5.5.3.3.2. La construction en pierre au sud d’Istakhr

IS4 : coordonnées UTM 39R : E 684475 m ; N 3317933 m

Au sud d’Istakhr, en face de l’entrée actuelle du site (Pl. 31), se dressent les ruines d’une construction en pierres sèches à joints vifs, élevée avec de gros blocs de calcaire clair soigneusement taillés (Fig. 5-71).

Les vestiges s’étendent sur un affleurement calcaire, suivant une direction nord/sud sur plus de 20 m de long et 12 m de large. La construction peut être décrite comme tripartite (Fig. 5-71). Au sud, deux blocs monolithiques de 3 m de long pour une cinquantaine de centimètres de large, posés de champ, ont été élevés au-dessus d’une entaille dans les affleurements rocheux, probablement une faille naturelle, de 2,5 m de large.

Plus au nord, le relief présente une plus large dépression de près de 9 m de large au milieu de laquelle une rangée de trois piliers en pierre a été construite. Chacun des trois piliers possède une forme différente. Le pilier central est de section circulaire, il est préservé sur un peu plus d’un mètre de hauteur. Le plus à l’est mesure près de 2 m de haut. Il est de section semi-circulaire à la base puis carrée à mi-hauteur, à cet endroit la pierre a été évidée de manière à aménager une cavité rectangulaire de 40 cm par 20 cm dans la paroi de sa face occidentale. Le pilier le plus à l’ouest devait posséder une forme identique, mais seule la partie inférieure semi-circulaire a été préservée. En effet, la partie supérieure de cette colonne montre l’amorce d’une section carrée et la partie inférieure préservée d’une cavité rectangulaire. Ces deux colonnes sont placées en opposition, les bases semi-circulaires et les cavités rectangulaires se font face. Les cavités correspondent donc peut-être à des trous de mortaise destinés à enchâsser les éléments de fondation d’une superstructure qui devait également reposer sur le pilier circulaire central.

Figure 5-71 : IS4, prise de vue verticale sous ballon captif de la construction en pierre située au sud d’Istakhr (cliché BN, printemps 2007)
Figure 5-71 : IS4, prise de vue verticale sous ballon captif de la construction en pierre située au sud d’Istakhr (cliché BN, printemps 2007)

La troisième partie de l’édifice est formée deux murs parallèles, espacés de 6 m, construits dans la partie nord de la large dépression. Ces murs sont orientés est-ouest et mesurent plus de 10 m de long. Ils sont constitués de grands blocs monolithiques posés de champ, deux assises sont préservées. L’élévation maximale de ces murs est de 1,5 m environ. Ces blocs ne sont pas reliés par des crampons. Les bordures de leur face supérieure présentent une anathyrose.

Si l’on se base sur la qualité de la taille des blocs et l’orientation des vestiges, l’ensemble doit former les fondations d’une même construction. Les élévations conservées ne permettent toutefois pas de restituer un niveau supérieur égal pour chaque partie.

La littérature concernant ce monument est limitée. Il a été dessiné et publié par E. Flandin et P. Coste : trois planches lui sont consacrées1114. Dans la description, ils estiment qu’il correspond à l’ancienne porte de la ville1115. C’est aussi l’avis de C. Bergner qui a levé en 1935 un plan de cette structure légendé « Istakhr - The south-east gate » 1116 . Par la suite, lorsque E.F. Schmidt publie des photographies aériennes interprétées du site, il désigne la construction sur le schéma d’organisation d’Istkahr par le terme « water gate » 1117 . Il semble donc supposer que ces vestiges correspondent à l’infrastructure d’un système de vannes destinées à réguler le débit du canal qui long le Kuh-e Rahmat. Cet auteur ne publie pas d’argumentaire précis concernant cette interprétation. Plus récemment, W. Kleiss a étudié cette construction. Il en publie un plan, ainsi qu’une coupe présentant un essai de restitution des élévations d’origine1118. Il rejette catégoriquement l’hypothèse faisant de ces ruines la porte de d’Istakhr. Pour W. Kleiss, cette construction pourrait en partie servir de vanne1119. Plus loin, il fait une comparaison entre ces vestiges et le pont de Pasargades, il propose alors de restituer un pont permettant de passer au-dessus d’une dépression située plus au nord et qui serait aujourd’hui comblée1120. Il date la construction de l’époque achéménide sans pour autant argumenter cette proposition1121.

Concernant sa fonction, il ne peut effectivement pas s’agir d’une des portes d’Istakhr, puisque la structure se situe bien au-delà des remparts de la cité. L’hypothèse d’une construction pour réguler l’eau circulant dans le canal, qui longe le piedmont du Kuh-e Rahmat en direction de Persépolis, paraît également difficile à démontrer. Nous verrons par la suite que la pente du canal se situe autour de 2,5‰1122 le long de la face nord du Kuh-e Rahmat. Vers l’ouest, à près d’1 km de distance, l’altitude de la section rupestre du canal la plus proche (ISO1) est de 1630 m1123. Au niveau de la construction en pierre au sud d’Istakhr, le canal doit donc être situé à une altitude au moins égale à 1632,5 m. Pour voir si le canal pouvait passer au niveau d’une des parties de la construction, des mesures d’altitude ont été prises dans la large dépression où sont situé les colonnes et dans la faille surmontée des blocs au sud.

Il est exclu que la large dépression au nord corresponde à l’ancien lit du canal, les altitudes mesurées sont en effet largement inférieure à 1632,5 m. Les différentes élévations (Fig. 5-71) montrent de plus que la pente d’est en ouest est beaucoup trop forte et entraînerait un débit trop important. Enfin vers l’est et vers l’ouest, rien n’indique dans la topographie une continuité de cette dépression. Plus au sud, la faille dans la roche, enjambée par les blocs placés de champ, pourrait correspondre d’après W. Kleiss à la section d’un canal1124. Cette entaille est en grande partie comblée de sédiments, nous n’avons donc pris qu’une seule altitude au niveau d’un point bas. L’altitude est ici de 1632,9 m, donc 40 cm au-dessus du niveau estimé du canal. Néanmoins, la hauteur du comblement parait supérieure à 40 cm et le fond de cette faille pourrait être situé en dessous de 1632,5 m. De plus, vers l’ouest et vers l’est, rien n’indique dans la topographie l’existence d’une possible continuité de cette faille.

Plus au sud, nos mesures attestent de la présence du canal, correspondant à une tranchée rupestre d’un mètre de large en moyenne, située à environ 5 m de la faille surmontée par les deux rangées de blocs. Son tracé se distingue clairement et longe la construction1125 (Fig. 5-71). Les altitudes relevées le long de cette section sont supérieures à 1632,5 m, mais il faut prendre en compte l’épaisseur du comblement, qui doit être de quelques décimètres d’après nos estimations. Les différentes mesures d’élévation montrent également l’existence d’une pente faible et régulière vers l’ouest le long de cette tranchée, un argument supplémentaire pour l’identifier au canal. De plus, des indices de prolongement du canal existent en amont et en aval de cette section rupestre. Vers l’est, dans l’axe du canal, les affleurements rocheux présentent une faille qui paraît naturelle, en effet aucune trace de d’outil de taille n’a pu être relevée sur ses parois. Néanmoins, elle peut avoir été utilisée pour faire passer le canal ; l’altitude mesurée au niveau de son extrémité occidentale est cohérente avec celles du canal. Vers l’ouest, la continuité du canal est marquée par un replat du terrain que l’on peut suivre sur plus de 150 m. Il présente une succession d’alignements de blocs affleurants le long de sa limite nord (Fig. 5-71). Une altitude prise au niveau du premier alignement de blocs est un peu basse par rapport à celles mesurées dans la section rupestre, mais elle peut être considérée comme valide car elle a été prise à la base d’un bloc. Ces séries de blocs doivent donc correspondre aux vestiges d’une section construite du canal faisant suite à la section rupestre située au sud de la construction en pierre.

Le canal qui longe le piedmont nord-ouest du Kuh-e Rahmat ne passait donc pas sous la construction en pierre mais plus au sud. La faille ainsi que la dépression qu’elle enjambe paraissent naturelles et nos observations montrent qu’elles n’ont pas pu accueillir un second canal. De ce fait, ces vestiges ne peuvent pas constituer les restes d’un système de vanne.

En dernier lieu, il reste à considérer l’hypothèse de restitution d’un pont. Elle paraît également difficile à concevoir, en grande partie du fait de l’orientation de l’édifice. Si l’on restitue un pont, celui-ci permettrait le passage depuis ou vers le versant escarpé du Kuh-e Rahmat, où l’existence d’une route paraît peu probable. Dans l’axe de cette construction, au sud, se trouve de plus un groupe de quatre fosses funéraires rupestres (Fig. 5-71), ce qui prouve bien que, au moins à l’époque de leur creusement, il ne pouvait exister de passage à cet endroit. Il faut toutefois noter au nord-ouest de la construction en pierre, au bord de la route asphaltée, la présence d’une série de sillons rupestres orientés nord/sud. Les sillons sont perpendiculaires à la pente et mesurent environ 2 m de large. D’après J.C. Bessac1126, ce type d’aménagement est destiné à éviter aux hommes et aux bêtes de somme de déraper sur la roche nue, ce serait alors un indice de circulation à cet endroit1127. Néanmoins cette série de sillons n’étant pas dans l’axe de la construction, elle ne peut donc pas prouver que la construction en pierre constituait un pont.

En l’état, la fonction précise de cette construction reste donc énigmatique. Il faut la considérer comme la base d’une superstructure qui a aujourd’hui complètement disparu et dont il est impossible de restituer l’élévation. Il n’existe, à notre connaissance, aucune construction comparable dans la région. Enfin concernant sa datation, rien ne permet de prouver une fondation d’époque achéménide. Toutefois, ce type de construction, à joints vifs et en gros blocs monolithiques aux faces soigneusement égalisées, ne doit pas être postérieur à la période sassanide.

Notes
1114.

Flandin & Coste 1843-4 : pl.58, 59 et 60

1115.

ibid. : 70-71

1116.

Plan non publié mais référencé dans les archives de E. Herzfeld (The Ernst Herzfeld papers. Freer Gallery of Art and Arthur M. Sackler Gallery Archives. Smithsonian Institution, Washington, D.C) et disponible sur le web à l’adresse suivante : http://collections.si.edu/search/results.jsp?q=istakhr+gate

1117.

Schmidt 1940 : Plate 8

1118.

Kleiss 1994 : 170-Abb.4

1119.

ibid. : 169

1120.

ibid. : 170

1121.

ibid. : 165

1122.

Cf. § 5.5.4.1.1

1123.

Cf. § 5.5.3.4

1124.

ibid. : 170-Abb.4, 171 reste toutefois prudent sur cette identification.

1125.

ibid. : 170-Abb.4, 171 situe également un second canal au même emplacement, canal qu’il relie aux autres sections existantes plus à l’ouest, en direction de la terrasse de Persépolis.

1126.

J.C. Bessac, communication personnelle

1127.

ibid. : 170, Abb.4 interprète cet aménagement comme une accroche de mur.