5.6.4. Bilan des prospections à l’est de Naqsh-e Rustam

5.6.4.1. Le versant sud du Kuh-e Hussein : une nécropole ?

Au total, entre le vallon de Shah Ismail et celui de Darrehbarreh, ce sont plus de 70 chambres, niches ou fosses rupestres qui ont été aménagées le long du versant sud du Kuh-e Hussein. Il convient également d’ajouter les quatre tombes royales achéménides. Ce nombre ne reflète cependant qu’une partie des aménagements funéraires rupestres, aucune des prospections, les nôtres également, n’ayant été menée de façon systématique. Par exemple, lors de nos explorations des carrières aux alentours de Darrehbarreh, nous avons pu relever la présence d’un groupe de quatre niches, creusées dans la paroi de la falaise, à plus de 200 m au-dessus de la plaine et 700 m au nord de la base du massif (Pl. 40 – MD08164). Il est donc probable que de nombreux aménagements funéraires encore inconnus parsèment le Kuh-e Hussein ; leur relevé exhaustif demanderait une prospection systématique non seulement des piedmonts mais également de l’intérieur du massif.

Les aménagements funéraires se concentrent essentiellement aux environs de Naqsh-e Rustam, on en compte 44 dans un rayon de 600 m autour de la Kaba’h-ye Zardosht (Pl. 40). Dans cet ensemble, il faut distinguer le groupe de niches du vallon de Shah Ismail, qui regroupe à lui seul 24 chambres rupestres, ce qui en fait une des plus importantes nécropoles de la plaine de Persépolis. Plus à l’est, deux groupes peuvent être distingués : un premier d’une quinzaine de monuments funéraires autour du point MD08153 (Pl. 40) correspondant à la zone intégrant deux gros blocs en partie exploités à 1,3 km à l’est de Naqsh-e Rustam, un second dans et autour du vallon de Darrebarreh avec une dizaine d’unités1314.

D’un point de vue quantitatif, le nombre de monuments funéraires rupestres le long du Kuh-e Hussein est tout à fait comparable à celui retrouvé le long du Kuh-e Rahmat1315, entre Persépolis et Istakhr, où 82 fosses, chambres ou niches ont pu être relevées. Toutefois le paysage funéraire autour de Naqsh-e Rutsam est plus diversifié. En ce qui concerne les sépultures ou ostothèques, cette variété est soulignée par la présence des deux fosses carrées creusées sur des troncs de pyramide décorés, un type très rare et apparemment limité à la plaine de Persépolis1316. Il faut de plus évoquer à nouveau les deux plateformes rupestres au-dessus de la nécropole royale dont la fonction très probablement funéraire reste énigmatique. Qu’elles correspondent à des espaces de décharnement ou à des sépultures primaires ou secondaires, ce type d’installation est tout à fait inédit dans la région de Persépolis, voire dans le Fars1317.

Les raisons de cette concentration de monuments funéraires rupestres sont probablement multiples. Comme sur les piedmonts nord du Kuh-e Rahmat, il faut souligner la proximité d’Istakhr qui ne se trouve qu’à 1 km au sud de Darrebarreh et 3 km au sud-est de Naqsh-e Rustam sur la rive opposé du Pulvar. Le piedmont sud du Kuh-e Hussein comme celui du Kuh-e Rahmat devait constituer un des lieux d’inhumation des défunts d’Istakhr. Les hypothèses et les questions sur la datation de ces différents aménagements ne diffèrent pas de celles exposées pour le Kuh-e Rahmat1318. Une autre raison de cette présence importante de monuments funéraires est le caractère probablement sacré de la montagne Kuh-e Hussein, dès la période achéménide, souligné par la présence des tombes royales. Il est par ailleurs tout à fait certain que les tombes royales achéménides avaient pour les souverains sassanides un caractère symbolique comme en témoignent les nombreux bas-reliefs rupestres sculptés au-dessous des tombes et la construction de fortifications, ensemble auquel il faut adjoindre, plus à l’est, les inscriptions de Hajiabad.

Enfin, il faut souligner un fait tout à fait récurrent sur les pentes sud du Kuh-e Hussein : l’association des sépultures aux vestiges de carrières. Excepté dans le vallon de Shah Ismail, les monuments funéraires sont tous situés sur ou à proximité de front de taille ou de blocs équarris abandonnés. Il s’agit d’une utilisation évidemment secondaire des carrières abandonnées, et par là une indication de chronologie relative. Le creusement des chambres ou des fosses intervient après l’arrêt de l’activité d’extraction, dans un intervalle de temps indéterminé. Cette association pose question par son caractère récurrent. Elle pourrait simplement être liée à des raisons pratiques, les blocs et les fronts de taille présentant des parois ou des surfaces planes dans lesquelles il est facile de creuser.

L. Trümpelmann suppose que Naqsh-e Rustam et les pentes du Kuh-e Hussein au nord forment une véritable cité des morts 1319 . Il tente par là de lier et d’expliquer la présence de l’ensemble des vestiges à la seule fonction de nécropole du secteur. Si l’hypothèse de L. Trümpelmann n’est sans doute pas fausse du fait de la concentration d’aménagements funéraires, il n’en reste par moins que l’occupation ancienne de cette partie du Kuh-e Hussein, se concentrant certainement pour l’essentiel sur les périodes achéménide et sassanide, devait être beaucoup plus variée. Dans la plaine, on note la découverte des quelques possibles bâtiments achéménides en brique crue à l’extérieur des remparts. Sur les pentes du Kuh-e Hussein au-dessus de Naqsh-e Rustam, W. Kleiss de son côté publie la présence de bâtiments ou d’une forteresse1320 (Pl. 39). Le versant sud du Kuh-e Hussein, limité aux environs de Naqsh-e Rustam, abrite donc une nécropole à laquelle était certainement associée un certain nombre d’activités rituelles. Ces dernières ont pu mobiliser de nombreuses personnes dont les habitations devaient se trouver à proximité, par exemple sur les pentes fortifiées de la montagne ou en-dehors de fortifications dans la plaine. Enfin, la présence de plusieurs carrières au nord-ouest de la nécropole atteste d’une activité d’extraction de la pierre.

Notes
1314.

Ces mêmes groupes ont été définis par Boucharlat 1978 : 363-364 et Fig.12

1315.

Cf. § 5.5.4.3.1

1316.

Un exemple comparable est publié par Stronach 1964 sur les pentes du Kuh-e Shahrak au nord de la plaine à proximité de Dorudzan.

1317.

A Bishapur, un ensemble de plateformes délimitées par des sillons a fait dire à Ghirshman 1971 : 180 qu’il s’agissait de lit de décharnement ; Boucharlat 1991 : 74 estime pour sa part qu’elles pourraient correspondre à l’entame du creusement de fosses funéraires inachevées ; Huff 2004 : 595-n.11 suppose qu’elles pourraient aussi être reliées à une exploitation de la pierre, il semble toutefois considérer l’hypothèse de R. Ghirshman plausible, la discutant de manière détaillée p. 595-596. Quelle que soit leur fonction, ces plateformes sont de forme tout à fait différentes de celles de Naqsh-e Rustam et sans comparaison pour le Fars.

1318.

Cf. § 5.5.4.3.2

1319.

Trümplemann 1984 : 328, l’expression employée est « town of dead »

1320.

Kleiss 1976 : 142-143