6.4.1.3.2. La question des paradis ou partetash

Comme le montrent les tablettes des Fortifications, la gestion du territoire de Persépolis est assurée par un réseau d’infrastructures rattachées à l’administration centrale. Elle s’appuie sur un ensemble d’établissements disséminés sur le territoire, qui correspondent à des centres administratifs et économiques locaux, des centres de distribution des rations, des entrepôts, des forteresses1847 ou encore des fermes d’élevage. Parallèlement apparaît dans les archives administratives l’existence de domaines agricoles, appartenant au roi ou à l’élite perse, et assurant également les fonctions de collecte et de stockage des productions agricoles pour l’administration royale1848. Si les petites agglomérations repérées par W. Sumner au cours de ses prospections ont été identifiées à de possibles centres administratifs locaux, les autres éléments du système d’exploitation du terroir persépolitain font défaut1849.

W. Sumner suppose que les secteurs vides de toute occupation achéménide pourraient abriter des domaines agricoles, mais aucun site n’a été spécifiquement identifié et interprété comme tel. Lorsqu’il évoque la région de Band-e Amir, il fait toutefois référence à l’hypothèse d’E. Herzfeld selon laquelle un des sites, ayant révélé des bases de colonnes ou des seuils de porte en pierre, pourrait correspondre à un paradis. Toutefois, il préfère restituer dans ce secteur une des agglomérations de la plaine de Persépolis. Pour notre part, nous n’avons pas pu retrouver de trace d’une occupation achéménide autour de Band-e Amir1850.

Les paradis persans, connus d’après les auteurs grecs, ont été identifiés aux partetash, une des catégories de domaines participant à la gestion des productions apparaissant dans les archives de Persépolis1851. La définition de la nature et de la fonction de ces partetash reste encore peu précise ; ils peuvent correspondre à des réserves de chasse royale, des parcs, des jardins (maraîchers ou d’agrément), des vergers, des exploitations sylvicoles, ou encore à des entrepôts. Outre le fait d’assurer des fonctions agricoles et administratives, les partetash seraient également des lieux d’agrément, où par exemple le roi et sa cour peuvent effectuer des haltes au cours de leurs déplacements1852. Le jardin royal de Pasargades peut être considéré comme un des modèles de ces partetash : un vaste parc, qui a pu abriter des zones cultivées, des fermes et des bâtiments de stockage, et au sein duquel s’insère un ensemble de pavillons hypostyles et de jardins d’agrément1853.

De ce fait, si sur un site isolé, des vestiges architecturaux comparables à ceux des résidences royales sont identifiés, ils pourraient témoigner de l’existence d’un pavillon entouré de jardins et de terrains agricoles, et indiquer l’existence d’un partetash. Plusieurs constructions de ce type sont connues dans le Fars. Dans la région de Mamasani (Fahlyan), le site de Servan correspond à un pavillon achéménide avec des bases de colonnes de style comparable à celles de l’Apadana de Persépolis. Si le site a pu jouer un rôle dans l’administration de la région1854, il pourrait par ailleurs correspondre à une halte royale, située sur la route de Persépolis à Suse, intégrée dans un partetash 1855. Le pavillon mis au jour récemment dans le Tang-e Bulaghi pourrait également être un lieu d’agrément situé dans une vallée, où la présence de canaux et de fermes prouve par ailleurs qu’elle était plus largement aménagée à l’époque achéménide. Ce site et ses environs pourraient de ce fait constituer un second partetash non loin de Pasargades1856.

Dans la plaine de Persépolis, R. Boucharlat suggère que l’exploitation de la plaine pourrait en partie reposer sur l’existence de vastes domaines, des partetash, en particulier autour des sites qui ont fourni des bases ou des fragments de colonnes. Au cours de nos prospections, mis à part à Bagh-e Firuzi ou Dasht-e Gohar, Seidan (Pl. 44) correspond au seul site sur lequel nous avons pu repérer de tels éléments d’architecture1857. Nos prospections autour de Band-e Amir ou au sud du massif du Kuh-e Qaleh1858 n’ont pas permis de retrouver les différents sites présentant des bases de colonnes publiés par A.B. Tilia1859. Le site de Seidan se trouve sur le piedmont du Kuh-e Siah, à 15 km de la terrasse de Persépolis. De nombreuses sources jaillissent sur tout le piedmont où des vestiges d’architecture achéménide, fragments et bases de colonne, encadrements de porte ou fenêtre, ont pu être repérés. Nous avons par ailleurs supposé que le canal étudié le long du piedmont du Kuh-e Rahmat pouvait être alimenté par ce complexe de sources. Les éléments d’architecture ont été bouleversés par des terrassements modernes, et les environs sont couverts de jardins maraîchers et de vergers, il est donc difficile de proposer une restitution précise de ce site. Ces éléments d’architecture monumentale, pouvant éventuellement constituer les vestiges d’un pavillon, sont néanmoins situés sur un piedmont très fertile où l’eau est disponible en abondance, comme en témoigne le paysage actuel très verdoyant. On sait par ailleurs que les partetash sont généralement installés dans des endroits propices où l’accès à des ressources en eau est une condition déterminante1860. Le site de Seidan et le riche terroir qui l’entoure pourraient donc correspondre à l’emplacement d’un partetash.

Notes
1847.

Voir toutefois l’hypothèse de Alizadeh 2003 : 88 pour qui les sites achéménides qu’il a pu retrouver au cours de ses prospections correspondent essentiellement à des forteresses.

1848.

Briant 1996 : 456-462 ; Kuhrt 2007 : 467 ; Henkelman 2008 : 120-121

1849.

Voir les remarques de Sumner 1986a : 28-29 sur la nécessité de mieux caractériser les différents niveaux du système hiérarchique d’exploitation de la plaine par l’étude des textes ou par la recherche archéologique.

1850.

Cf. § 6.2.2.3.

1851.

Briant 1996 : 456 ; Tuplin 1996 : 80-131 conteste toutefois cette équivalence p.96 : pour lui les partetash ne sont que des établissements modestes jouant un rôle uniquement économique et administratif, et non pas des lieux d’agrément destinés à l’élite.

1852.

Briant 1996 : 457

1853.

Boucharlat 2009

1854.

Zeidi et al. 2006 : 146 ; Askari Chaverdi et al. 2010 : 292

1855.

Briant 1996 : 457

1856.

Cf. § 5.7.4.2 concernant son éventuel rattachement à la zone d’aménagement royal de Pasargades ; Boucharlat 2009 et Boucharlat (sous presse) développe les arguments en faveur de l’existence d’un paradis dans le Tang-e Bulaghi ; dans le Fars d’autres pavillons ou constructions royales achéménides sont connues par exemple sur les sites de Farmesghan, au sud du Fars, ou de Borazjan, à l’ouest ; elles pourraient également correspondre à des haltes royales, cf. Boucharlat 2005a : 232-236 pour une présentation générale des données archéologiques disponibles, pour le site de Farmesghan Razmjou 2005 et plus particulièrement p.310-311 concernant l’hypothèse de faire des deux sites des haltes royales.

1857.

Cf. § 6.2.3.5.3.

1858.

Cf. § 6.2.2.1.

1859.

Tilia 1978

1860.

Briant 1996 : 456 ; Boucharlat 2009 : 49