5.6.4.2. L’importance de l’activité d’extraction de la pierre

L’exploitation des ressources en pierre le long du piedmont sud du Kuh-e Hussein est un des aspects fondamentaux de l’occupation ancienne dans ce secteur. Les preuves de cette activité peuvent être relevées sur l’ensemble du versant depuis le nord-ouest de Naqsh-e Rustam jusqu’à Hajiabad. Nous avons distingué le vaste cirque situé au-dessus de Darrehbarreh (Pl. 40) car les vestiges de carrières sont particulièrement denses à cet endroit, il faut néanmoins souligner qu’une prospection plus systématique du piedmont entre Darrehbarreh et Naqsh-e Rustam démontrerait probablement une activité d’extraction continue.

Les méthodes d’exploitation des ressources en pierre sont diverses, elles rejoignent celles observées le long du Kuh-e Rahmat. Il s’agit tout d’abord d’une exploitation de blocs erratiques de tailles diverses, provenant de l’érosion de la falaise et extraits sur place au pied du relief. Parallèlement, des fronts de taille sont ouverts dans les affleurements calcaires. Des exploitations opportunistes cohabitent donc avec l’ouverture de fronts de taille, à des endroits spécifiquement sélectionnés par les carriers. La principale différence entre les deux régions tient dans une plus forte concentration des restes de carrières le long du Kuh-e Hussein. Le long du Kuh-e Rahmat, les vestiges d’exploitation des blocs sont certes fréquents et continus mais assez dispersés et la présence de fronts de taille est rare (Pl. 37). Par comparaison, au sud du massif du Kuh-e Hussein, sur près de 4,5 km le long du piedmont, l’activité d’extraction paraît généralisée et définit une vaste carrière extensive1321.

Une autre spécificité de la zone d’extraction du Kuh-e Hussein réside dans la morphologie et la qualité de la roche des gisements de calcaire disponibles qui ont une conséquence sur le module des blocs débités. Le long du Kuh-e Rahmat, les affleurements rocheux sont très fracturés et se présentent sous la forme d’une succession de bancs d’environ 1 m d’épaisseur, qui de fait limite la dimension des blocs extraits1322. Les bancs de calcaire le long du Kuh-e Hussein sont plus massifs. La pierre est extraite à partir de blocs erratiques provenant de la rangée de falaise constitué d’un seul niveau de calcaire massif ou bien, dans le cirque à l’est de Darrehbarreh, dans des affleurements calcaires, certes fracturés, mais qui ne présentent pas le litage observé le long du Kuh-e Rahmat. Dans les plus gros blocs éboulés ou dans les affleurements rocheux, l’extraction de grands monolithes, par le creusement d’enjarrots, est alors possible. Certains ont été abandonnés sur place comme au point MDP08164 (Pl. 40 et Fig. 5-86). Les dimensions de ces gros blocs sont impressionnantes et peuvent atteindre la dizaine de mètres de long. Il est possible qu’ils soient par la suite découpés en plus petits blocs1323. Toutefois leurs faces sont soigneusement rectifiées, témoignant d’un travail de taille avancé qui n’aurait peut-être pas eu lieu si les blocs étaient destinés à être débités par la suite. Le redressement des différentes faces pouvait correspondre à une phase finale du travail du carrier.

La taille imposante de ces monolithes n’est pas sans rappeler celle des énormes blocs qui constituent le parement de la terrasse de Persépolis ou des monolithes formant les pylônes de certains portiques. Certains des blocs du parement de la terrasse peuvent atteindre 8 m de long pour 2 m de hauteur1324. De plus il s’agit du seul exemple d’utilisation de monolithes de telles dimensions dans la plaine de Persépolis. Néanmoins, la question se pose de leur transport depuis les pentes du Kuh-e Hussein. Le bloc décrit au point MDP08164 mesure environ 10x5x2 m, soit un volume de 100 m3. Si l’on considère la valeur de la masse volumique moyenne du calcaire qui est de 2,7 kg/ m3, ce bloc pèse près de 270 tonnes. Il faudrait alors le déplacer d’abord en bas des pentes du Kuh-e Hussein puis sur 7 km jusqu’à Persépolis. Toutefois, si l’on considère la distance entre la carrière de Sivand et les résidences de Pasargades et Persépolis, elle est respectivement, à vol d’oiseau, de 30 km et 16 km. Lors d’une visite dans cette carrière, nous avons relevé la présence d’ébauches de tambours de colonne de 3 m de long pour 1,4 m de diamètre, ce qui représente une masse de 15 tonnes environ. Même si cette valeur est loin des 270 tonnes du bloc repéré au point MDP08164, cette remarque prouve que les Achéménides possédaient la technologie nécessaire, donc des engins de transport suffisamment solides, pour déplacer de telles masses sur des distances de plusieurs kilomètres. La meilleure preuve de la maîtrise des techniques de levage et de transport réside dans l’observation des blocs de parement de la terrasse, puisque des blocs de 8 m de long ont pu être amenés à cet endroit et placés à plus de 9 m du sol. G. Tilia estime que les gros blocs du parement de la terrasse proviennent des carrières du Kuh-e Rahmat au nord de Persépolis1325. Or si la carrière située à l’angle nord-ouest de la terrasse (Pl. 21), présentant des fronts de taille de plusieurs mètres de haut, a pu fournir certains de ces blocs, le volume débité sur cette seule surface de 30 m par 60 m ne paraît pas suffisant pour fournir l’ensemble du parement. On sait également que l’aménagement de la terrasse s’est fait en retaillant les affleurements calcaires du Kuh-e Rahmat produisant ainsi un important volume de pierre dont des blocs du parement de la terrasse. Toutefois, si au niveau de la terrasse, les bancs de calcaire paraissent plus massifs que ceux situés plus au nord, la roche reste très facturée, il pourrait donc être difficile d’en tirer de gros monolithes de plusieurs mètres de long. Les carrières du Kuh-e Hussein, de par la nature plus compact de la roche et l’épaisseur des gisements, sont quant à elles certainement susceptibles de fournir de tels blocs.

En ce qui concerne la datation des exploitations de la pierre le long du Kuh-e Hussein, les observations faites pour l’exploitation le long du piedmont nord-ouest du Kuh-e Rahmat peuvent être reprises intégralement1326. D’une manière générale, il est très délicat de dater avec précision de telles exploitations. La forme, ou les dimensions, des ébauches constitue toutefois un élément de datation assez sûr. Or comme on vient de le voir avec les gros blocs monolithiques, ou comme le prouve la présence d’une ébauche cylindrique de 2 m de diamètre à proximité de MD08153 (Pl. 40), les formes relevées le long du versant sud du Kuh-e Hussein pourraient montrer qu’ils sont destinés au chantier de Persépolis. Il serait donc possible de faire remonter toute ou au moins une grande partie des exploitations à l’époque achéménide1327. Un autre élément de datation est fourni par la présence de nombreuses niches et fosses funéraires aménagées dans les fronts de taille ou sur les blocs isolés. Bien que la datation de ces aménagements rupestres soit également délicate, ceux-ci ne devraient pas être plus tardifs que la fin de la période sassanide et le début de l’ère islamique1328. Ce qui placerait la période d’exploitation des carrières entre les périodes achéménide et sassanide. Or l’utilisation de la pierre dans l’architecture paraît beaucoup plus massive à l’époque achéménide. Il faut enfin à nouveau souligner la présence dans le vallon de Darrehbarreh de bâtiments (Pl. 40 – MD08156)autour desquels de la céramique, peut-être islamique, a été retrouvée. L’emplacement de ces bâtiments pourrait être en lien avec l’exploitation de la pierre dans le vallon et prouver la poursuite d’une activité d’extraction aux périodes islamiques.

Notes
1321.

Type de carrière défini par Abdul Massih & Bessac 2009 : 37  « Carrière extensive : Exploitation très étendue, superficielle et parfois discontinue, se caractérisant par une progression essentiellement horizontale. Ce mode d’exploitation concerne : la récupération par débitage de blocs erratiques ; l’activité de petits chantiers d’extraction dispersés, exploitant des blocs seulement au sommet d’affleurements dépourvus de découverte ; des carrières linéaires. »

1322.

Cf. § 5.5.4.2.1

1323.

Les gros blocs débités par la suite en plus petit module sont défini comme des blocs marchands par Abdul Massih & Bessac 2009 : 22

1324.

Dimensions prises sur les plus gros blocs repérés sur les relevés du parement de la terrasse effectués par Krefter 1971 : Beilage 1, Beilage 3 ; d’autre part Krefter 1967 : 432, dans un article consacré au travail de la pierre à Persépolis, reste admiratif devant la capacité des bâtisseurs à transporter des blocs de dimensions aussi impressionnantes que les monolithes formant les piliers des murs de la salle centrale du palais de Darius et du Harem, soit précisément 7,52x1,5x1,03 m

1325.

Tilia 1978 : 6

1326.

Cf. § 5.5.4.2.2

1327.

Huff 1994 consacre un article aux carrières antiques de l’Iran ; il estime que les grands fronts de taille à enjarrots profonds et larges de plusieurs dizaines de centimètres sont exclusivement achéménides car ils permettent d’extraire de grands blocs que les bâtisseurs achéménides sont les seuls à utiliser. En effet, les exemples d’architecture en pierre sassanide montrent une utilisation de blocs de plus petits modules ; les carrières sassanides, dont il montre quelques exemples aux alentours de Bishapur, laissent apparaître des tranchées beaucoup moins larges, de la largeur d’un pic, autour de blocs ne dépassant pas 1 m en longueur. Si nous le rejoignons concernant une utilisation uniquement achéménide des gros blocs monolithiques, l’extraction traditionnelle par creusement d’enjarrots a pu se poursuivre bien après la période achéménide (voir Bessac 1999 : 37). De plus les vestiges d’architecture achéménide montrent également l’utilisation de bloc de petites dimensions. La dimension des fronts de taille ne permet donc pas, à notre avis, de déterminer une chronologie des exploitations de pierre.

1328.

Cf. § 5.5.4.3.1