5.7.3.4. Problèmes de chronologie

L’interrelation suggérée des blocs entre eux pose également la question de la chronologie des différentes occupations, et plus particulièrement celle de leur contemporanéité. Il paraît en effet difficile de définir les différents blocs d’occupation comme faisant partie d’un même projet d’organisation s’ils ont commencé à fonctionner à des périodes différentes. La problématique de la chronologie des différents vestiges d’occupation achéménide dans la zone d’occupation de Persépolis a déjà été abordée à partir des données archéologiques et épigraphiques disponibles1386, nous n’en reprendrons donc ici que les points principaux. Notre approche de l’étude de cette zone étant avant tout spatiale, nous n’avons pas de données chronologiques nouvelles à apporter. Les résultats obtenus peuvent toutefois amener quelques pistes de réflexion.

La fondation du quartier royal, voulue par Darius, s’est faite dans une zone déjà probablement occupée avant son règne1387. Il paraît en effet admis que Matezzish préexistait à Parsa. Pour certains chercheurs, Matezzish aurait alors pu connaître une expansion liée à la fondation de la résidence royale, développement qui se serait traduit par le rattachement du secteur de Firuzi à la ville1388. Pour d’autres, Matezzish assurait déjà la fonction de centre régional, qui se serait alors déplacé à Parsa lors de son édification1389. De plus, sur la base des techniques architecturales employées, la construction des différents bâtiments de Bagh-e Firuzi et de Dasht-e Gohar est généralement datée d’avant ou du début du règne de Darius1390.

Pour les périodes suivant la chute de l’empire achéménide, l’existence d’une occupation post-achéménide, plus précisément séleucide, est également attestée1391. Il existe quelques indices de réoccupation sur la terrasse1392, et des constructions post-achéménides sont connues dans le vallon au nord du quartier royal (Pl. 21), ainsi qu’au nord-ouest de la terrasse correspondant au « Temple des Fratarakas » (Pl. 22); enfin les inhumations découvertes au Persepolis Spring Cemetery seraient également post-achéménides. Au cours du Ier millénaire av. J.-C., Persépolis aurait donc connu une occupation sur une période dépassant largement celle comprise entre sa fondation et la chute de l’empire achéménide. Elle couvre au moins l’ensemble de la période achéménide et englobe, au moins en partie, la période séleucide, soit la seconde moitié du Ier millénaire. L’intervalle de temps est suffisant pour que les blocs d’occupation aient été occupés à des périodes différentes. Aucune occupation datée de la première moitié du Ier millénaire n’a pour l’instant été démontrée, mis à part les données très lacunaires publiées par L. Vanden Berghe, et provenant d’un site appelé Tol-e Djalalabad situé dans la zone d’occupation de Persépolis 1393.

Pour analyser ce problème de chronologie, considérons les secteurs de Persépolis Nord-Ouest et de Bagh-e Firuzi (Pl. 41), sur lesquels se sont concentrées nos prospections. Dans le secteur de Persépolis Nord-Ouest, l’étude d’une coupe a permis de constater l’existence d’une épaisse couche de dépôts archéologiques1394. Cette observation témoigne, pour Persépolis Nord-Ouest, d’une occupation sur une longue durée avec plusieurs phases de développement. Dans la coupe et à la surface de l’ensemble du secteur, nous avons également pu relever la présence majoritaire de céramiques de catégorie achéménide/LPW. Ce secteur a donc apparemment connu une occupation longue, probablement centrée sur la période achéménide. Dans le secteur de Bagh-e Firuzi, nous n’avons pu relever que très peu de données pouvant apporter des éléments de chronologie. L’hypothèse d’une construction des différents bâtiments aristocratiques du secteur antérieure à celle du quartier royal peut tout à fait être acceptée. Il est par contre plus difficile de déterminer si Bagh-e Firuzi a été occupé sur l’ensemble de la période achéménide, ou seulement au début de celle-ci. Les différents sites ne semblent pas présenter de stratigraphie développée pouvant démontrer une occupation longue, comme nous l’avons constaté à Persépolis Nord-Ouest. Sur l’un des sites, Firuzi 6 (Pl. 28), les fondations d’une des plateformes en pierre mises au jour sont constituées de blocs manifestement remployés1395. Ces constructions ont donc pu connaître différentes phases de construction, ou des réaménagements témoignant de l’existence de plusieurs phases d’occupation. Autre point à rappeler, la différence d’orientation des vestiges entre les deux secteurs pourrait démontrer l’existence de deux schémas d’occupation différents. Ils ont donc pu être mis en place à des périodes distinctes, mais cela n’exclut pas qu’ils aient été occupés en même temps. On voit donc qu’en termes de durée d’occupation et de simultanéité, la question reste largement à étudier à Bagh-e Firuzi et à Persépolis Nord-Ouest, ainsi que sur l’ensemble des blocs d’occupation. A l’inverse, en l’absence de données chronologiques précises, rien ne s’oppose à ce qu’ils aient pu fonctionner ensemble, au moins à certaines périodes au cours de l’achéménide, et plus largement au cours de la seconde moitié du Ier millénaire.

Cette problématique de la chronologie des occupations dans les différents blocs ne pourra être éclaircie que par des fouilles ou des sondages stratigraphiques dans les différents secteurs. Les données préliminaires, obtenues récemment par l’équipe irano-italienne dirigée par A. Askari et P. Callieri, au cours de sondages dans le secteur de Persépolis Nord-Ouest, constituent en ce sens des résultats intéressants1396. Bien que la succession des différents niveaux d’occupation soit en grande partie bouleversée par les labours profonds, les datations radiocarbone indiquent une occupation qui s’étend sur la seconde moitié du Ier millénaire1397. La publication des résultats définitifs apportera bien entendu de nouveaux éléments de réflexion sur la caractérisation des occupations sur le secteur de Persépolis Nord-Ouest, et plus particulièrement sur leur chronologie absolue.

Notes
1386.

Cf. § 5.1.2.3

1387.

L’occupation préhistorique sur les deux sites de Tol-e Bakun, ainsi que des indices d’une occupation élamite à proximité de la terrasse, cf. Abdi 2007, montrent que la période achéménide s’inscrit dans un paysage en partie occupé déjà depuis des millénaires. On note toutefois de possibles hiatus : par exemple il n’existe aucun indice de la présence d’installations de la fin de l’Age du Bronze dans la zone d’occupation de Persépolis qui a pu être fondée dans un paysage relativement vierge de toute occupation humaine ; à ce sujet voir par exemple Cuyler Young 2003 : 243-245, ou encore la carte de l’occupation entre la fin de l’Age du Bronze et la période achéménide publiée par Sumner 1994 : 98-fig.1.

1388.

Sumner 1986a : 23

1389.

Koch 1990 : 29-30

1390.

Concernant une construction de Dasht-e Gohar au début du règne de Darius, cf. Boucharlat & Bessac 2010 et § 5.5.1.

1391.

Boucharlat 2006 : 251-258 ; Callieri 2008

1392.

Sur les quelques indices de réoccupation séleucide sur la terrasse par Calmeyer 1990 et Boucharlat 2006 : 451-452

1393.

Vanden Berghe 1954 ; cf. § 4.2.1.2

1394.

Cf. § 5.3.3.3.3

1395.

Cf. § 54.3.3.1

1396.

Cf. § 5.3.5.3

1397.

P. Callieri, communication personnelle.