5.5.1.1.2. Le bâtiment hypostyle

Le bâtiment hypostyle a été découvert fortuitement au cours de l’automne 1973, un tracteur ayant déterré une base de colonne au cours d’un labour1027. Les vestiges se signalaient également par la présence d’un faible relief1028. Une série de sondages a ensuite été ouverte par l’équipe dirigée par G. Tilia qui travaillait alors à la restauration du bâti monumental de la terrasse royale de Persépolis1029. Les fouilles ont permis la mise au jour de plusieurs bases de colonne en forme de tore placées sur des blocs de fondation équarris à la surface desquels un lit de pose circulaire est aménagé. Parmi les autres trouvailles, rapidement évoquées dans les publications, il faut noter la présence en grand nombre de fragments de briques cuites et de tessons de poterie, matériel daté de la période achéménide par l’auteur1030. Dans une tranchée située au nord du tepe, un amoncellement de briques cuites a été retrouvé : elles ne semblaient pas présenter d’organisation et étaient de formes variées, rectangulaires à trapézoïdales1031.

Figure 5‑65 : Plan de Dasht-e Gohar rassemblant les vestiges du bâtiment à colonnes et ceux de Takht-e Rustam (d’après Tilia 1978 : 76 – fig. 3)
Figure 5‑65 : Plan de Dasht-e Gohar rassemblant les vestiges du bâtiment à colonnes et ceux de Takht-e Rustam (d’après Tilia 1978 : 76 – fig. 3)
Figure 5‑66 : Proposition de restitution du plan complet (d’après Kleiss 1980 : 202 – Abb.2)
Figure 5‑66 : Proposition de restitution du plan complet (d’après Kleiss 1980 : 202 – Abb.2)

Les bases de colonne déterrées mises au jour par les labours appartiennent à un long portique ouvrant sur le sud-est et composé de deux rangées de quatorze colonnes. Cet espace a été fouillé entièrement. Sur les 28 bases de colonnes retrouvées, 5 sont complètes, c'est-à-dire qu’elles sont constituées de leur assise de fondation, surmontée d’une base torique, 21 conservent uniquement le bloc de fondation et une a disparu. Chaque colonne est séparée de ses voisines par une distance comprise entre 3,63 et 3,68 m (Fig. 5-65), la longueur totale du portique est de 55 m et sa largeur de 9 m. Au nord de ce portique, les archéologues ont retrouvé les vestiges de la pièce centrale. Les fouilles sont restées ici limitées à quelques sondages et n’ont pas concerné l’ensemble de la salle. Les vestiges découverts correspondent à nouveau à des bases de colonne, de diamètre plus important que celles du portique. Les tores préservés sont finement taillés dans une roche calcaire de couleur sombre, grise à noire. De nombreux tores avaient également disparus, de même que des blocs de fondations. L’analyse des résultats a néanmoins permis de restituer une pièce centrale hypostyle à 5 rangées de 8 colonnes, la direction de l’ensemble étant parallèle à celle du portique. Enfin, une tranchée plus au nord a permis de mettre au jour un amas de briques cuites puis une nouvelle rangée de 8 colonnes, dont les bases, plus petites, sont de dimensions identiques à celles du portique sud-est. Elles prouvent la présence d’un second portique au nord-ouest, de longueur égale à celle de la pièce centrale.

A.B. Tilia, à partir de ces résultats, publie un plan d’ensemble de Dasht-e Gohar, réunissant la plateforme de Takht-e Rustam et le bâtiment à colonnes (Fig. 5-65). Ce plan est non légendé ce qui pose quelques problèmes de lecture, certaines des bases de colonnes par exemple sont dessinées en noir, d’autres en blanc, les premières devant correspondre à celles qui ont conservé leur tore. Le plan indique l’emplacement de toutes les bases de colonnes. Puisque certaines n’ont pas été retrouvées, ce plan est en partie une restitution. Les bases restituées correspondent probablement à celles dessinées avec un contour en pointillé. L’aspect le plus troublant de ce plan réside dans l’absence de mur : au nord du portique sud-est, trois sections seulement sont dessinées avec un contour en pointillé, et donc peut-être restituées. Cette question n’est pas évoquée au cours de la description qui se concentre sur le dégagement des bases de colonne. Les murs n’ont donc peut-être pas été retrouvés du fait de leur arasement sous l’effet des labours successifs. Le fait que seules quelques sections soient dessinées sur le plan laisse en effet présumer de leur disparition et de la difficulté pour les fouilleurs de les restituer1032.

W. Kleiss, dans une étude sur l’architecture monumentale achéménide, dresse un parallèle entre le bâtiment à colonnes de Dasht-e Gohar et le palais S de Pasargades1033. La présence d’un portique en façade plus long que la pièce centrale ainsi que les dimensions générales et le plan rectangulaire du bâtiment permettent la comparaison avec le palais S. W. Kleiss restitue alors un plan du bâtiment, avec de larges murs en brique crue, composé de la pièce centrale entourée de quatre portiques et de deux pièces de forme carrée aux angles nord et ouest (Fig. 5-66).

Enfin les deux auteurs s’accordent sur le fait que le bâtiment est probablement resté inachevé. A.B. Tilia le suppose dans un premier temps en s’appuyant sur l’absence d’anathyrose sur les tores conservées, les colonnes n’auraient donc pas été élevées. Toutefois elle remarque qu’il n’y pas besoin d’anathyrose si les colonnes sont en bois1034. Plus loin, l’auteur souligne la similitude d’orientation entre la plateforme de Takht-e Rustam et le bâtiment à colonnes, et estime à raison que l’ensemble a dû être conçu comme un seul projet cohérent1035. Les deux édifices fonctionnant probablement ensemble, et la construction de Takht-e Rustam étant considérée comme inachevée, il est donc possible que celle du bâtiment hypostyle le soit également. Ce raisonnement ne paraît plus tout à fait valable si l’on considère que le monument de Takht-e Rustam est achevé. W. Kleiss estime pour sa part que si les sondages n’ont pas réussi à mettre au jour certaines bases de colonne, c’est que celles-ci n’ont jamais été installées1036. Cependant d’après A.B. Tilia, elles ont pu être prélevées et réutilisées. Les auteurs basent donc en partie leur raisonnement sur l’absence pour démontrer le caractère inachevé du bâtiment ; or l’absence d’anathyrose ou de base de colonne peut trouver des explications alternatives. A l’inverse, le fait que les bases de colonne en pierre n’aient pas été réutilisées dès l’époque achéménide pour la construction d’autres édifices pourrait démontrer que le bâtiment était en fonction. Etant donné la difficulté d’extraire et de tailler la pierre, les bâtisseurs achéménides aurait pu profiter de l’abandon du chantier pour en récupérer les principaux éléments alors que l’activité de construction sur et autour de Persépolis battait son plein. Donc, rien n’indique en l’état que ce bâtiment ait été laissé inachevé1037.

Plusieurs indices techniques et architecturaux, dont l’alternance de pierres blanches et de pierres sombres, comme à Pasargades, et l’absence de traces de ciseaux à dent sur les bases de colonne, permettent à A.B. Tilia de proposer une datation de la construction antérieure à celle des monuments de la terrasse de Persépolis1038. Comme pour la tombe de Takht-e Rustam, elle pourrait dater des premières années du règne de Darius1039.

Notes
1027.

Tilia 1978 : 73-n.2

1028.

ibid. : 78

1029.

Tilia 1974, Tilia 1978 : 73-80

1030.

ibid. : 79

1031.

Une photographies de l’amas a été publiée, voir ibid. : fig. 16 et 17

1032.

Bessac & Boucharlat 2010 : 30 propose également que l’accumulation de briques cuites, évoquée auparavant, puisse correspondre à l’élévation des murs.

1033.

Kleiss 1980

1034.

Tilia 1978 : 79

1035.

ibid. : 79-80

1036.

Kleiss 1980 : 201

1037.

Bessac & Boucharlat 2010 : 30

1038.

Tilia 1978 : 80

1039.

Bessac & Boucharlat 2010 : 30-36