5.7.4.3. Les exemples de deux capitales de satrapie : Sardes et Dahan-e Ghuleiman

Les sites royaux évoqués précédemment constituaient également les capitales de satrapies dans les différentes provinces où ils se situaient. Pasargades doit toutefois être mis à part, la capitale de satrapie pour la Perse étant située à Persépolis. Pasargades, même s’il pouvait abriter une activité importante soutenue par la mise en valeur de son territoire proche, devait donc avant tout constituer un haut lieu dynastique, à valeur symbolique. Les capitales de satrapie devaient représenter des centres urbains suffisamment importants pour assurer les fonctions de centres économiques et administratifs régionaux, à partir desquels étaient gérées les différentes provinces de l’empire. En cela, il paraît intéressant de s’intéresser à leur organisation à l’époque achéménide, et de la confronter au schéma proposé pour Persépolis.

Dans la plupart des capitales de satrapie identifiées, la période achéménide ne s’est apparemment que rarement traduite par d’importantes réorganisations1436. Cette constatation est à nuancer car les archéologues ont généralement négligé les niveaux d’occupation achéménide sur ces sites, le plus souvent des capitales de royaumes déjà bien établies, qui ont donc pu connaître d’importants développements aux périodes postérieures1437. Sardes, capitale de la Lydie, fait en cela figure d’exception, et traduit un certain renouveau des études archéologiques centrées sur la période achéménide1438, puisqu’elle a fait l’objet récemment d’une synthèse, par E. Dusinberre, sur l’occupation achéménide de la ville1439. Si cette étude fait apparaître une certaine pénétration d’une culture matérielle perse1440, ainsi que d’importantes réalisations architecturales sur des bâtiments publics, le plan d’organisation de la ville ne semble par avoir connu de réorganisations importantes1441. L’auteur souligne toutefois qu’une grande partie de la ville reste inexplorée et qu’il est possible d’imaginer qu’elle abrite un complexe palatial achéménide, construit sur le modèle de ceux des résidences royales achéménides. A l’inverse de Suse, par exemple, à Sardes seuls les quartiers d’occupation commune seraient donc explorés1442. Si cette reconstitution reste tout à fait hypothétique, elle souligne toutefois le potentiel archéologique qu’il reste à exploiter à Sardes, pour permettre une reconstitution globale de la ville à l’époque achéménide. Néanmoins, en l’état, le constat à Sardes est comparable à celui fait à Babylone, où les traditions architecturales et le plan d’urbanisme restent largement inchangés.

Par rapport aux autres capitales de satrapie, Dahan-e Ghuleiman est un cas particulièrement intéressant à considérer, car il s’agit d’une fondation nouvelle d’époque achéménide. L’identification du site à Zarin, la capitale de la Drangiane, une province située à l’est de l’empire, est une hypothèse qui semble largement acceptée1443. Plusieurs campagnes de fouilles, menées dans les années 1960 par une équipe italienne1444, ont permis de révéler le plan d’une vaste installation s’étendant sur une centaine d’hectares (Fig. 5-91). Des sondages et des études spécifiques sur ce site ont été repris récemment par une équipe iranienne1445. Nous disposons également des résultats, encore inédits, de tests de prospections géophysiques et de prospections systématiques à vue entreprises par K. Mohammadkhani, en partenariat avec notre mission dans le Fars. Ce travail a déjà fait l’objet d’un mémoire de Master 21446, et servira à alimenter largement une thèse de doctorat consacrée à l’étude des occupations achéménides à la périphérie orientale de l’empire achéménide. Une partie des résultats préliminaires obtenus est empruntée à ce travail pour évoquer le plan d’organisation de Dahan-e Ghuleiman. Ce site est très éloigné de la Perse, situé dans un environnement désertique très différent de celui de Persépolis. Il faut donc considérer les différents vestiges connus comme étant de probables témoins de traditions locales, qui pourraient être assez éloignées des conceptions perses1447. L’intérêt du site réside toutefois dans le fait qu’il s’agit d’une fondation nouvelle, qui a de plus connu une période d’occupation très brève et des réoccupations postérieures très limitées. Elle correspond donc à un exemple inédit de ville fondée au début de l’époque achéménide, peut-être du fait de la volonté d’un pouvoir central qui souhaitait installer dans cette région un centre satrapique. Cette fondation pourrait donc se caractériser par un modèle d’organisation inspiré des fondations achéménides du centre de l’empire.

Figure 5‑91 : Carte des vestiges achéménides à Dahan-e Ghuleiman (d’après Mohammadkhani 2010 : Fig.8 où le plan des bâtiments a été repris de Mariani 1979 : Fig.5)
Figure 5‑91 : Carte des vestiges achéménides à Dahan-e Ghuleiman (d’après Mohammadkhani 2010 : Fig.8 où le plan des bâtiments a été repris de Mariani 1979 : Fig.5)

On peut distinguer deux secteurs dans la ville : l’un au nord-est et l’autre au sud-ouest du site. Au sud-ouest, le long d’un canal de 15 m de large, orienté sud-ouest/nord-est, se répartit un ensemble de 9 bâtiments sur une longueur de 650 m (Fig. 5-91). Les récentes prospections à vue de K. Mohammadkhani ont permis de repérer une dizaine d’autres structures dans ce secteur. Les différents vestiges sont en majorité localisés le long de la rive nord du canal, l’occupation semblant donc se développer vers le nord. Une prospection magnétique entreprise de part et d’autre du canal, au centre du secteur, n’a pas permis de mettre en évidence la présence d’un bâti dense entre les différents édifices connus. Les cartes magnétiques font toutefois apparaître une importante érosion liée au ruissellement, particulièrement sur les pentes situées en rive sud du canal ; elle a donc pu détruire en partie de possibles vestiges de construction.

Au nord-est, le second secteur présente un tout autre plan d’organisation. Les différents vestiges s’agencent sur une surface d’une trentaine d’hectares, autour des deux branches d’un canal de direction sud-est/nord-ouest. Outre trois grands bâtiments publics, les vestiges s’organisent en deux ensembles de petites constructions denses, regroupées à l’ouest et à l’est du secteur, interprétées à raison comme des espaces privés. La présence de scories en grand nombre, mises en évidence par les prospections récentes, permet également de supposer l’existence d’ateliers artisanaux. Si les bâtiments 1 et 2, situés à l’est du secteur, entre les deux branches du canal, paraissent assez isolés, le bâtiment 3, un possible édifice religieux, est intégré quant à lui dans un ensemble d’occupation commune. Une prospection magnétique, localisée entre les secteurs oriental et occidental de la ville, n’a pas non plus permis de déterminer une continuité de l’occupation entre les deux sites. Les anomalies relevées traduisent avant tout l’importance du ruissellement qui a profondément incisé le terrain. Mis à part la découverte de quelques nouveaux bâtiments, les résultats des prospections récentes n’apportent donc que peu d’informations nouvelles concernant le plan d’organisation de la ville.

En l’état, la ville, sur l’ensemble des 100 ha, montre un plan d’organisation distendu, les constructions étant dispersées sur une longueur totale de 1,5 km. Cette dispersion est très marquée dans la partie occidentale du site, où il faut également souligner une forte différence de l’orientation des bâtiments. La partie orientale présente une densité plus importante de vestiges, qui respectent tous une orientation nord-ouest/sud-est commune. Le développement de ces deux secteurs s’est donc peut-être effectué de manière indépendante. En attendant de nouvelles données, la poursuite des prospections vers le nord pourrait fournir des résultats intéressants, car cette zone paraît moins érodée. Les 100 ha de Dahan-e Ghuleiman doivent donc pour l’instant être considérés comme peu densément occupés. Comme pour les différentes fondations royales, le plan du site se caractérise donc par la présence de vastes zones vides, et par un étalement important des structures. Les secteurs est et ouest semblent constituer deux blocs d’occupation obéissant à un plan d’organisation différent. Il est toutefois intéressant de souligner que les bâtiments publics à Dahan-e Ghuleiman sont situés à proximité des occupations plus communes, alors que dans les fondations royales du Fars et à Suse, les différentes constructions royales paraissent volontairement isolées.

Au cours de ses recherches, K. Mohammadkhani a également effectué des prospections à vue sur une zone de près de 2 km² s’étendant au sud du site, de manière à tester l’hypothèse d’une extension de la ville dans cette direction. Parallèlement, une étude de télédétection, couplée à des reconnaissances sur le terrain, a permis de préciser le tracé des réseaux de canaux qui alimentaient le site. A 1,5 km au sud de l’ensemble de constructions décrit auparavant, des tessons achéménides sont présents sur une surface de près de 8 ha, centrée sur les vestiges d’un enclos de 4 ha probablement fortifié. Cette dernière structure avait été relevée par les archéologues italiens, et avait été interprétée comme une forteresse1448. Sa construction est probablement à associer à la fondation de la ville, plus au nord. D’autre part, l’étude du tracé des canaux qui alimentent le site, et en constituent la colonne vertébrale, a permis de montrer que la prise d’eau se situe à plus de 8 km à l’ouest du site, dans un ancien défluent de la rivière Hilmand. Ces premiers éléments d’une étude, amenée à être approfondie, montrent que la fondation de Dahan-e Ghuleiman peut être considérée comme un projet conçu sur une très vaste surface. Ainsi la présence d’une possible forteresse à 1,5 km du centre du site atteste la présence d’au moins un bloc de construction périphérique ; la carte archéologique doit toutefois être encore complétée. Le creusement de canaux sur plus de 8 km de long, pour alimenter la ville en eau, présente également un investissement très important et particulièrement vital dans ce milieu désertique. Cet aménagement témoigne donc à nouveau de l’importance, dans les fondations d’époque achéménide, de l’investissement dans les ouvrages hydrauliques et de la maîtrise technique nécessaire à leur mise en place.

Notes
1436.

Par exemple Knauss 2001 : 130-131 note, dans le plan des différents complexes palatiaux satrapiques, une grande continuité par rapport aux périodes antérieures à la domination perse.

1437.

Sur la faiblesse des indices archéologiques d’époque achéménide dans les différentes provinces de l’Empire voir la synthèse effectuée par Briant 1996 : 782-785 où il souligne que les causes sont également à chercher dans le manque d’intérêt des archéologues pour les niveaux dit perses

1438.

Briant & Boucharlat 2005 dressent un bilan plus positif et notent, 10 ans après le constat dressé par Briant 1996, un regain d’intérêt pour les études achéménides.

1439.

Dusinberre 2003

1440.

Cette acculturation s’illustre entre autre par la production importante de bols carénés, considérés comme un fossile directeur de l’occupation achéménide, voir Dusinberre 1999 et Dusinberre 2003 : 172-195.

1441.

ibid. : 75-77

1442.

ibid. : 47

1443.

Gnoli 1993 ; Genito 2010 : 80-81 sur l’acceptation de cette identification mais n’apporte aucune donnée nouvelle et reprend in-extenso en n.12 le passage de Gnoli 1993 sur l’identification de Dahan-e Ghuleiman.

1444.

Scerrato 1966

1445.

Sajjadi & Moghadam 2004

1446.

Mohammadkhani 2010, les données récentes évoquées au cours des paragraphes suivant sont issues de ce travail.

1447.

Le bâtiment QN3 correspond probablement à un édifice religieux attestant de pratiques religieuses locales, voir Scerrato 1979 ou plus récemment la synthèse de Gnoli 1993 : 584.

1448.

Elle est présente sur une carte inédite de la région de Dahan-e Ghuleiman, dessinée par L. Mariani et retrouvée dans des archives de la mission italienne entreposées dans la maison de fouille de Shahr-e Sukhte.