6.2.2. Les petites villes

6.2.2.1. Site M

KR0697: C, surf. 6 ha ; ht. 3 m ; Ach 6/UTM 39R E 667241 m ; N 3322340 m

KR0744: Z/de UTM 39R E 666968 m ; N 3323173 m à UTM 39R E 667505 m ; N 3322558 m

KR0669: TB, ht. 2 m; surf. 0,3 ha, Ach. 0,3/UTM 39R E 667600 m ; N 3321900 m(?) 1537

Le site M (Pl. 42) décrit par W. Sumner1538 regroupe en fait trois points d’observation enregistrés dans le Gazetteer. Bien que ces trois sites (KR0744, KR0697, KR0669 – Pl. 43) soient de nature très différente, nous les traitons ensemble ici car W. Sumner considère qu’ils définissent une seule et même zone d’occupation achéménide. KR0697 correspond, d’après W. Sumner, à un groupe de tepes de 3 m de haut couvrant une surface totale de 6 ha. KR0744 n’a pas été reporté sur la carte : il est évoqué cependant dans le texte et est décrit comme un long talus en pierre qui s’étend depuis le point KR0669, longe le piedmont du Kuh-e Qaleh et passe entre KR0697 et la montagne. Le code Z appliqué dans le Gazetteer, correspond à celui appliqué aux vestiges de routes empierrées. Enfin, KR0669 est défini comme étant situé à 700 m au sud-est de KR0697 : il s’agit de l’emplacement d’un petit tepe qui a révélé 11 bases de colonnes fuselées en pierre ainsi qu’une dalle de fondation. D’après la base de données, le relief posséderait une surface de 0,3 ha et une hauteur de 2 m. De la céramique achéménide/LPW aurait été retrouvée sur le groupe de tepes au nord, alors que plus au sud, les alentours du bâtiment se sont révélés stériles. L’ensemble de ces vestiges a été reporté précisément sur les cartes anciennes au 1:5000 annotées par W. Sumner.

L’étude de ces cartes révèle que le point KR0697 ne correspond pas à des tepes proprement dit mais à des reliefs fluviaux. Il s’agit d’un groupe de trois lambeaux de la terrasse T1, la terrasse supérieure du Kur. Cette terrasse correspond au niveau supérieur de la plaine qui a été incisé à partir de 9000BP1539. Des phénomènes d’érosion, liés à des crues du Kur ou des écoulements d’eau depuis le versant occidental du Kuh-e Qaleh, pourraient expliquer la formation de ces buttes. Par la suite, à partir de 1500 BP, la terrasse inférieure du Kur, terrasse T2, va se former au pied de ces reliefs. Les contours de la terrasse T2, ont été reportés sur la reproduction de la carte au 1:5000 (Fig. 6-1). Si ces trois restes de terrasses forment bien des reliefs dominant la terrasse T2, il ne s’agit donc pas à proprement parler de tepes car leur formation peut s’expliquer par des phénomènes géomorphologiques. Pour s’en convaincre, les altitudes relevées au sommet des trois lambeaux de terrasse, 1600,5 m pour deux d’entre eux et 1600,4 m pour le troisième, sont presque égales à celle de la terrasse T1 préservée au nord : la carte au 1:5000 indique une altitude de 1600,6 m. L’ensemble permet de restituer les contours d’une seule et même terrasse fluviale, la terrasse T1, dont l’altitude devait avoisiner 1600 m, avant qu’elle ne soit incisée. Si l’on respecte les codes morphologiques mis en place par W. Sumner, ce site ne correspondrait donc pas à un groupe de tepes mais à un site de surface ne présentant pas de relief. La zone d’occupation achéménide a probablement été incisée postérieurement à son abandon, en effet la configuration du terrain ne paraît pas très adéquate à l’installation d’un habitat. L’ensemble de ces trois terrasses couvre une surface de 4,5 ha, soit un peu moins que la surface reportée par W. Sumner ; il est donc possible qu’il ait repéré des tessons sur un secteur plus large dont il n’a pas précisé les contours sur la carte au 1:5000.

Figure 6‑1 : Le site KR0697 et ses alentours, délimitations anciennes et actuelles des terrasses fluviales (reportées sur la carte au 1:5000 levée en 1966)
Figure 6‑1 : Le site KR0697 et ses alentours, délimitations anciennes et actuelles des terrasses fluviales (reportées sur la carte au 1:5000 levée en 1966)

Ces constatations n’ont pu se faire que d’après les cartes anciennes car aujourd’hui, sur le terrain, l’ensemble de ces reliefs a disparu. Les espaces incisés entre les lambeaux de terrasses ont été remblayés de manière à niveler le relief et permettre l’installation de plusieurs parcelles agricoles. La limite artificielle et actuelle de la terrasse T1 longe de ce fait la bordure occidentale de l’ancien groupe de lambeaux de terrasse (Fig. 6-1 – en tiret violet). De même au pied de T1, la surface de T2 a été nivelée. De l’ancien paysage fluvial, il ne reste désormais plus qu’une petite butte témoin de la terrasse T1, situé à 200 m à l’ouest de KR0697. Une prospection systématique des trois champs qui ont été aménagés à l’endroit où se situait l’occupation achéménide n’a permis de repérer que quelques céramiques éparses, moins d’une dizaine, sur plus de 8 ha. Parmi ces tessons, un petit fragment de bord (mesurant 3,5 cm de long) pouvait éventuellement être de forme achéménide/LPW, mais la taille du tesson ne permet pas de l’attester.

Plusieurs explications peuvent expliquer cette absence de céramique. Tout d’abord, il faut envisager une erreur de localisation de notre part ou de celle de W. Sumner. Le site se trouvant sur une des cartes à grande échelle dont disposait W. Sumner, cette hypothèse paraît peu vraisemblable, que ce soit sa localisation ou la nôtre, elles ont été faites de manière précise. Seconde hypothèse, les travaux de terrassement et de comblement des différentes fosses séparant les lambeaux de terrasse ont entraîné soit à arasement total, soit un recouvrement des couches archéologiques superficielles. La quasi-absence de tessons est difficile à expliquer du fait de ces seuls travaux. L’apport de terre a pu être important mais il est probable que les labours postérieurs aient fait remonter quelques tessons depuis les niveaux archéologiques. Il faut donc envisager une troisième hypothèse, l’occupation achéménide ne se signalait que par une faible concentration de céramiques. Les terrassements auraient donc pu disséminer et recouvrir les artefacts et rendre presque indétectable toute concentration. Les niveaux d’occupation achéménide, quelle que soit l’hypothèse retenue, ont donc dû être fortement perturbés, voire détruits, d’abord par l’érosion naturelle de la rivière mais surtout par les importants travaux récents de nivellement. Le point KR0697 devait donc correspondre à une assez vaste occupation achéménide, ne présentant pas de tepes et ne se signalant probablement que par de très faibles concentrations de céramiques.

Figure 6‑2 : Carte archéologique à l’ouest de Kuh-e Qaleh
Figure 6‑2 : Carte archéologique à l’ouest de Kuh-e Qaleh

Les vestiges architecturaux du point KR0669 ont été décrits par A.B. Tilia1540. Le texte est accompagné d’une planche de dessins représentant des exemples des bases de colonnes retrouvées1541. L’auteur indique que la visite de ce site s’est faite sur les indications de W. Sumner qui avait signalé la présence de concentrations de céramiques achéménides à l’ouest de Masumabad, le village situé sur le piedmont sud du Kuh-e Qaleh (Fig. 6-2). W. Sumner devait très certainement parler du groupe de « tepes » KR0697, décrit précédemment. A.B. Tilia affirme que lors de sa visite sur le terrain, elle n’a pas retrouvé de céramique en surface ; un bloc de fondation équarri de calcaire gris a pu être repéré à la surface d’un champ. Des habitants les ont informés sur place que l’arasement du petit tepe qui se trouvait à cet endroit avait mis au jour plusieurs bases de colonnes, transportées par la suite dans un village voisin. Ces vestiges ont plus tard été déposés dans les réserves du musée de Persépolis. Ce type de base, qui devait supporter des colonnes en bois, peut être comparé, d’après A.B. Tilia à des bases de colonnes retrouvées à Pasargades, à Suse et dans un village près de la terrasse de Persépolis. La datation achéménide de ces bases de colonnes semble donc assez assurée.

La question de la localisation précise du bâtiment dont proviennent ces bases paraît par contre plus délicate à résoudre. W. Sumner situe le site à environ 700 m au sud du site KR0697 que ce soit dans la description du site M de 19861542 ou sur les cartes au 1:5000 annotées du point KR0669. Or, sur une carte dessinée par H. Khosrovani et G. Tilia1543, le site noté K se situe au sud-ouest du village de Massumabad, à proximité d’un méandre prononcé du Kur. Le point K se situerait donc à plus de 2 km plus au sud de ce qu’indique W. Sumner. L’équipe de G. et A.B. Tilia s’étant rendue sur place, il paraît difficile d’imaginer qu’ils aient fait une telle erreur de localisation, alors que la morphologie toute particulière de la rivière à cet endroit permettait une localisation assez précise. L’erreur de localisation vient donc peut-être de W. Sumner qui n’a peut-être jamais visité le site. L’équipe italienne, peut-être par erreur, a visité des champs beaucoup plus au sud que le point indiqué par W. Sumner, ce qui explique l’absence de céramique achéménide, mais par chance ils ont repéré une dalle en pierre. Donc si KR0669 correspond bien aux vestiges d’un bâtiment à colonnes, très probablement achéménide, il devait certainement se situer à plus de 2,8 km au sud de KR0697 (Fig. 5-62). Du fait de la distance importante entre ces deux points, il paraît alors difficile de les associer au sein d’une même zone d’occupation, comme le fait W. Sumner. Il était donc possible que les deux sites fonctionnaient en même temps mais correspondaient, d’un point de vue de leur localisation et de leur morphologie, à des occupations de nature très différente.

Le troisième et dernier point d’observation, KR0744, correspond effectivement à une longue construction en pierre qu’il est possible de suivre sur plus de 800 m. Elle se divise en deux parties distinctes. Une première correspond à un alignement à double parement de 1,5 m de large et de 220 m de long, composé de blocs décimétriques équarris (Fig. 6-3). Cette structure se situe à l’est du point KR0697, entre le chemin qui longe le piedmont du Kuh-e Qaleh et les escarpements rocheux (Fig. 6-2). L’affleurement est orienté suivant une direction nord-nord-ouest/sud-sud-est. A son extrémité nord, il fait un coude vers l’ouest sur 25 m. Cette construction est ensuite recoupée par le chemin. A 150 m au nord-ouest, débutent les vestiges d’un aménagement affleurant en pierre qui délimitent plusieurs champs sur 430 m de long (Fig. 6-3). La structure a été très perturbée par les travaux de terrassement agricoles ; elle se présente d’abord sous la forme d’une bande de concentration de blocs et de cailloutis de 2 m de large ; seule la bordure nord possède encore un alignement préservé de blocs décimétriques équarris. En direction du nord-ouest, cette construction a été presque complètement détruite : il n’en reste plus qu’un alignement simple de blocs sur une dizaine de mètres, situé entre deux champs. Ce long aménagement possède une orientation nord-ouest/sud-est, donc décalée vers l’ouest par rapport à la section décrite plus au sud, sur le piedmont du Kuh-e Qaleh. Il est toutefois très probable que ces deux sections, bien que coupées par le chemin moderne, correspondent aux vestiges d’une seule et même construction. Elle est mieux préservée sur les piedmonts que dans les champs, où les épierrements et les nivellements ont largement perturbé la structure et expliquent l’existence d’une bande de cailloutis plus large et désorganisée.

Figure 6‑3 : Deux sections de la longue construction en pierre à l’est du Kuh-e Qaleh (KR0744), à gauche vue vers le nord d’une section préservée à double parement sur le piedmont, à droite vue vers le nord-ouest d’une section détruite située au nord-ouest (clichés SG, printemps 2005)
Figure 6‑3 : Deux sections de la longue construction en pierre à l’est du Kuh-e Qaleh (KR0744), à gauche vue vers le nord d’une section préservée à double parement sur le piedmont, à droite vue vers le nord-ouest d’une section détruite située au nord-ouest (clichés SG, printemps 2005)

La fonction de cet aménagement n’est pas clairement définie par W. Sumner : dans l’article de 1986, il évoque uniquement la présence d’un talus de pierre1544. Dans le Gazetteer, il lui applique le code dédié aux vestiges de route. Du fait de la faible largeur de la partie préservée sur le piedmont, entre 1,5 m et 2 m, il est peu probable que ces vestiges correspondent à une route. La preuve en est que cette route ne mènerait nulle part, puisque qu’au sud elle se dirigerait vers les escarpements rocheux du Kuh-e Qaleh et se retrouverait barrée par une avancée de la montagne qui délimite un vallon au sud du site KR0697 (Fig. 6-2). La structure à double parement de l’aménagement rappelle plutôt les différents vestiges de canaux repérés dans la plaine de Persépolis1545 ou étudiés dans le Tang-e Bulaghi1546. Il est de plus nécessaire de souligner la présence d’une source située sur les pentes du Kuh-e Qaleh, à l’est du site KR0697, à 220 m au-dessus de la plaine. La présence de ces sources est fréquente sur tout le pourtour du Kuh-e Qaleh (Fig. 6-2). Elles se forment à l’interface entre deux grandes couches géologiques, la formation à la base du relief devant être plus imperméable que les niveaux supérieurs dans lesquels se forme un aquifère. Dans le cas de KR0744, il est possible que l’eau était captée sur les versants, puis acheminée jusqu’au piedmont pour ensuite alimenter le canal, dont nous venons de décrire les vestiges, et ainsi permettre l’irrigation des terres arables situées au nord du Kuh-e Qaleh. Pour que cette hypothèse puisse être confirmée, il serait nécessaire de procéder à une prospection fine du versant du Kuh-e Qaleh qui domine cet ensemble de vestiges de manière à repérer ici d’éventuelles traces d’aménagements destinés à capter l’eau de la source et à la canaliser. Un relevé topographique serait également nécessaire pour calculer la direction et la valeur de la pente de ce long affleurement et pouvoir démontrer une éventuelle circulation vers le nord, soit dans le sens inverse de la topographie naturelle.

L’ensemble des points regroupés par W. Sumner sous la description de l’agglomération M, recouvre donc des vestiges archéologiques de nature très différente qui s’étendent probablement sur un secteur de plus de 3 km de long au pied du versant occidental du massif du Kuh-e Qaleh. Si la datation achéménide de l’occupation aux points KR0697, qui n’a cependant pas pu être constatée au cours de nos prospections du fait de l’absence de céramique, et KR0669 semble attestée, celle du supposé canal paraît beaucoup plus hypothétique, ce type de construction étant très difficile à dater précisément. La présence de l’occupation achéménide non loin permet toutefois de proposer une datation achéménide. Cette zone regrouperait donc plusieurs points d’occupation achéménide, ainsi que des infrastructures hydrauliques. Si cette occupation apparaît peu dense, la proximité des différents vestiges est à souligner1547 car elle fait de ce secteur une zone d’occupation achéménide importante comparée à l’ensemble de la plaine. Il nous manque toutefois des informations précises sur la réalité et l’intensité des indices d’occupation achéménide au point KR0697 pour préciser cette constatation. Ces sites s’inscrivent dans une occupation achéménide probablement assez importante des alentours du Kuh-e Qaleh1548.

Notes
1537.

Concernant la signification des codes mis en introduction de la présentation des sites, cf. § 6.2.3

1538.

Sumner 1986a : 9

1539.

Cf. § 2.3.2

1540.

Tilia 1978 : 85-87

1541.

Tilia 1978 : 86-fig.7(a,b)

1542.

Sumner 1986a : 9

1543.

Tilia 1978 : 74-fig.1

1544.

Sumner 1986a : 9

1545.

Cf. § 5.5.4.1.5 pour le canal le long du Kuh-e Rahmat au nord de Persépolis ; cf. § 6.3.2.4 pour le canal au nord du Kuh-e Ayyub ; dans le cas présent la largeur de la structure à double parement est plus large.

1546.

Ata’i & Boucharlat 2009. La largeur entre les deux parements du canal construit dans le Tang-e Bulaghi est comparable à celle observée dans le cas de KR0744.

1547.

Voir aussi la proximité des sites KR0721 et KR0722, situés au nord-ouest du Kuh-e Qaleh, aujourd’hui détruits mais présentant d’après W. Sumner des indices d’occupation achéménide (Pl. 43).

1548.

Sumner 1986a : 26 identifie l’ensemble des sites situés sur la rive gauche du Kur, dépendant du système d’irrigation du Band-e Dokhtar, à Kurishtish, une des régions administratives de la Perse, apparaissant dans les tablettes des fortifications.