzan-e Jonoubi faisait pleinement partie du quartier royal, puisque les tombes rupestres royales peuvent être indifféremment construites au-dessus de la terrasse ou au sud du secteur méridional. Les deux emplacements devaient donc avoir le même poids symbolique, et étaient aptes à accueillir une sépulture royale. En termes de chronologie, le rattachement possible de la tombe inachevée au quartier royal signifie également que le Barzan-e Jonoubi connaissait une activité de construction bien après la fin des grands travaux mis en œuvre par Darius et Xerxès sur la terrasse, ceci quelle que soit la date retenue pour la tombe inachevée. Par extension, le quartier méridional n’aurait donc pas été conçu uniquement comme le lieu de résidence temporaire de la cour. Enfin, entre les bâtiments les plus au sud et la tombe inachevée, les fouilles ont également mis au jour un grand réservoir d’eau en pierre720. Il y a donc continuité spatiale des constructions. La limite du secteur construit du Barzan-e Jonoubi est donc peut-être à repousser plus au sud que les bâtiments C et F, jusqu’à la tombe inachevée.

La question des limites du Barzan-e Jonoubi se complique encore si l’on prend en compte les différents éléments d’architectures achéménides mis au jour plus au sud, en direction de l’actuel emplacement du village de Shamsabad (Pl. 20). Elles pourraient, suivant les auteurs, témoigner de la présence d’une zone d’occupation bien différenciée de celle du Barzan-e Jonoubi721 ou de sa continuité en direction du sud722.

Les découvertes dans ce secteur ont été faites en deux temps. Au sud-est du Barzan-e Jonoubi, une première observation a été effectuée par A. Tadjvidi. Un bâtiment présentant des seuils et des bases de colonne en calcaire a été mis au jour723. La localisation géographique précise du site pose problème (Pl. 20 – marquée par cercle rouge). Sur la carte de la région de Persépolis, publiée par A. Tadjvidi, le site se trouve au nord d’un cercle figurant les limites d’une coopérative agricole située à l’ouest des sites de Tol-e Bakun. Or dans son texte, il écrit que ces fouilles ont été entreprises suite à une découverte fortuite lors de la construction du village de Shamsabad724, village qui se trouve actuellement entre le Barzan-e Jonoubi et Tol-e Bakun. La localisation proposée sur la carte de A. Tadjvidi est donc probablement erronée. Une photo d’ensemble du site prise vers l’est montre que le bâtiment est assez proche du piedmont du Kuh-e Rahmat725, il pouvait donc se trouver au nord de l’emplacement actuel du village. A. Tadjvidi faisait de ce bâtiment, d’architecture comparable à celle des autres bâtiments de prestige du Barzan-e Jonoubi, un indice de continuité de ce secteur en direction du sud-ouest726.

Au cours de la période où l’équipe de G. Tilia travaillait à la restauration des monuments de la terrasse, une base de colonne de type achéménide a été découverte sur un tepe assez vaste mais peu élevé, situé entre la tombe inachevée et les deux tepes Tol-e Bakun A et B727 (Pl. 20-marquée par un ovale rouge). Ce site, aujourd’hui nivelé du fait de la construction du village de Shamsabad, devait se situer à peu près à 1 km de la limite sud du Barzan-e Jonoubi. La publication italienne ne précise par si cette base de colonne a été retrouvée en place où si elle a pu être réemployée. Malgré ces incertitudes, W. Sumner suppose que l’ensemble du tepe pouvait correspondre aux vestiges d’une ville achéménide du fait de la surface, 8,2 ha, du site et de la présence de cette seule base de colonne728. La présence d’une seule base de colonne, comme il est possible d’en trouver en d’autres endroits de la plaine de Persépolis729, en place ou réemployée, ne nous paraît toutefois pas suffisante pour caractériser une vaste occupation, appelée Persépolis South par W. Sumner, qui en fait un des bourgs achéménides de la plaine730. Il serait probablement plus pertinent de replacer cette base de colonne dans le contexte plus large de l’existence possible de bâtiments à caractère royal ou aristocratique au sud du Barzan-e Jonoubi.

La présence de ces différents indices architecturaux montre qu’au-delà de la tombe inachevée, il y a une continuité de la présence de bâtiments achéménides à caractère prestigieux présentant des éléments d’architecture en pierre de taille. A partir de ces quelques indices isolés, il est difficile d’attester d’une continuité au sud du Barzan-e Jonoubi, ou de la présence d’une zone d’occupation achéménide indépendante. En l’état, ces quelques données permettent de restituer, au sud du Barzan-e Jonoubi, au mieux un maillage d’occupation assez lâche, avec la présence de résidences séparées de plusieurs centaines de mètres. Ce schéma d’occupation rappelle celui de Bagh-e Firuzi, au nord-ouest de Persépolis731. Pour notre part, nous placerons la limite sud du Barzan-e Jonoubi au niveau de la tombe inachevée et du grand réservoir en pierre situé à l’ouest. La première est de style royal, donc se rattache clairement au quartier royal, et le second est très probablement relié au réseau d’évacuation et de récupération de l’eau de pluie mis en place sur l’ensemble du quartier royal.

Notes
716.

Herzfeld 1929 : 32 ; Schmidt 1970 : 107 ; Kleiss & Calmeyer 1975 ; Briant 1995 : 754

717.

Herzfeld 1929 : 32 ; Schmidt 1970 : 107

718.

Kleiss & Calmeyer 1975 : 94-98 ; Calmeyer 1990a : 11-12. Voir aussi Briant 2003 : 39-52 qui démontre que dans les textes il n’y aucune indication que Persépolis soit le lieu d’inhumation de Darius III.

719.

J.-C. Bessac, communication personnelle.

720.

Cf.§ 5.2.3.2.2

721.

Sumner 1986a : 9

722.

Tadjvidi 1976 : 14

723.

ibid.

724.

La construction de ce village a été entreprise pour accueillir les habitants du village de Takht-e Jamshid, proche de la terrasse royale, expulsés lors de l’aménagement du site pour les festivités du Jubilé de 1971. La fouille de sauvetage de ce bâtiment a certainement eu lieu peu de temps avant cette date.

725.

ibid. : 15-fig.8

726.

ibid. : 14

727.

 Tilia 1978 : 80 donne une description très succincte de la base de colonne et des conditions de sa découverte ; Sumner 1986a : 9 estime la surface du tepe à 8,2 ha, l’emplacement et les contours du tepe sont indiqués sur la carte p.8-ill.4

728.

ibid. : 9, rien n’indique dans le texte qu’il ait visité le site et ait pu y observer d’autres indices d’occupation achéménide, par exemple la présence de concentrations de céramiques. Le Gazetteer (cf. § 6.1.3.4) ne donne pas plus d’indication pour ce site.

729.

Cf.§ 6.2.3.5 et 6.4.3.1.2

730.

Cf § 6.1.3.2

731.

Cf. 5.4.3 et 5.4.5.1.2