5.3.3.3.3. Etude d’une coupe stratigraphique
L’ensemble du secteur de Persepolis West présente en surface des concentrations d’artefacts de nature variée. Il s’agit essentiellement de tessons de céramique, mais également de blocs décimétriques en calcaire, ou encore de fragments de récipients en pierre. Les différents champs prospectés étaient recouverts de végétation rase mais dense, l’absence de visibilité rendait donc impossible tout essai de cartographie des répartitions des céramiques. Néanmoins, de nombreux tessons tapissaient les fonds des différents canaux d’irrigation et d’autres, plus épars, ont pu être repérés dans les champs.
Au cours de nos prospections à Persepolis West, nous avons pu repérer de grandes fosses creusées au pied du petit relief situé au centre du secteur rassemblant les parcelles prospectées. Ces tranchées, destinées à entreposer du fertilisant organique, sont bien visibles sur les images aériennes (Fig. 5-26). Elles présentent pour certaines une profondeur de 2 m, et mesurent une quinzaine de mètres de long. Un nettoyage sommaire d’une des parois latérales a permis d’étudier et de relever une stratigraphie archéologique ( Fig. 5-27).
Sous une couche superficielle de remblais, puis sous l’horizon humique stérile, les différents niveaux d’occupation ancienne se développent sur environ 1,5 m de hauteur. Le nettoyage de cette coupe n’a pas révélé la présence d’aménagements construits, il est néanmoins possible qu’une rectification plus minutieuse de la coupe aurait pu révéler la présence de structures en brique crue. La section présente donc une succession de couches à matrice argileuse, allant du brun foncé pour la couche supérieure, au brun clair pour la couche médiane, jusqu’au grisâtre pour la troisième grande unité stratigraphique située à la base de la coupe. En dessous, à la faveur d’une dépression de 50cm de long située au centre de la coupe, il a été possible de constater la présence d’un sol très brun, contenant du matériel archéologique. La base de la coupe ne correspond de ce fait probablement pas au sol vierge, et les dépôts archéologiques se développent plus profondément.
Les quatre couches archéologiques, numérotées de 1 à 4, contiennent chacune du matériel archéologique : principalement de la céramique, mais également des pierres et un fragment de vase en pierre dans la couche 2 (Fig. 5-27). Au sein de ces grandes unités stratigraphiques sont incluses des poches de matériaux hétérogènes. Une première, notée 2-3, est située à l’interface des deux couches 2 et 3, et correspond à une poche de sol brun stérile. Les autres inclusions sont situées dans les couches 3 et 4 et ont été notées 3.1, 3.2, 3.3 et 4.1. Les unités stratigraphiques 3.1 et 3.2 sont formées de sédiments pulvérulents de couleur grisâtre, qui correspondent très probablement à des poches cendreuses, 3.2 contenant de plus une importante concentration de céramiques très fragmentée. Le faciès des unités 3.3 et 4.1 est sensiblement différent : il s’agit de couches beaucoup plus argileuses et compactes. 3.3 est également de couleur grise, résultant d’un mélange de cendres et de sédiments argileux. 4.1 correspond à une très fine couche de sédiments verdâtres très argileux. Ces deux dernières unités se distinguent par la présence de fortes concentrations de charbon de bois.
Dans l’ensemble, la céramique prélevée dans la coupe ne semble pas présenter de différences techno-morphologiques flagrantes entre les différents niveaux. Cette constatation doit cependant être nuancée, car très peu de tessons diagnostiques ont été retrouvés, les fragments de céramique étant le plus souvent de très petite taille. Le spectre céramique est donc composé principalement de céramique commune et sans décors. Les quelques bords retrouvés (Fig. 5-28) dans la couche 2 et dans l’unité 3.2 correspondent à de petits bols ouverts, et présentent des points communs avec les formes des céramiques achéménide/LPW publiées par W. Sumner836 (Pl. 14 et 15). L’occupation ancienne dans le secteur semble donc se concentrer sur la période de la deuxième moitié du Ier millénaire. Il aurait bien entendu été intéressant de distinguer d’éventuelles différences typologiques entre les niveaux. Le temps consacré à l’étude de cette coupe a été trop limité pour permettre une telle analyse837. Un tel travail aurait demandé un nettoyage plus méticuleux de la paroi, et une étude de l’ensemble des coupes des différentes fosses.
L’étude de cette coupe nous a surtout permis d’obtenir des informations sur la nature des dépôts archéologiques à Persepolis West, et d’aider ainsi à l’interprétation des résultats géophysiques.
Tout d’abord, cette étude amène à une estimation de l’épaisseur des dépôts archéologiques. La cote supérieure de la couche 1 avoisine les 1611 m alors que la base de la coupe est située à environ 1609,5 m. L’épaisseur des couches d’occupation ancienne est donc d’au moins 1,5 m sur ce secteur, sachant que la stratigraphie est probablement plus développée, comme le montre la présence de la couche 4 observée dans une petite fenêtre à la base de la coupe. La superposition avec la carte de 1966 permet néanmoins de constater que les fosses se trouvent au pied d’un tepe, aujourd’hui moins élevé car probablement en partie nivelé lors de la construction de la station de pompage moderne. La présence de ce tepe pourrait correspondre à une occupation plus développée et plus ancienne à cet endroit, et donc se traduire par l’existence de dépôts archéologiques plus épais. Toutefois les fosses se trouveraient au pied de l’ancien relief, il est donc possible que les couches archéologiques se développent sur plus d’1 m dans les environs immédiats. L’existence de plusieurs couches bien différenciées pourrait de plus traduire la succession de plusieurs phases d’occupation. Leur datation, basée sur la présence de céramiques achéménide/LPW, peut s’étendre sur l’ensemble des périodes achéménide et post-achéménide838.
Autre constatation, si l’on retire l’épaisseur de la couche de remblai liée au creusement de la fosse, les couches archéologiques sont presque affleurantes. Le sommet de la couche 1 est situé entre 20 et 40 cm sous la surface. Les dynamiques géomorphologiques de recouvrement après l’abandon des occupations ont donc été très faibles. Cette faible profondeur d’enfouissement des niveaux archéologiques pourrait constituer une explication au fait que les cartes magnétiques obtenues ne montrent pas de plan d’organisation des occupations anciennes. La succession des labours mécanisés a en effet pu largement perturber les couches archéologiques superficielles sur l’ensemble de la région, provoquant ainsi un arasement des vestiges. Ce possible arasement des vestiges avait déjà été supposé à partir des résultats des prospections magnétiques mises en œuvre à proximité du parking ouest839.
Enfin, l’existence, dans la coupe, de poches cendreuses ou de sédiments cendreux à fortes teneurs en charbon de bois, pourrait indiquer la présence de foyers ou de fours à proximité. Or, jusqu’à récemment, aucune zone de production artisanale n’était connue pour le Ier millénaire dans la plaine de Persépolis840. L’existence de fours pourrait également expliquer les fortes valeurs de gradient, car les vestiges de structures de combustion, ou les déchets produits par les ateliers, sont généralement très magnétiques841.