5.5.4.3.3. Datation des aménagements funéraires rupestres

En Iran, les aménagements funéraires rupestres du type de ceux retrouvés le long du Kuh-e Rahmat sont généralement liés aux pratiques funéraires zoroastriennes qui associent exposition des corps à l’air libre pour leur décharnement puis dépôts des ossements dans des ostothèques fermées de types variés, dont les niches ou les fosses rupestres du Kuh-e Rahmat. Croyances et pratiques funéraires zoroastriennes ont donné lieu à une abondante littérature et il faut souligner qu’elles ont pu fortement évoluer dans le temps depuis l’avènement du zoroastrisme jusqu’à l’époque moderne1239. Nous ne considèrerons ici que le point de vue des archéologues confrontés aux différents vestiges de monuments funéraires rupestres en se focalisant exclusivement sur les types rencontrés sur les pentes du Kuh-e Rahmat.

Depuis L. Vanden Berghe1240, qui a publié plusieurs niches et fosses rupestres repérés dans la plaine de Persépolis, ces monuments funéraires sont essentiellement considérés comme pouvant dater des périodes achéménides à post-sassanide, la plupart étant généralement attribuée à la période sassanide1241. Ces datations reposent essentiellement sur le fait que le zoroastrisme a été théoriquement plus répandu en Iran durant ces périodes, devenant de manière attestée une religion d’état à l’époque sassanide. Une chronologie plus fine se base sur l’étude des rares décors ou de tout aussi rares inscriptions, mais aussi sur les différentes formes et dimensions des niches et des fosses.

L’hypothèse que l’ensemble de ces sépultures corresponde à des monuments funéraires se heurte au décalage entre les rites zoroastriens et la morphologie des vestiges. Ainsi R. Boucharlat distingue des aménagements conformes, les petites niches ou les bassins qui peuvent servir d’ostothèque, et non-conformes ou douteux, les grandes niches à chambre qui peuvent contenir un corps entier ou les grandes fosses qui peuvent servir de sépulture primaire1242. Soulignons également que les tombes de pleine terre, par exemple celles de la nécropole de Persepolis Spring Cemetery (CA5 – Pl. 35), datées de la fin de la période achéménide ou du post-achéménide, sont quant à elles tout à fait non-conformes aux pratiques zoroastriennes. Pour D. Huff1243, les différents types correspondraient à une évolution des pratiques d’inhumation zoroastriennes, depuis des usages non-conformes et anciens hérités des Achéménides1244 à des usages conformes sassanides et post-sassanides. R. Boucharlat estime toutefois, avec raison, qu’il faut rester prudent quant à la définition des pratiques funéraires en l’absence, généralisée, d’ossements dans les monuments rupestres1245. Enfin, la situation semble se compliquer si l’on prend en compte un ensemble de deux niches rupestres surmontées d’une croix chrétienne, situées à 1 km au sud-est d’Istakhr, sur les pentes orientales du Kuh-e Rahmat1246. La nature zoroastrienne de la plupart des sépultures n’est donc pas attestée et l’on remarque d’une part que les petites niches, donc normalement des ostothèques, peuvent aussi bien être utilisées par des zoroastriens que par des chrétiens et d’autre part que, même en se limitant au seul piedmont du Kuh-e Rahmat, de multiples modes d’inhumations coexistent au moins depuis le post-achéménide. Ainsi, le fait que les aménagements soient rupestres ou de petites tailles ne prouve en rien qu’ils soient zoroastriens et donc que leur datation doive être bornée entre les périodes achéménide et sassanide. De plus, bien que l’orientation de ces aménagements soit aléatoire, elles peuvent être utilisées pour des tombes musulmanes.

Les rares décors sont quant à eux difficilement datables avec précision1247. Dans le secteur prospecté, au sud-est d’Istakhr, une seule niche présente une bande denticulée située au-dessus de l’ouverture (IS2 – Pl. 31), décor qui serait de tradition achéménide1248. La frise denticulée reprendrait grossièrement le décor des façades des tombes royales achéménides, plus particulièrement la forme du linteau surmontant l’entrée des portes. Il paraît ici nécessaire d’évoquer les monuments funéraires de la nécropole de Akhur-e Rustam, située sur le versant ouest du Kuh-e Rahmat à 8 km au sud de la terrasse royale. L’une des niches présente effectivement un encadrement plus directement inspiré par les sépultures royales et l’ouverture est encadrée de deux colonnes en bas-relief, surmontées de chapiteaux à protomés de taureau. Ce décor a fait dire à L. Vanden Berghe que les niches de Akhur-e Rustam étaient achéménides1249. La datation de cet ensemble a depuis été rajeunie par H. von Gall qui correspondrait plutôt à des aménagements post-achéménides inspirés des tombes royales achéménides1250. D. Huff estime quant à lui, à partir de comparaisons avec le temple d’Anahita de Bishapur, que le monument doit être daté de l’époque parthe ou du début de l’ère sassanide. On le voit avec cet exemple, la datation par les décors peut fortement fluctuer d’un auteur à l’autre et ne paraît pas très fiable. Il faut de plus noter que les tombes royales achéménides ont pu servir de modèle bien après la chute de l’empire.

Au sud d’Istakhr, un groupe de trois petites fosses rupestres (IS12 – Pl 31) présentent chacune des inscriptions en moyen perse, gravées dans la falaise située en contrebas. Elles désignent clairement les fosses comme des ostothèques, deux ont fourni des dates, respectivement 664 et 6741251, soit quelques temps après la conquête arabe et l’avènement de l’Islam survenu en 652. Ce groupe de fosses est donc post-sassanide. Aucune autre inscription n’a été relevée sur la zone prospectée. Rappelons que plus au sud, le fût de colonne inachevé (IS13 – Pl 31), aujourd’hui en partie détruit, présenterait une ostothèque circulaire au sommet dont l’épitaphe est daté de 6741252. Pour compléter le corpus d’inscriptions funéraires dans la plaine de Persépolis, il faut signaler, dans le vallon de Shah Ismael à 300 m au nord de Naqsh-e Rustam (Pl. 39), un groupe de 24 niches dont six présentent des inscriptions en moyen perse datées de la fin de la période sassanide sur la base de noms propres et de la paléographie1253. Donc dans l’ensemble, les inscriptions permettent de dater, de manière certaine, un petit nombre de niches et de fosses, toutes de petite taille inférieure à un corps humain, sur une période de temps assez ramassé entre la fin de l’ère sassanide et les premières décennies de la période islamique.

Le bilan concernant la datation des différents monuments funéraires dans la partie nord du Kuh-e Rahmat est donc pour le moins contrasté. Pour R. Boucharlat, mises à part les tombes royales, aucun aménagement funéraire achéménide n’est donc attesté avec certitude dans le Fars et par voie de conséquence aucun de ceux relevés sur les pentes nord-ouest du Kuh-e Rahmat1254. Parallèlement, D. Huff suggère une datation plus étendue de l’ensemble de ces monuments funéraires rupestres, il y inclut quant à lui la période achéménide1255. Si ce n’est pour les fosses avec des inscriptions en moyen perse, les différents arguments développés pour justifier des datations paraissent assez spéculatifs. La datation de ces différents aménagements funéraires pourrait donc s’étendre sur plus d’un millénaire, entre la période achéménide et la toute fin de la période sassanide.

Pour conclure sur ces éléments de datation, nos prospections ont permis de montrer de manière certaine une plus forte concentration des monuments funéraires rupestres à proximité d’Istakhr, sur le versant nord du Kuh-e Rahmat (Pl. 31 et 38). L’ensemble pourrait constituer la, ou plutôt une des, nécropole de la ville et ainsi suggérer effectivement une datation parallèle à celle de son occupation, éventuellement parthe et certainement sassanide et post-sassanide, comme le prouvent les épitaphes, en considérant la possibilité qu’elles aient été réutilisée par des musulmans.

Donc comme pour l’ensemble de l’Iran, il n’y a pas de nécropole achéménide attestée le long du Kuh-e Rahmat. Pour le premier millénaire, seule la nécropole du Persepolis Spring Cemetery est datée de la transition achéménide/post-achéménide.

Notes
1239.

Boyce 1993 publie une synthèse concernant les prescriptions et les pratiques funéraires dans la religion zoroastrienne. Russell 1989 traite de l’évolution des modes de sépultures zoroastriennes.

1240.

Vanden Berghe 1953 et 1954 : 407-408

1241.

Boucharlat 2003 : 264, les niches peuvent être post-achéménides alors que les fosses sont généralement datées de la période sassanide

1242.

Boucharlat 1978 : 471-476 ; Boucharlat 1991 : 76

1243.

Huff 2004 

1244.

ibid. : 603 estime par exemple que les grandes fosses peuvent remonter à la période achéménide, un type qui s’inspirerait des sarcophages rupestres des tombes royales.

1245.

Boucharlat 1991 : 76 ; Boucharlat 1978 : 473-474 suggère ainsi que les grandes fosses ou grandes niches, parfois associées comme à proximité de Nash-e Rajab, peuvent faire office d’ossuaires.

1246.

Huff 1989 ; d’autres exemples de petites niches nestoriennes sont attestés sur l’île de Karg cf. Haerinck 1975 ; Boucharlat 1991 : 76 souligne que la pratique du décharnement a pu être adoptée par les chrétiens.

1247.

Boucharlat 1978 : 439

1248.

Gall 1974 : 142-143 ; Boucharlat 1978 : 439 préfèrent les placer à l’époque post-achéménide.

1249.

Vanden Berghe 1953 : 7 et 1959 : 45

1250.

Gall 1974 : 143 ; datation acceptée par Boucharlat 2006 : 454

1251.

Traduction Frye 1970 ; datation Huff 2004 : 607 reprise de G. Gropp 1969 ; Boucharlat 1978 : 438 propose des datations proches entre 655 et 675.

1252.

Trümpelmann 1984 : 323 et 324, fig.7 ; Huff 1992 : 216-217 dont la datation est reprise de G. Gropp 1969

1253.

Boucharlat 1978 : 362-363

1254.

Boucharlat 2005a : 231

1255.

Huff 2004