Le long du piedmont nord-ouest du Kuh-e Rahmat, le tracé du canal se signale par une succession de vestiges de nature différente correspondant à une alternance de sections rupestres et de sections construites (Pl. 36). Dans chacune de ses deux catégories, ils peuvent présenter des morphologies différentes témoignant de l’emploi de méthodes de construction qui ont pu évoluer ou s’adapter aux contraintes du terrain. Dans la plupart des cas, voire probablement en totalité, ces vestiges ne correspondent pas au conduit où circulait l’eau mais aux soubassements du canal.
Concernant les sections rupestres, nous pouvons distinguer deux sous-catégories :
Les sections construites présentent également deux sous-catégories morphologiques. Elles peuvent correspondent à un double parement de 80 cm de large (ISO3, ISO6) ou à un simple parement adossé à la pente ou délimitant une terrasse (IS8, CA2, CA9). Dans les deux cas, les blocs, de taille décimétrique, sont grossièrement équarris. Ces sections construites posent également le problème de la circulation de l’eau. Pour les sections à double parement, l’eau pourrait circuler entre les deux alignements de pierre, mais l’espace est comblé par un blocage de gravier grossier. Pour les sections à simple parement, le blocage est situé entre l’alignement et la pente et il sert à maintenir en place les blocs. Comme pour les parties rupestres, il est donc à chaque fois nécessaire de restituer une superstructure destinée à permettre la circulation de l’eau1207.
Les différentes méthodes de construction du canal observées le long du Kuh-e Rahmat trouvent des parallèles très proches dans la vallée du Tang-e Bulaghi, près de Pasargades, par lesquelles passe le Pulvar. Sur les deux rives, les vestiges de longs canaux sur les pentes de la vallée sont connus. Comme le long du Kuh-e Rahmat, les sections rupestres succèdent aux parties construites sur plus de 7 km de long. A la différence du piedmont nord-ouest du Kuh-e Rahmat, les vestiges des canaux ont été bien mieux conservés dans le Tang-e Bulaghi où le relief escarpé et les sols très caillouteux rendent difficile toute exploitation agricole intensive moderne. Les parties rupestres de ces canaux sont le plus souvent en tranchée. Leur largeur est à peu près identique à celle du canal du Kuh-e Rahmat : 80 cm en moyenne. Comme au point ISO1 et ISO2 au nord du Kuh-e Rahmat, certaines sections présentent des tracés rupestres parallèles, témoins probables d’ébauches de creusement infructueuses ou d’erreurs de conception. En rive droite du Pulvar, il est également intéressant de relever que plusieurs sections rupestres du canal sont restées inachevées, la tranchée n’ayant par endroit pas été terminée. Il n’existe aucune trace parallèle d’un tracé alternatif, ce qui laisserait penser que le canal est resté inachevé en rive droite, alors qu’il pourrait avoir été terminé en rive gauche.
Dans le Tang-e Bulaghi, les parties construites, du fait de leur bon état de conservation permettent une étude plus précise de leur structure. Outre un relevé topographique systématique des vestiges du canal, deux coupes archéologiques ont également été effectuées dans le cadre des fouilles de sauvetage irano-françaises entreprises dans la vallée du Tang-e Bulaghi avant la mise en eau d’un barrage sur le Pulvar1208. Les parties construites correspondent à un alignement de blocs à double parement avec un blocage de gravier. L’ensemble repose, dans les vallons, sur une digue de terre destinée à maintenir un niveau constant. Les digues et les alignements à double parement correspondent à la fondation du canal et la circulation de l’eau se faisait dans un conduit construit au-dessus dont il ne reste aucune trace. Il faut toutefois noter que le double alignement de blocs peut atteindre 2,2 m de largeur dans le Tang-e Bulaghi1209, alors que le long du Kuh-e Rahmat elle est inférieure au mètre.
Ainsi dans les deux régions, les techniques de construction paraissent comparables. Dans le Tang-e Bulaghi, pour les parties rupestres, le creusement de tranchées semble toutefois avoir été privilégié. Cette technique a été employée de manière très limitée le long du Kuh-e Rahmat et a pu être abandonnée au profit des longs replats. Ces différences pourraient être liées à la qualité de la roche, très fissurée le long du Kuh-e Rahmat. Dans les deux cas, on note de plus l’absence de tout reste de la canalisation où devait circuler l’eau. Elle devait être constituée de terre ou de brique crue voire de matériaux périssables (du bois, par exemple) qui ont disparu. Notre connaissance du fonctionnement des canaux reste de ce fait très incomplète.
Schmidt 1953 : 56 fait le même constat et suppose que le canal pouvait être construit en brique
Sur les résultats partiels des travaux de la mission et l’hypothèse de la construction d’un canal sur les deux rives : Boucharlat & Benech 2002 : 35-37 ; Boucharlat 2009 : 60-61 ; Ata’i & Boucharlat 2009 : 23-30. Depuis Stronach 1978, le canal rive droite est souvent interprété comme une route du fait de la largeur importante des parties rupestres à l’entrée de la gorge ; cette hypothèse a été contestée par Kleiss 1991 : 27-30, la fonction de canal pour l’ensemble des alignements et des tranchées rupestres étant démontrée par les travaux de l’équipe irano-française. Toutefois Yamauchi & Nishiyama 2008 : 184-204 avancent nombre de théories alternatives quant à la fonction de ces aménagements dont celle de canalisation et, à nouveau, de voie de circulation. Il n’y a pas lieu ici de développer une contre-argumentation détaillée, travail qui sera effectué dans le cadre de la publication finale des travaux de la mission irano-française à Pasargades et dans le Tang-e Bulaghi. Il est toutefois nécessaire de souligner ici que les interprétations des archéologues japonais peuvent être mises en doute car elles sont basées sur des relevés GPS, qui interdisent toute étude sur les altitudes des différentes sections du canal.
Ata’i & Boucharlat 2009 : 28-Fig.18