L’ensemble des auteurs qui ont évoqué la présence du canal estime qu’il était destiné à alimenter Persépolis et par conséquence qu’il correspondrait à un aménagement d’époque achéménide. Parmi eux, E. Herzfeld estime qu’il alimente la terrasse1179. W. Kleiss semble hésiter entre deux hypothèses, pour lui le canal permettrait d’amener de l’eau aux hypothétiques jardins situés au pied de la terrasse1180 ou aux édifices construits dessus1181.
Pour la suite de cette démonstration, nous allons considérer que ce canal a bien été construit à l’époque achéménide pour alimenter le quartier royal et ses environs. En effet, au sud du quartier royal, le long du Kuh-e Rahmat, aucun vestige de canal n’a jamais été signalé. Il n’existerait jusqu’à présent aucune preuve de continuité du canal au sud du quartier royal. Cette hypothèse a pour conséquence d’estimer que le canal a bien été conçu à la période achéménide puisque ce secteur ne présente pas d’occupation antérieure ou postérieure d’envergure. Le creusement des sections rupestres du canal a de plus nécessité l’emploi d’outils en fer, comme le prouvent de nombreuses traces de pics relevées tout au long du tracé, et exclue de ce fait une construction précédant le Ier millénaire.
Nos prospections ont permis de détecter des vestiges attestés du canal jusqu’à une distance de 950 m au nord de la terrasse royale. Il s’agit de la section rupestre CA10 (Pl. 35 et 36). A 150 m au sud de CA10, des alignements affleurants (CA11) pourraient correspondre aux possibles vestiges des fondations d’une section construite. Il existe toutefois une incertitude, née de nos mesures d’altitude, sur la nature de ces alignements. Au-delà, dans le vallon situé entre CA11 et la terrasse de Persépolis, que ce soit par des prospections à vue ou géophysiques1182, aucune trace du canal n’a pu être repérée. Cette absence de données pour le vallon au nord de la terrasse implique qu’il n’existe pas de vestiges permettant de déterminer la destination précise du canal. Donc la section rupestre CA10 correspond au vestige du canal le plus proche de la terrasse, son altitude moyenne est de 1619,5 m et elle servira de niveau de référence pour la suite de la démonstration.
Grâce au calcul de la pente du canal que nous avons effectué suite à nos prospections, il est alors possible d’estimer l’altitude du canal au niveau de la limite nord de la terrasse. L’altitude de la section rupestre CA10, située à 950 m, étant de 1619,5 m, si l’on prend la valeur moyenne de la pente du canal estimée à 2‰, l’altitude du canal devrait donc être proche de 1617,5 m au niveau de la limite nord de la terrasse. L’altitude moyenne de la plateforme royale, au nord, étant de 1630m, l’eau ne peut pas atteindre par gravitation le sommet de la terrasse. En contrebas de la limite nord de la terrasse, le terrain est en pente. Il présente d’ouest en est des altitudes croissantes comprises entre 1616m et 1630m. L’angle nord-ouest de la terrasse présente cependant des affleurements calcaires exploités comme carrières, ce qui interdit au canal de déboucher à cet endroit. De ce fait, le canal ne devait donc pas non plus desservir d’hypothétiques réservoirs situés sous ou au pied du versant nord de la terrasse. A moins d’envisager l’existence de système de levage de l’eau, la valeur d’altitude estimée au niveau de la limite nord de la terrasse (1617,5 m) permet de prouver que le canal servait à alimenter des terrains situés en contrebas de la terrasse. L’alimentation en eau de la terrasse devait, au moins en partie, être satisfaite par la récupération de l’eau de pluie provenant des pentes du Kuh-e Rahmat dans la citerne à l’est de la terrasse1183.
La destination finale de l’eau peut tout à fait être multiple. Par l’intermédiaire de déviations, le canal peut alimenter des jardins ou des bâtiments à l’ouest du quartier royal ainsi que l’ensemble de la zone d’occupation de Persépolis située en amont, au nord de la terrasse. Il peut également servir à alimenter l’ensemble du quartier royal, la terrasse mise à part. La découverte par A. Tadjvidi d’une canalisation enterrée, construite avec des conduits de céramique et située à quelques dizaines de mètre du pied de la terrasse1184, pourrait éventuellement constituer un indice de la continuité du canal vers le sud, en direction du Barzan-e Jonoubi. Les données publiées par A. Tadjvidi restent cependant trop imprécises ; il serait nécessaire d’avoir un plan complet des sections mises au jour et des valeurs d’altitudes pour l’affirmer. Plus au sud, les vestiges d’un alignement de blocs à double parement longent la limite orientale du Barzan-e Jonoubi : ils définissent très probablement le tracé d’un ancien canal1185 (Pl. 19). Son altitude moyenne est de 1620 m, il est donc plus haut que la section rupestre CA10. Il ne peut donc pas être relié au canal du piedmont nord-ouest du Kuh-e Rahmat. De plus, la terrasse est située entre CA10 et ce canal au sud et empêche d’envisager un lien entre les deux. A condition qu’il soit d’époque achéménide, ce canal sud devait plutôt drainer l’eau de pluie depuis la terrasse peut-être vers la grande citerne construite au sud du Barzan-e Jonoubi1186.
Herzfeld 1929. : 21 ; Schmidt 1953 : 56 pense que le canal amène de l’eau à Persépolis sans donner plus de précision quant à sa destination précise.
Kleiss 1976 : 134
Kleiss 1994 : 165
Cf. § 5.2.3.5 ; notons toutefois que la limite occidentale des prospections géophysiques correspond à peu près à la ligne de niveau des 1620 m, soit au-dessus de l’altitude de la dernière section rupestre repérée plus au nord. Une extension vers l’ouest des surfaces prospectées aurait donc pu apporter des informations sur la présence éventuelle du canal.
Cf. § 5.2.2.2
Tadjvidi 1976 : 81-fig. 36-37
Cf. § 5.2.3.4.1
Cf. § 5.2.3.4.2