5.7.4.2. Comparaison avec Pasargades

Les données sur l’occupation achéménide de Pasargades et de ses environs immédiats proviennent des fouilles archéologiques dirigées par D. Stronach1416, et de prospections magnétiques entreprises sur plusieurs saisons dans le cadre de la mission irano-française entre 1999 et 20081417. Ces prospections, réalisées sur de grandes surfaces en apparence non-construites, ont eu pour but de replacer les différentes constructions isolées, mises au jour par les fouilles, dans un contexte spatial plus large. Elles ont été couplées à des relevés topographiques et à des prospections à vue. La mise en œuvre d’une même méthodologie sur les sites de Pasargades et de Persépolis, basée surtout sur l’usage extensif de la méthode magnétique, permet de disposer d’informations de nature comparable. Parallèlement, les fouilles d’urgence dans la vallée du Tang-e Bulaghi, dont l’entrée est située à 2 km de la tombe de Cyrus, apportent de nouvelles données archéologiques sur l’occupation achéménide des environs de Pasargades.

Figure 5‑90 : Topographie du site de Pasargades et plan des bâtiments (Boucharlat 2007 : Fig.3)
Figure 5‑90 : Topographie du site de Pasargades et plan des bâtiments (Boucharlat 2007 : Fig.3)

A Pasargades, les constructions achéménides sont disséminées sur une surface de plus de 300 ha1418 (Fig. 5-90). Seule une petite partie de cet espace est construite, et les différents vestiges visibles forment quatre blocs d’occupation bien différenciés.

Au nord se développe une vaste zone de 20 ha protégée par une enceinte de brique crue. Le centre de cette zone fortifiée correspond à un bassin sédimentaire encadré de collines. Sur ce secteur, des prospections magnétiques ont été entreprises sur 7 ha, elles se sont concentrées dans sa partie nord, intégrant les pentes des reliefs et une petite partie de la plaine. Elles ont permis de révéler la présence de plusieurs constructions de forme rectangulaire, de 25 à 40 m de long, divisées en compartiments de 4 à 8 cellules1419, qui pourraient constituer les ailes de plusieurs bâtiments en forme de « U »1420. L’érosion, particulièrement importante sur les pentes, et les arasements, liés aux labours mécanisés dans le bassin, expliquent que le plan des vestiges soit difficilement visible. L’existence de constructions sur l’ensemble des surfaces prospectées, ainsi que celle d’un plan d’organisation d’ensemble, ne peut donc pas être attestée avec certitude. Ces résultats prouvent cependant la présence de constructions au sein de cette zone fortifiée, qui auraient pu servir de garnisons, de lieux de stockage ou encore d’habitats1421. Quelle que soit leur fonction, leur plan et l’absence d’éléments d’architectures en pierre démontrent qu’il s’agit de constructions de nature très différente des édifices royaux situés plus au sud. Au sommet de la colline délimitant le secteur fortifié au sud, le long rempart se rattache aux angles nord-est et nord-ouest de la plateforme monumentale du Tall-e Takht. Le Tall-e Takht et le secteur fortifié au nord forment donc probablement un seul et même bloc d’occupation. S’étendant sur près de 2 ha, la plateforme aurait pu constituer le lieu destiné à accueillir les résidences royales1422. Bien que sa construction ait été entreprise sous le règne de Cyrus, les niveaux d’occupation mis au jour par les fouilles de D. Stronach sont toutefois à dater essentiellement des périodes post-achéménides1423. Par conséquent, la datation achéménide des vestiges découverts plus au nord, grâce à la prospection magnétique, n’est pas assurée.

Plus au sud, au centre de l’emprise actuelle du site, se concentre un ensemble de constructions monumentales royales, construites en partie en pierre. Il s’agit de la tour du Zendan-e Soleiman, des palais S et P, et des pavillons A et B. Au sud-est du palais S, une porte monumentale marque l’entrée du secteur royal, qui se fait via un pont construit au-dessus d’un large canal. L’ensemble de ces constructions s’étend sur une surface de 25 ha. Le bâtiment le plus septentrional, le Zendan-e Soleiman, se situe à 500 m du Tall-e Takht, le Palais S à 1 km. Dans la zone comprise entre les Palais S et P, intégrant les deux pavillons, les fouilles de D. Stronach ont permis de mettre en évidence un réseau de canaux en pierre dessinant les contours d’un jardin, qui serait le prototype du « jardin persan ». Les prospections géophysiques, entreprises sur près de 17 ha, ont permis de démontrer que ce jardin ne constitue probablement qu’une partie d’un plus vaste parc qui pouvait englober l’ensemble des constructions. Au sud-ouest du Zendan-e Soleiman, les cartes magnétiques révèlent en effet de longues anomalies rectilignes, probablement les restes d’un ancien parcellaire dont l’orientation est identique à celle des canaux construits. Entre le palais S et la porte monumentale, la présence d’anomalies comparables, sur les deux rives du canal, pourrait indiquer une extension du jardin peut-être au-delà de la porte monumentale. Dans ce secteur, la prospection magnétique montre de plus que le canal présente des berges construites, et qu’il s’interrompt au niveau de l’angle sud-est du palais S. Le canal forme donc un large bassin qui doit faire partie intégrante du plan d’aménagement du jardin. En définitive, l’ensemble des constructions royales a pu être intégré dans un vaste projet d’aménagement paysagé, un parc qui pouvait s’étendre depuis le pied du Tall-e Takht jusqu’au sud de la porte monumentale, sur une surface de près de 100 ha1424.

Le troisième et le quatrième bloc d’occupation correspondent à la Tombe de Cyrus et au Sacred Precinct. La tombe de Cyrus est située à 1,2 km du palais S. Elle est isolée de toute autre construction connue d’époque achéménide. Du fait des réaménagements récents de ses environs, les prospections magnétiques n’ont pas été étendues jusqu’à ce monument. Il faut donc la considérer comme un bloc à part, de fonction funéraire. Le Sacred precinct rassemble deux plinthes en pierre, des « autels », et à 130 m au nord-ouest une construction composée d’une superposition de deux terrasses de briques crues, sur soubassement en pierre, mesurant à sa base 75 m par 45 m. D. Stronach proposait de restituer tout autour un mur d’enceinte1425, ce qui n’a pas pu être confirmé par la prospection magnétique1426. Si la connexion entre ces vestiges n’est pas attestée, ceux-ci déterminent toutefois un bloc d’occupation achéménide bien différencié, situé à plus de 1,3 km au nord-ouest du Tall-e Takht.

A la suite de ce rapide exposé des différentes composantes de l’occupation achéménide à Pasargades, il est possible de constater des analogies avec le schéma d’occupation à Persépolis. Le schéma d’aménagement de Pasargades semble en effet également obéir à une organisation en blocs d’occupation, de fonction ou de nature différente. L’ensemble formé par le Tall-e Takht et la zone fortifiée au nord peut englober une occupation résidentielle, de caractère royal sur la plateforme, plus ordinaire dans sa partie nord. L’ensemble des constructions de prestige au centre du site et des bâtiments à salle centrale hypostyle doit correspondre aux bâtiments de réception. En aucun cas les plans de ces édifices ne peuvent correspondre à ceux d’habitations. La tombe de Cyrus correspond à un bloc funéraire. La fonction religieuse du Sacred Precinct reste hypothétique, mais son emplacement, au-delà des collines qui délimitent la zone fortifiée au nord, en fait un bloc d’occupation à part. De même qu’à Persépolis, ces différents blocs d’occupation ne pouvaient que fonctionner en interrelation1427.

A Pasargades, la mise en évidence, au centre du site, d’un parcellaire dessinant le plan d’un vaste parc, pourrait de plus esquisser un schéma d’occupation à l’échelle de l’ensemble du site. Le réseau de fossés ou de chemins, dont les canaux construits ne représentent que la partie la plus visible, rassemble en tout cas l’ensemble des édifices royaux au centre du site dans un même plan d’aménagement. L’existence d’une ébauche de parcellaire quadrangulaire n’est pas sans rappeler celui détecté dans le secteur de Persépolis Nord-Ouest. L’approvisionnement en eau des différents blocs d’occupation est assuré par le creusement du canal depuis le lit du Pulvar, 4 km plus au nord, canal qui se termine en un vaste bassin au niveau des palais. A Persépolis, l’investissement dans les infrastructures hydrauliques a également été important.

Enfin, comme l’a par ailleurs souligné R. Boucharlat1428, l’importance des surfaces aménagées (plusieurs centaines d’hectares) et la présence de vastes espaces non construits constituent un trait commun de l’organisation achéménide dans les deux résidences royales. De même, l’hypothèse émise par D. Stronach1429, qui fait de l’ensemble formé par Dasht-e Gohar et Bagh-e Firuzi l’embryon d’une première résidence royale construite par Cambyse sur le modèle de Pasargades, souligne, même si elle est loin d’être vérifiée, qu’il faut considérer le développement des deux résidences achéménides à une très vaste échelle.

Pasargades, par rapport à Persépolis, apparaît toutefois comme un projet d’aménagement appliqué à une surface plus limitée. En effet, si une distance de 3 km sépare le Tall-e Takht de la tombe de Cyrus, il faut rappeler que le quartier royal de Persépolis et la nécropole royale de Naqsh-e Rustam se situent à 6 km l’un de l’autre. La zone d’occupation de Persépolis a en effet été définie comme pouvant s’étendre sur 20 km², et les secteurs présentant des artefacts achéménides couvrent au total des surfaces plus importantes qu’à Pasargades. Cette différence d’échelle peut refléter une différence d’importance des deux villes. Persépolis, à la fois résidence royale et capitale du Fars, devait effectivement connaître une activité plus importante. Toutefois, les fouilles récentes entreprises dans le Tang-e Bulaghi apportent des données intéressantes sur l’occupation achéménide des environs de Pasargades, au-delà de l’emprise actuelle du site. Elles ont permis de mettre au jour un ensemble inédit de bâtiments achéménides. Un site correspond en effet à un pavillon hypostyle, donc à une occupation aristocratique ou royale1430, alors que les autres révèlent des installations plus communes, probablement à vocation agricole1431. L’ensemble est alimenté par un réseau de canaux longeant les deux rives du Pulvar. L’entrée des gorges du Tang-e Bulaghi ne se trouve qu’à 2 km de la tombe de Cyrus, et le plus proche des sites achéménides, le pavillon hypostyle, à 6 km. Par rapport à Persépolis, on retrouve donc des échelles de distance comparables. Si la vallée du Tang-e Bulaghi devait certainement servir à l’approvisionnement de Pasargades en produits agricoles1432, il n’est toutefois pas certain que cette région représente un bloc d’occupation comparable à ceux définis à Persépolis. Les quatre sites achéménides fouillés sont disséminés sur plus de 10 km le long du Tang-e Bulaghi. Ils ne peuvent donc définir un bloc d’occupation dense, mais plutôt l’existence d’une succession d’établissements agricoles, destinés à assurer l’exploitation des terres arables de la vallée. La construction du pavillon, non loin de l’entrée des gorges, est toutefois probablement à relier à la proximité de Pasargades. Le plan de cet édifice est proche de celui de deux pavillons situés à proximité des palais, mais la présence de bases de colonnes en forme de cloche pourrait dater le bâtiment plutôt du règne de Darius1433. La construction de ce pavillon n’a donc pas été planifiée dès le début de l’édification de Pasargades. Il a pu être conçu plus tardivement, comme un lieu de villégiature, un second paradis, situé non loin du parc de Pasargades1434. La construction des canaux, sur les deux rives du Pulvar, comportant d’impressionnantes parties rupestres, pourrait également illustrer l’importance de l’investissement royal dans l’aménagement du Tang-e Bulaghi. S’il est difficile de restituer dans ce secteur proche de Pasargades un bloc d’occupation dense pouvant définir une des parties de la ville, son aménagement semble avoir été planifié en liaison avec l’occupation royale du site. Comme dans la plaine de Persépolis, on aurait ici une illustration de la différence entre la ville, organisée en blocs, et son territoire, où les implantations sont dispersées1435.

Notes
1416.

Stronach 1978

1417.

Boucharlat 2002, Boucharlat & Benech 2002 et Boucharlat 2007 pour les résultats de la mise en place d’un nouveau programme de prospection sur et dans les environs de Pasargades ; Boucharlat 2009 pour une mise à jour des données de prospection magnétique obtenues sur les jardins au cours des saisons 2007 et 2008.

1418.

Plan du site Stronach 1978 : fig.3 ; pour une version actualisée, replacée dans la topographie du terrain Boucharlat & Benech 2002 : 11-fig.5

1419.

ibid. : 26-30 

1420.

C. Benech, communication personnelle.

1421.

Boucharlat 2007 : 459

1422.

Boucharlat 2010a : 425

1423.

Cf. § 4.2.2.1

1424.

Boucharlat 2009 : 56

1425.

Stronach 1978 : Fig.74 

1426.

Boucharlat & Benech 2002 : 30-33

1427.

Voir aussi l’analyse des premières données de prospection par Boucharlat & Benech 2002 : 38-39 « La superficie que couvrait la capitale de Cyrus est certainement supérieure à celle dont rendent compte les plans disponibles jusqu’à présent. La répartition et la diversité des aménagements et constructions repérées dans les espaces apparemment vides indiquent que les activités auxquelles ceux-ci pouvaient correspondre étaient bien différenciées et séparées les unes des autres. »

1428.

Boucharlat 1997a ; Boucharlat 2001b ; Boucharlat 2010a : 441-442

1429.

Stronach 2001

1430.

Ata’i & Boucharlat 2009

1431.

Asadi & Kaim 2009 ; Askari Chaverdi & Callieri 2009 ; Helwing & Seyyedin 2009

1432.

Helwing & Seyyedin 2009 : 7

1433.

Ata’i & Boucharlat 2009 : 21-22

1434.

Boucharlat (sous presse)

1435.

Cf. § 6.4.2.1