5.5.4.2.2. La datation des exploitations

Il est très difficile de dater avec précision une exploitation de pierre, car les techniques employées ont peu évolué. Le long du Kuh-e Rahmat, la présence de fronts de taille avec des traces de pic ou de séries d’emboîtures de coin nécessite forcément l’emploi d’outil en fer et donc une certaine maîtrise de la métallurgie. L’emploi de tels outils ne peut pas être envisagé avant le Ier millénaire av. J.-C. Il est toutefois possible de considérer une utilisation des blocs en bas de versant, facilement exploitables, avant cette période et la récupération de ces blocs a pu se faire sans laisser de trace. A notre connaissance, il n’existe toutefois aucune trace d’architecture en pierre sur les différents sites pré-achéménides de la plaine de Persépolis. A partir du Ier millénaire, et plus précisément à partir de l’époque achéménide, les techniques traditionnelles de taille varient peu et l’emploi du pic pour creuser des tranchées et des coins pour détacher les blocs sont susceptibles d’avoir été utilisées jusqu’à des périodes très tardives, voire jusqu’à l’apparition récente des explosifs et d’un appareillage d’extraction mécanisé1215.

L’étude des ébauches de blocs architecturaux dégrossis, inachevés mais de forme indentifiable, abandonnés in-situ peut apporter des éléments de datation. Le long du Kuh-e Rahmat, trois blocs cylindriques (IS13, NR3, CA8) ont été relevés au cours de nos prospections (Pl. 37). NR3 et CA8 présentent chacun un diamètre supérieur à 2 m, proche de celui des grandes colonnes de l’Apadana qui sont les seules dans la région à montrer de telles dimensions. Si leur hauteur, moins d’1 m, est trop petite pour les faire correspondre à des tambours, ils pourraient éventuellement avoir été destinés à la fabrication de tores. Il faut toutefois souligner que des blocs de cette forme pourraient également servir de meule dormante ou tournante dans des moulins jusqu’à des époques récentes. Les carrières situées à l’est du vallon au nord de la terrasse présentent quant à elles des ébauches de chapiteaux à double protomés de taureau qui pouvaient être destinées à la construction, sur la terrasse, de la seconde porte monumentale restée inachevée1216.

La datation d’une extraction peut également être proposée sur la base de sa proximité avec un ou des sites présentant une architecture de pierre. Ce matériau étant difficile à transporter, il est logique de tenter de l’extraire au plus proche du chantier de construction1217, à moins de souhaiter obtenir une qualité ou une couleur de pierre spécifique. Dans le cas des piedmonts nord-ouest du Kuh-e Rahmat, deux grands sites présentent des vestiges d’éléments d’architecture de pierre, Istakhr et Persépolis. Les pierres extraites pouvaient donc être destinées à l’un des deux sites. Il faut souligner que le fût de colonne inachevé situé au sud-ouest d’Istakhr dans lequel a été aménagé une petite fosse funéraire rupestre circulaire (IS13 – Pl. 31 et 37) porte une épitaphe funéraire en moyen-perse datée 674 ap. J.-C.1218. Elle permet de confirmer une datation au moins antérieure à la fin de la période sassanide de l’exploitation de pierre à cet endroit.

Istakhr a connu une occupation importante, attestée par les fouilles, entre la période sassanide (226-651 ap. J.-C..) et la fin de l’époque Bouyide (milieu Xe-milieu XIe s.). Les éléments d’architecture en pierre restent cependant peu nombreux à Istakhr. Les tambours de colonnes et les chapiteaux achéménides sont des éléments remployés1219. Les quelques autres éléments d’architecture en pierre semblent dater pour l’essentiel de la période sassanide1220. Par rapport à la surface du site, les fouilles sont cependant restées très limitées et il est possible que la pierre ait été plus largement utilisée.

Les chantiers du quartier royal ont pour leur part demandé un très important volume de pierre. La pierre a été largement utilisée pour la construction des différents bâtiments de la terrasse et surtout pour celle du parement de la plateforme elle-même. A cet ensemble, s’ajoutent les différents bâtiments du Barzan-e Jonoubi, de Bagh-e Firuzi ou de Dasht-e Gohar qui présentent tous des éléments architecturaux en pierre. Ces différents chantiers d’époque achéménide ont demandé un très important volume de pierre que les seules carrières du vallon au nord de la terrasse n’ont probablement pas pu fournir en totalité. Il est donc envisageable que l’ensemble des piedmonts au nord de la terrasse ait été exploité au cours de la période achéménide, en parallèle avec la carrière de Madjabad, qui a fourni la pierre noire utilisée entre autre pour les bas-reliefs ou les crapaudines de l’Apadana1221, et d’autres carrières disséminées dans la plaine, en particulier celles situées sur le Kuh-e Hussein à l’est de Naqsh-e Rustam1222. En effet, rappelons ici que des indices d’extraction ont été retrouvés sur l’ensemble du piedmont nord-ouest du Kuh-e Rahmat (Pl. 37). La configuration des bancs de calcaire permet d’utiliser des blocs erratiques qui se détachent naturellement du substrat rocheux et il aurait été étonnant que les bâtisseurs achéménides n’aient pas profité de ces facilités à proximité des chantiers du quartier royal.

Notes
1215.

Kleiss 1993a : 93-94 affirme que les séries d’emboîtures de coins sont typiques des méthodes d’extraction achéménide ; Bessac 1999 : 37 contredit cette affirmation, indiquant que les méthodes traditionnelles d’extraction à l’aide de coins ont pu perdurer jusqu’à la mécanisation des exploitations.

1216.

Schmidt 1953 : 57 ; Tilia 1968 : 77 ; Kleiss 1993a : 99

1217.

Kleiss 1993a : 95 à propos des carrières au nord de la terrasse.

1218.

Huff 1992 : 216-217 ; datation est reprise de G. Gropp 1969

1219.

Cf. § 5.5.2.2.3

1220.

Cf. § 5.5.2.2

1221.

Cf. § 6.2.4.1

1222.

Cf. § 5.6.3