6.4.2.4. L’occupation achéménide au sud de la plaine, la région de Neyriz

L’étude des tablettes de Persépolis montre que son territoire s’étend bien au-delà des seules limites fixées par W. Sumner, et reprises pour notre étude. Les archives témoignent en effet de l’existence de plusieurs régions administratives, par exemple la région de Fahlyan ou la région de Kamfiruz, toutes deux situées au nord-ouest, sous le contrôle de l’administration de Persépolis. La région de Persépolis s’étend bien au-delà de la seule plaine de Persépolis, et intègre Pasargades et les sites identifiés aux villes actuelles de Shiraz et Neyriz1875. Nous avons vu qu’avec les nouvelles recherches menées par notre mission et les fouilles du Tang-e Bulaghi, les environs de Pasargades commencent à fournir des preuves de l’importance de l’occupation achéménide. Le bassin de Shiraz a été prospecté par P. Gotch au cours des années 1960, mais il n’a pas reporté de sites achéménides sur les cartes publiées1876. Enfin, la région de Neyriz reste très largement inexplorée, et il est intéressant de la considérer à la lumière des données environnementales1877 et archéologiques. Les archives des Fortifications montrent que des livraisons de bétail et de produits agricoles sont assurées régulièrement au shumar de Neyriz, qui correspondrait peut-être à la tombe de Cambyse1878.

L’extrémité sud de la plaine de Persépolis correspond à la partie nord du kevir de Neyriz (Pl. 7), à laquelle peut être rattaché le complexe de marécages saumâtres situé le long du piedmont sud-ouest du Kuh-e Rahmat. L’occupation dans cette région est donc très dépendante des fluctuations des lacs du kevir de Neyriz, les lacs Tashk et Bakhtegan1879. En effet, la surface en eau peut fortement varier, du fait de changements climatiques, même faibles, ou suite à des fluctuations de régime du Kur. Une intensification de l’irrigation en amont aurait également pu provoquer une diminution des apports en eau dans le kevir de Neyriz. Ces variations peuvent recouvrir ou au contraire libérer de vastes espaces qui, s’ils se couvrent de végétation halophile, sont susceptibles de servir au pâturage extensif du bétail. Elles peuvent également influencer l’accessibilité à certains secteurs du bassin. Il n’est toutefois pas envisageable de restituer des occupations à l’intérieur du kevir qui, s’il n’est pas recouvert d’eau, présente une croûte de sel en surface.

Dans cette région, seuls les piedmonts sont habitables et actuellement occupés. Il n’existe que très peu d’informations sur l’archéologie du bassin de Neyriz et des versants qui l’entourent. A. Stein n’a pas retrouvé de traces d’occupation préhistorique dans les environs, mais seulement les vestiges d’une forteresse islamique à proximité de la ville et, à 5 km au nord, une zone de concentration de tessons, jugés pré-islamiques1880. W. Kleiss, sur la rive nord du lac Tashk, a également décrit une digue de date indéterminée, enserrant une source et constituant probablement un réservoir1881. Il faut également rappeler qu’au cours d’une étude géomorphologique des terrasses alluviales du bassin de Neyriz, D.B. Krinsley aurait retrouvé, au nord-ouest du lac Tashk, des artefacts datés du paléolithique1882. Enfin, le site de Tol-e Darvazeh, qui se situe à la pointe sud-est du Kuh-e Rahmat (Pl. 44), en bordure du kevir, présente une occupation de la fin de l’Age du Bronze1883. La prospection menée sur le piedmont sud-ouest du Kuh-e Rahmat1884 (Pl. 49), bien qu’il soit situé à la marge du bassin de Neyriz, apporte quelques éléments de réflexion supplémentaires sur l’occupation de cette vaste région. L’occupation ancienne, plutôt d’époque islamique, si elle ne peut pas être qualifiée de dense, est toutefois significative, ce qui prouve que les marges du kevir ont pu abriter des occupations sédentaires.

La mise en œuvre d’une prospection plus au sud, sur les piedmonts du bassin de Neyriz, pourrait permettre d’obtenir des informations plus précises sur les occupations anciennes, en liaison avec les dynamiques environnementales particulières du kevir et les fluctuations rapides de sa morphologie. La présence d’un réservoir, de vestiges de maison et du site de Tol-e Darvazeh montrent qu’une occupation durable était possible dans cette région, aux marges du kevir, alors qu’elle nous paraît aujourd’hui très inhospitalière. Des prospections dans cette vaste région, délaissée par les archéologues, pourraient permettre de retrouver les traces d’une occupation achéménide, par ailleurs attestée par les archives de Persépolis.

Notes
1875.

Henkelman 2008 : 110-120 sur les limites du territoire géré depuis Persépolis ; voir aussi Sumner 1986a : 18-21

1876.

Gotch 1968 ; Gotch 1969 où la période achéménide n’est de toute façon pas indiquée dans la chronologie choisie par l’auteur ; voir aussi Boucharlat 2005a : 229 sur les éléments d’architecture achéménide remployés à l’époque Bouyide sur le site de Qasr-e Abu Nasr, et la mise au jour d’indice d’une occupation post-achéménide.

1877.

Cf. § 2.2.4.2

1878.

Henkelman 2003

1879.

 C’est également ce que suggère Rosenberg 1988 : 258-262 pour les périodes prénéolithiques.

1880.

Stein 1936 : 203-204 ; Henkelman 2003 : 159

1881.

Kleiss 1992b : 138-140, Abb.8-11, l’auteur propose une datation achéménide, ce qui est discutable du fait de la difficulté de dater précisément ces ouvrages. Dans le cadre des recherches menées par T. De Schacht sur les ouvrages hydrauliques de la région, nous avons effectué une reconnaissance sur le site ; une rapide prospection aux alentours nous a permis de mettre en évidence une zone de concentration de céramique de l’Age du Bronze.

1882.

Krinsley 1970 : 244, fig.145

1883.

Cf. § 6.2.3.3.2

1884.

Cf. § 6.3.4