5.7.3.3. Une occupation discontinue

Sur les 20 km² environ que couvre la zone d’occupation de Persépolis, les secteurs présentant des indices attestés d’occupation d’époque achéménide ne représentent qu’une petite partie de la surface (Pl. 41). Au sein même des blocs, les surfaces bâties paraissent discontinues. La question se pose donc du statut, et du possible aménagement, des vastes zones de vide. Les différents blocs d’occupation, définis auparavant, sont séparés de plusieurs kilomètres les uns des autres. S’il est possible de supposer qu’ils fonctionnaient en relation les uns par rapport aux autres, l’existence d’un plan d’aménagement à l’échelle de la zone pose question. Cela pourrait se matérialiser par un plan d’organisation global, un large parcellaire, dans lequel s’insèrent les différents blocs.

Considérée dans son ensemble, la zone d’occupation de Persépolis paraît donc peu densément occupée. Cette constatation peut d’abord être une conséquence des lacunes de la recherche archéologique. Toutefois, sur les secteurs où nous avons effectué des prospections plus poussées, il apparaît que des surfaces vides sont juxtaposées à des secteurs construits. Les transformations récentes du paysage, liées à la mise en place d’une agriculture moderne mécanisée, ont pu se traduire par des destructions différenciées des vestiges au sein d’un même bloc d’occupation. Ainsi, les zones de vide pourraient traduire des destructions plus importantes, faisant disparaître toute trace détectable d’occupation antérieure. Il faut également souligner l’existence de réoccupations postérieures, d’époque islamique, qui ont pu se superposer et masquer des structures plus anciennes.

Toutefois, l’existence à Persépolis de vastes zones non-bâties à l’époque achéménide est une hypothèse à considérer. A proximité de la terrasse, R. Boucharlat situe dans ces zones de vides l’emplacement possible du camp royal itinérant, où logeaient le roi et sa cour lors de leurs séjours à Persépolis1382. A l’échelle de la zone d’occupation de Persépolis, les secteurs de vide ont pu être occupés par des jardins ou des cultures. Ainsi, à Bagh-e Firuzi, W. Sumner interprétait la faible densité de constructions comme un ensemble de demeures destinées à l’élite, et entourées de jardins d’agrément1383. Le canal, le long du piedmont du Kuh-e Rahmat, aurait pu approvisionner en eau ces champs ou jardins, ceci uniquement pour la partie de la zone d’occupation de Persépolis située sur la rive gauche de la rivière Pulvar. En ce qui concerne la rive droite du Pulvar, à l’ouest de Naqsh-e Rustam, l’absence de sites est expliquée par W. Sumner par l’existence possible de grands domaines agricoles1384. Il est donc possible que les différents blocs d’occupation s’inséraient dans un ensemble de champs cultivés, de jardins ou de parcs paysagés. Les surfaces vides pourraient également avoir accueilli des habitats temporaires qui ont laissé peu de traces. Qu’il s’agisse de zones cultivées, de jardins ou de zones d’occupation temporaire, il faut se résigner au fait que la recherche archéologique a beaucoup de mal à en démontrer l’existence.

La conception d’un plan d’aménagement d’ensemble de la zone d’occupation de Persépolis pourrait se matérialiser par l’existence d’un schéma d’organisation commun. L’existence d’un ancien parcellaire n’a toutefois pu être détectée que sur le secteur de Persépolis Nord-Ouest (Pl. 24). Ce dernier se matérialise par un réseau de fossés, et peut-être de chemins perpendiculaires, qui semblent correspondre à un ancien plan d’organisation. Au sein de ce parcellaire, des zones bâties voisinent avec des espaces apparemment vides. L’aménagement de Persépolis Nord-Ouest obéit donc à un vaste schéma d’organisation, au sein duquel s’insèrent des espaces plus ou moins densément occupés, assurant probablement des fonctions différentes.

L’orientation des différents vestiges connus pourrait constituer un autre indice de l’existence d’un aménagement planifié de l’ensemble des environs de Persépolis. Le parcellaire mis en évidence dans le secteur de Persépolis Nord-Ouest et les différentes constructions du quartier royal présentent une orientation identique : les deux blocs d’occupation ont donc pu obéir à un même projet d’implantation. Les résultats des prospections magnétiques dans le secteur de Persépolis Nord-Ouest n’ayant pas permis de détecter le plan précis des constructions, probablement largement arasées par les labours mécanisés modernes, cette observation ne peut se baser que sur l’orientation des longues anomalies linéaires qui définissent les contours du parcellaire. Il est toutefois probable que les différentes constructions à Persépolis Nord-Ouest s’organisaient suivant l’orientation du parcellaire. A Bagh-e Firuzi, ainsi qu’à Dasht-e Gohar, les différents bâtiments connus présentent une orientation toute différente. A Bagh-e Firuzi, les différents édifices connus possèdent une orientation commune et obéissent de ce fait peut-être à un même plan d’organisation, probablement différent de celui commun à Persépolis Nord-Ouest et au quartier royal. Les deux monuments de Dasht-e Gohar présentent quant à eux des orientations encore différentes1385. Il est donc possible que l’aménagement de la zone d’occupation de Persépolis obéisse à des plans d’organisation différents suivant les secteurs. Ces différences d’orientation pourraient également traduire l’existence de plusieurs phases de développement à Persépolis. La conséquence de ces différentes observations est qu’il est, pour le moment, impossible de conclure sur la continuité spatiale d’un plan d’organisation commun à l’ensemble de la zone d’occupation de Persépolis.

Notes
1382.

Boucharlat 1997a

1383.

Sumner 1986a

1384.

Plus largement Sumner 1986a : 27 suggère, d’après les données épigraphiques, que le triangle, formé par la confluence des rivières Pulvar et Kur, au sud-ouest de Naqsh-e Rustam, pourrait être occupé par des exploitations agricoles, des irmatam. La vocation essentiellement agricole de cette zone expliquerait l’absence de site achéménide. Les irmatam, connues d’après les tablettes des Fortifications, correspondent à un des éléments du système administratif de gestion des ressources, mais aussi à des domaines agricoles, cf. Kuhrt 2007 : 767 et Briant 1996 : 458-459.

1385.

Bessac & Boucharlat 2010 : 36-n.12 notent toutefois que le plus long portique du pavillon est orienté en direction de la terrasse.