5.5.1.1. Description du secteur de Dasht-e Gohar

5.5.1.1.1. Takht-e Rustam, la plateforme monumentale

Au cours de l’hiver 1932-1933, E. Herzfeld a effectué des fouilles sur la plateforme à la recherche de documents de fondation1003. Dans ce but, les blocs constituant le cœur de l’édifice ont été démontés1004. Un demi-siècle plus tard, F. Krefter, un des architectes travaillant avec E. Herzfeld, a publié quelques observations effectuées au cours de ces fouilles1005. L’édifice dans son état actuel a été remonté en 1975 par l’équipe dirigée par G. Tilia1006. Que ce soient les fouilles ou les restaurations, ces différents travaux n’ont donné lieu à aucune publication détaillée. D’autres archéologues ont toutefois publiés des études et des descriptions de Takht-e Rustam1007, la plus récente correspondant à une étude, technique du bâtiment menée en 2005, dans le cadre de nos missions de recherche, par J.-C. Bessac, spécialiste de la taille de pierre1008.

Il n’existe pas de relevés architecturaux détaillés de Takht-e Rustam1009. La description générale de la construction peut se résumer en quelques lignes. La plateforme est de forme rectangulaire, chacun de ses angles pointant dans une des directions cardinales. Les côtés nord-ouest et sud-est mesurent 12,2 m et les deux autres 13,3 m1010 (Fig. 5-63). La krêpis ne conserve que deux degrés de blocs d’1,04 m d’épaisseur, le second niveau étant en retrait de 58 cm par rapport à la base1011 (Fig. 5-64). Les dimensions des blocs sont imposantes, beaucoup dépassent en effet 2 m de longueur.

Figure 5‑63 : Vue verticale sous ballon captif et dimensions des côtés de la plateforme de Takht-e Rustam (printemps 2007, cliché BNC)
Figure 5‑63 : Vue verticale sous ballon captif et dimensions des côtés de la plateforme de Takht-e Rustam (printemps 2007, cliché BNC)

Il existe plusieurs hypothèses concernant la fonction de l’édifice1012, mais du fait de la pauvreté de la documentation disponible, elles se fondent le plus souvent sur des observations d’ordre général et aucune n’a pu être démontrée. Les plus convaincantes s’appuient sur des comparaisons architecturales avec des constructions monumentales connues. Diffusée par E.F. Schmidt1013, et reprise par la suite par L. Vanden Berghe1014, une des hypothèses voudrait faire de cette plateforme la base d’une tour construite sur le modèle de celles de Pasargades ou Naqsh-e Rustam1015. E.F. Schmidt souligne une proximité des dimensions des bases à degrés des tours et de celles du second niveau de Takht-e Rustam pour appuyer son hypothèse. Plus tard, W. Kleiss dresse des comparaisons architecturales avec des monuments royaux achéménides connus1016. Il teste l’hypothèse de E.F. Schmidt mais l’estime peu probable car les bases des deux tours sont parfaitement carrées alors que Takht-e Rustam est de forme légèrement rectangulaire1017. Comme E. Herzfeld avant lui1018, W. Kleiss constate en outre que les dimensions et la forme de la plateforme sont très proches de celles de la tombe de Cyrus à Pasargades. Depuis, les vestiges de Takht-e Rustam sont le plus souvent considérés comme la base d’une tombe monumentale1019. Par ailleurs, au cours des fouilles de E. Herzfeld, deux fosses mitoyennes ont été découvertes, probablement à cinq ou six assises de petits blocs plus bas que la surface préservée de la plateforme1020. Les dimensions de ces fosses, fermées par un couvercle, seraient suffisantes pour accueillir un corps humain et elles pourraient correspondre à des tombes1021.

Un autre point, abordé par les différents auteurs, concerne l’aspect inachevé du monument. Par comparaison avec la tombe de Cyrus à Pasargades, il est évident que, s’il s’agit du même modèle de construction, il manque ici plusieurs degrés à la plateforme ainsi que l’ensemble de la superstructure constituant la chambre funéraire. C’est également l’aspect de surface de certains blocs, dont la face externe n’est pas complètement lissée, qui permet de supposer le caractère inachevé du monument. Cependant, l’étude menée par J.C. Bessac permet de nuancer cette observation1022 : elle démontre que le procédé de la taille finale au ravalement a été mise en œuvre à Takht-e Rustam. Cette technique consiste à égaliser le parement d’un édifice en pierre une fois que sa construction est terminée1023. Le parement du second degré de la plateforme de Takht-e Rustam présente en majorité un nu définitif, c'est-à-dire que les faces externes des blocs sont aplanies et lissées. Au niveau du degré inférieur, quelques blocs seulement présentent des faces externes brutes d’équarrissement (Fig. 5-64). Le ravalement s’effectuant toujours de haut en bas, il était donc presque terminé puisque seule la finition du degré inférieur est restée en partie inachevée. Au moment où le chantier s’est arrêté, le monument de Takht-e Rustam était élevé dans sa totalité. En outre, l’élévation actuelle de la plateforme ne représente qu’une partie de celle d’origine. En effet, la surface des blocs du second degré présente un lit d’attente soigneusement taillé. La surface actuelle de la plateforme (Fig. 5-63) a donc dû accueillir une superstructure : un ou plusieurs degrés de la plateforme et peut-être une construction au sommet1024.

Figure 5‑64 : Vue de la face sud-est de la plateforme de Takht-e Rustam, a droite les blocs du premier degré présente un parement brut de carrière (prise de vue vers le nord, hiver 2004, cliché SG)
Figure 5‑64 : Vue de la face sud-est de la plateforme de Takht-e Rustam, a droite les blocs du premier degré présente un parement brut de carrière (prise de vue vers le nord, hiver 2004, cliché SG)

La question de la datation de ce monument a été reprise récemment par R. Boucharlat1025. Il est probable que cette construction date des deux premières décennies du règne de Darius, soit entre 520 et 500 av. J.-C. Ce dernier aurait pu faire construire la tombe de Takht-e Rustam pour son père Hystaspe1026. Toutefois la question de l’attribution de ce monument funéraire ne pourra être probablement résolue que par la découverte de documents textuels.

Notes
1003.

Schmidt 1953 : 3

1004.

Schmidt 1970 : 42

1005.

Krefter 1979 : 24, ses observations tiennent en un paragraphe d’une quinzaine de lignes.

1006.

Les informations concernant les restaurations sont très lacunaires, Tilia 1978 : XIII-XIV évoque ce travail en introduction du second volume consacré aux travaux de l’équipe italienne dans le Fars, deux photographies sont publiées Tilia 1978 : pl. 41-Fig. 9-10 montrant l’état de la structure respectivement avant et après restauration. Schmidt 1953 : Pl. 19A-B , Stronach 1978 : Pl. 186-187 et Trümpelmann 1988 : 17-Abb.11 publient également des photographies du monument avant restauration.

1007.

Schmidt 1953 : 56-57 ; Kleiss 1971 ; Stronach 1978 : 302-304 ; Trümpelmann 1988 : 15-20.

1008.

Bessac & Boucharlat 2010.

1009.

Kleiss 1971 : 160-Abb. 5a et Stronach 1978 : 303-Fig. 12 (a, b) publient des plans schématiques de la construction.

1010.

Kleiss 1971 : 160-Abb. 1.

1011.

Stronach 1978 : 303-Fig. 128.

1012.

Ces hypothèses sont ici brièvement évoquées. Bessac & Boucharlat 2010 : 3-14 publient un historique détaillé des recherches sur Takht-e Rustam.

1013.

Schmidt 1953 : 56-57

1014.

Vanden Berghe 1959 : 24

1015.

Respectivement appelées Zendan-e Suleiman et Kabah-e Zardusht

1016.

Kleiss 1971

1017.

ibid. : 8

1018.

Herzfeld 1941 : 214-215

1019.

Tilia 1978 : 73 ; Stronach 1978 : 302-304 ; Trümpelmann 1988 : 15-20

1020.

Cette découverte a été signalée par Krefter 1979 : 24. Henkelman 2003 : 158-n.111 note que par la suite cette information est passée inaperçue. Toutefois Trümpelmann 1988 : 18-Abb.12 publie une vue de détail des deux fosses. Bessac & Boucharlat 2010 : 15-19 aborde la question de l’emplacement de ces deux fosses à partir de l’étude de relevés provenant des archives de E. Herzfeld (fig.9) et des différentes photographies du monument disponibles pour son état avant restauration.

1021.

Bessac & Boucharlat 2010 : 7-n.2 notent que sur son relevé E.Herzfeld indique la présence d’ossements au niveau inférieur des fosses mais ne les décrit pas. L’unique trouvaille mentionnée par Krefter 1979 : 24 est celle d’un pendentif en or. Pour Henkelman 2003 : 158 la présence de ce bijou pourrait éventuellement constituer un indice de la présence d’une inhumation.

1022.

Bessac & Boucharlat 2010 : 21-29 présentent de manière détaillée l’ensemble des observations et conclusions proposés, seules les grandes lignes de la démonstration sont reprises ici.

1023.

Bessac 1999 : 50-51 ; Bessac & Boucharlat 2010 : 23-28 détaillent les différentes étapes du processus de la taille au ravalement. Krefter 1967, 1971 : 32-34 et Nylander 1970 : 32-47 ont également étudié les différentes étapes de la construction monumentale achéménide en pierres appareillées ; s’ils estiment que la finition se fait bien une fois le bloc positionné, la chronologie précise des différentes étapes de la finition n’est pas détaillée. Les bas-reliefs mis à part, ils semblent penser que le travail de finition peut être entamé au cours du chantier de construction.

1024.

Bessac & Boucharlat 2010 : 15-19, 28-29

1025.

ibid. : 30-36

1026.

Henkelman 2003 : 157-160