5.5.4.1.4. Le captage d’une source à l’est d’Istakhr

W. Kleiss écarte pour sa part, de manière catégorique, la possibilité d’une prise d’eau dans le Pulvar du fait de la trop forte incision de la rivière et privilégie le captage d’une source en amont1195. Il propose de situer le captage dans un vallon situé à 4 km au sud-est d’Istakhr, sur le versant oriental du massif du Kuh-e Rahmat (Pl. 36). Toutefois, sur les différentes sources cartographiques exploitées dans le cadre de nos recherches, aucune source n’est indiquée à cet endroit1196 (Pl. 8).

Il pourrait néanmoins s’agir d’une source aujourd’hui tarie. Une prospection sur le terrain, qui n’a pu se faire qu’à l’entrée du vallon, en raison de la présence d’une exploitation agricole, n’a pas permis de trouver d’indices de l’existence d’une ancienne résurgence. La carte géologique du secteur1197 montre de plus que le pendage des couches géologiques est inverse par rapport à la pente du relief. Cette configuration est pour le moins défavorable à l’existence d’une résurgence car les eaux d’infiltration sont certainement guidées vers l’intérieur du massif. Le piedmont du Kuh-e Rahmat, à proximité d’Istakhr, ne présente donc pas de source exploitable pour l’alimentation du canal. Le versant oriental du massif présente un grand nombre de résurgences mais elles sont situées à plus de 30 km au sud d’Istakhr (Pl. 8).

En amont d’Istakhr, en restant du côté de la rive gauche du Pulvar, la zone de source pérenne la plus proche se trouve sur les flancs du Kuh-e Siah, massif situé à l’est du Kuh-e Rahmat, à proximité du village de Seidan1198 (Pl. 2, 8 et 11). Ce secteur présente de nombreuses résurgences pérennes, exploitées actuellement pour alimenter un vaste ensemble de jardins sur les piedmonts du massif, à l’est de Seidan. Des traces d’occupation ancienne, dont certaines très probablement achéménides, ont été relevées dans ce secteur1199. L’endroit se trouve à une dizaine de kilomètres au nord-est d’Istakhr, l’apport d’eau pour le canal du Kuh-e Rahmat aurait donc nécessité la construction d’un canal, sur une digue ou creusé dans le sol, traversant la plaine sur cette même distance. La mise en place d’un réseau de canaux depuis Seidan aurait également pu permettre d’irriguer toute la partie de la plaine située entre le Kuh-e Siah et Istakhr.

La faisabilité du projet, pour l’époque achéménide, semble tout à fait envisageable d’un point de vue technique. Dans la région du Fars, il existe de nombreux vestiges de réseaux d’irrigation anciens, parfois encore en activité. Malgré la difficulté à dater de tels aménagements, certains sont supposés remonter à l’époque achéménide1200. Ces réseaux d’irrigation se développent sur plusieurs dizaines de kilomètres : destinés à alimenter la partie amont de la plaine de Persépolis, leur utilisation aurait duré depuis l’achéménide jusqu’aux périodes islamiques1201. Des études récentes, menées dans la vallée du Tang-e Bulaghi à proximité de Pasargades, fournissent un autre exemple du savoir-faire achéménide dans la construction de réseaux d’irrigation sur plusieurs kilomètres1202. La construction, à l’époque achéménide, d’un canal de plus de 10 km de long entre les sources de Seidan et le versant nord du Kuh-e Rahmat paraît tout à fait envisageable. L’étude de télédétection, menée actuellement sur des images satellites CORONA1203 par T. De Schacht, a permis de plus de relever les traces d’un ancien réseau d’irrigation partant des environs de Seidan et s’étendant jusqu’au piedmont oriental du Kuh-e Rahmat1204.

Le captage d’une eau de source, peut-être depuis Seidan, présente de plus de nombreux avantages. Pour l’irrigation des terres fertiles de la zone d’occupation de Persépolis 1205 , l’eau est de meilleure qualité que celle prélevée dans la nappe phréatique, dont l’utilisation aurait pu conduire à des problèmes de salinisation des sols1206. L’eau de source pouvait également permettre d’assurer les besoins en eau potable pour une partie des habitants de la zone d’occupation de Persépolis. Elle est de meilleure qualité de celle du Pulvar qui peut être très chargée en sédiment.

En définitive, nous privilégions donc l’hypothèse d’une alimentation du canal par le captage d’une source à Seidan. Pour compléter les données récentes de télédétection, une recherche plus systématique sur le terrain pourrait éventuellement amener à la découverte des traces d’un ancien canal entre Istakhr et Seidan. Des prospections archéologiques autour de Seidan pourraient également apporter des informations sur le captage et l’occupation de cette zone très fertile. Ce travail serait néanmoins rendu difficile du fait de l’important développement du village moderne et de la densité des parcelles cultivées alentours.

Notes
1195.

Kleiss 1994 : 169

1196.

Cf. § 2.2.4.3

1197.

Feuille Shiraz de la collection de carte géologique au 1/100000 du Geological Survey of Iran

1198.

Moradi-Jalal et al. 2010 évoquent également cette hypothèse dans un article consacré à la gestion des ressources en eau à Persépolis. L’hypothèse d’une alimentation du canal du Kuh-e Rahmat depuis les sources de Seidan, mal situées par les auteurs, est affirmée sans être réellement démontrée. Leur réflexion sur le tracé du canal ne se base de plus que sur l’étude des portions les plus proches de Persépolis, les sections de l’aval ne sont pas prises en compte. Enfin ils supposent que l’eau va alimenter un système de citernes sous la terrasse de Persépolis via un canal longeant la face nord de la terrasse. D’après ce que l’on comprend de leur article, le système de citernes correspond en fait au réseau d’évacuation des eaux des pluies et le canal au nord de la terrasse au lit du talweg sud du vallon au nord de la terrasse de Persépolis. Le propos de cet article, récemment paru, est très confus et se base sur une méthodologie d’étude qui n’est pas exposée. Il présente de telles erreurs historiques et archéologiques sur Persépolis qu’il n’est pas concevable de l’utiliser au cours de ce paragraphe sur le canal du Kuh-e Rahmat.

1199.

Whitcomb 1969 publie un fragment de colonne non daté trouvé vers Seidan. De nouvelles données sur le site de Seidan ont été récoltées au cours de nos prospections, cf. § 6.2.3.5.3

1200.

cf. § 6.2.5

1201.

Sumner 1986a : 16

1202.

Boucharlat & Benech 2002 : 35-37 ; Boucharlat 2009 : 60-61 ; Ata’i & Boucharlat 2009 : 23-30 

1203.

Cf. § 3.1.1

1204.

Les résultats préliminaires de cette étude montrent que le tracé du réseau d’irrigation subactuel à l’est d’Istakhr dessine l’existence d’un système essentiellement alimenté par les sources de Seidan. Les canaux alimentés par des prises d’eau dans le lit du Pulvar sont très minoritaires. Les sources servent à irriguer les champs de l’ensemble de la plaine d’Olya (Pl. 2), au sud aussi bien qu’en direction d’Istakhr. Près d’Istakhr, un tracé de canal ancien est reconnaissable par une succession de d’alignements de fossés comblés et de buttes de curage abandonnées. Il est également partiellement repris par des canaux plus modernes. L’ensemble de ces traces relie clairement Seidan à la pointe nord-est du Kuh-e Rahmat. La pente de la plaine, entre ces deux secteurs, est régulière et bien orientée pour permettre un drainage de l’eau depuis les sources jusqu’à Istakhr.

1205.

Cf. § 2.5.2

1206.

Cf. § 2.2.3.2.2 et 2.2.4