7.2. Des propositions

Les différentes hypothèses et observations que nous venons d’exposer nous conduisent à envisager de nouvelles pistes de recherches. Elles sont exposées en considérant, de manière optimiste, que tous les témoins de l’occupation achéménide n’ont pas disparu du fait des bouleversements modernes du paysage.

Le principal défi que nous avons dû relever durant nos travaux, et qu’il faudra prioritairement prendre en compte dans le futur, correspond à l’étendue de l’espace à étudier. Que ce soit dans la zone d’occupation de Persépolis ou en-dehors, la plaine de Persépolis reste finalement très largement inexplorée. Nous parlons ici de l’ensemble de la surface de la plaine et non pas des seuls tepes qui depuis quarante ans ont fait l’objet de nombreuses prospections. Pour tenter de mieux comprendre les dynamiques de l’occupation achéménide, les méthodes de prospections sont à privilégier. La mise en place de nouvelles prospections devra nécessairement se baser sur une poursuite des études environnementales, en particulier géomorphologiques, de manière à mieux définir le paysage naturel à l’époque achéménide. Enfin, des fouilles paraissent nécessaires pour obtenir des données sur la fonction et l’organisation de certains sites soigneusement sélectionnés, ainsi que pour tenter d’aborder la question de la chronologie du Ier millénaire. En termes de stratégie, nous proposons de concentrer d’abord nos efforts sur la zone d’occupation de Persépolis et ses abords immédiats. Elle est susceptible d’offrir une plus grande masse de données sur l’occupation achéménide et il est nécessaire de mieux connaître les formes de l’occupation dans cette zone avant de procéder à des recherches plus poussées au-delà.

La mise en œuvre de nouvelles prospections doit d’abord s’orienter sur la collecte de données au cours de prospections à vue systématique sur sol nu. Toutefois il paraît difficile d’envisager une prospection fine de la totalité des 300000 ha que mesure la plaine.

Les piedmonts présentent des paysages mieux préservés que ceux de la plaine sédimentaire intensivement exploitée. Nos prospections sur ces secteurs ont permis de révéler un paysage archéologique riche et varié1910. Elles peuvent être poursuivies sur les massifs encore inexplorés. Nous pensons ici plus particulièrement à l’ensemble du pourtour du Kuh-e Rahmat (Pl. 2). L’étude plus approfondie des versants de ce massif, situé dans la sphère d’influence directe de Persépolis, pourrait apporter des données nouvelles sur l’exploitation des ressources naturelles et l’occupation des alentours de la zone d’occupation de Persépolis. Il faut néanmoins remarquer que le versant oriental est très escarpé et que des champs s’étendent jusqu’au pied des pentes. L’espace préservé de l’agriculture est donc très étroit. Dans l’immédiat, la poursuite des prospections des piedmonts sud-ouest et sud du Kuh-e Rahmat ne paraît toutefois pas prioritaire. Ici, nos prospections ont montré que l’occupation est précaire et de datation relativement récente. Il serait également intéressant de poursuivre plus à l’est les prospections que nous avons entreprises sur le versant sud du Kuh-e Hussein1911 de manière à détecter une éventuelle continuité des carrières et d’approfondir l’étude de ces exploitations. La prospection des environs de Seidan, les pentes occidentales du massif du Kuh-e Siah (Pl. 50), est sans doute intéressante. La présence d’une construction achéménide hypostyle pourrait traduire l’existence d’un plus vaste espace aménagé. Cependant, les environs immédiats de cet édifice sont aujourd’hui recouverts de jardins qui prospèrent grâce à la présence de nombreuses sources. Ce secteur permet par ailleurs d’illustrer la croissance de l’exploitation des piedmonts, de plus en plus cultivés ou servant de gravières. Une autre piste à envisager consiste dans la prospection de l’intérieur des massifs, à commencer par les hauts vallons. Elle pourrait, par la découverte d’abris de berger, apporter des informations intéressantes concernant la pratique du pastoralisme. Nous avons également vu que les reliefs de la plaine sont particulièrement riches en aménagements funéraires1912. Les différentes zones de piedmonts prospectées n’ont toutefois fourni que très peu d’indices d’occupation achéménide. Pour mieux la connaître, il faut donc certainement orienter les prospections dans la plaine.

Nous avons effectué des tests de prospections à vue sur sol nu dans des champs, autour de Band-e Amir et à Persépolis Nord-Ouest1913. Il s’agit d’un travail fastidieux mais qui permettrait de localiser des sites qui ont connu des occupations courtes, limitées à une seule période, et n’ont donc pas créé de tepes. Malgré les nivellements liés à l’intensification et la mécanisation de l’agriculture, il est possible de repérer des concentrations de tessons résiduelles. Même si les vestiges de constructions ont été nivelés par les labours, la localisation et l’extension des secteurs bâtis peuvent être déterminées. Cette méthode de prospection conviendrait également à la détection de fondations achéménides qui correspondent majoritairement à des petites installations, à condition d’utiliser une maille de prospection suffisamment fine. Autour de Band-e Amir, nos prospections dans les champs n’ont donné aucune information concernant l’occupation achéménide. En revanche, à Persépolis Nord-Ouest, elles nous ont permis d’estimer les surfaces bâties en associant ces résultats à ceux obtenus lors de la prospection magnétique. Si une région doit être prioritairement étudiée, il s’agit donc de la zone d’occupation de Persépolis. La mise en œuvre de prospections systématiques des champs à l’échelle de l’ensemble de la zone serait susceptible de révéler des concentrations de tessons ou des éléments d’architecture isolés, et donc de nouveaux blocs d’occupation. Nous disposons de plus des différents points ou secteurs d’occupation connus à partir desquels il est possible de rayonner progressivement. Pour le reste de la plaine, les surfaces sont très vastes et il paraît difficile de se lancer dans de telles prospections sans partir d’un point d’occupation achéménide connu. Par exemple Dawlatabad1914constitue, d’après W. Sumner, l’implantation la plus septentrionale d’un groupe de sites dépendant d’un centre administratif peut-être situé à Band-e Amir1915 (Pl. 50). La prospection des champs autour de Dawlatabad permettrait de confirmer, ou non, l’existence d’une importante densité d’occupations achéménides dans cette région.

Parmi les méthodes de prospections géophysiques nous distinguerons deux stratégies nécessitant l’emploi de méthodes spécifiques.

Toutes nos prospections géophysiques (Pl. 16) ont été entreprises en utilisant une maille de prospection fine. Nous souhaitions effectivement détecter des structures de taille métrique et avons adapté notre échantillonnage à la nature de l’information recherchée. Parmi les méthodes utilisées, la méthode radar-sol1916 s’est révélée inefficace, le sol étant trop argileux1917. Son utilisation ne devra donc plus être envisagée dans l’avenir. La méthode électrostatique1918 a donné quelques résultats sur le vaste parking au nord-ouest de la terrasse. Elle n’est toutefois réservée qu’aux sols revêtus de goudron ou de dalles. Il est donc envisageable de prospecter de nouveaux secteurs qui ont été aménagés lors du Jubilé, aux alentours du quartier royal. Toutefois, cette méthode est lourde à mettre en œuvre pour un espoir de résultat aléatoire car les constructions modernes ont probablement bouleversé en profondeur les vestiges achéménides. La méthode magnétique1919 est celle qui a été le plus largement employée au cours de nos recherches. Elle est suffisamment souple d’utilisation pour permettre de prospecter en quelques jours plusieurs hectares, lorsqu’ils sont libres de toute culture. Des données peuvent être ainsi obtenues sur de grandes surfaces. Les résultats des prospections magnétiques à Persépolis Nord-Ouest se sont révélés les plus riches. Dans ce secteur, la poursuite de ces prospections magnétiques devrait apporter des données sur l’extension et la forme du parcellaire et ainsi détecter de nouvelles zones anciennement bâties (Pl. 24). Il nous semble pour l’instant illusoire de tenter des prospections fines sur de nouveaux secteurs sans avoir au préalable délimité précisément de nouvelles zones d’occupation. Parallèlement, des prospections magnétiques pourraient être envisagées sur l’un des grands sites de la plaine, présentant des indices d’occupation achéménide, comme Tol-e Qaleh ; le site est de plus situé à proximité de la zone d’occupation de Persépolis. Il présente néanmoins des réoccupations islamiques, dont on ne connaît pas l’ampleur, qui pourraient masquer les structures d’époque achéménide.

Les prospections géophysiques fines ne peuvent concerner que des surfaces de quelques dizaines d’hectares. La prospection fine de plusieurs centaines d’hectares demanderait un investissement en temps beaucoup trop important. Pour étudier de telles surfaces, en complément des prospections à vue sur sol nu, des prospections géophysiques à large maille pourraient apporter des informations sur l’occupation ancienne des sols1920. Cette méthode de prospection consiste à effectuer des mesures géophysiques en adoptant une maille de mesure beaucoup plus large, par exemple tous les 5 ou 10 m. Il est ainsi possible de couvrir de très vastes espaces en un temps limité. L’information obtenue est de toute autre nature que celle acquise par l’intermédiaire de prospections fines. Il ne s’agit plus ici de rechercher le plan précis des vestiges mais de tenter de délimiter des zones d’occupation ancienne. Pour cela, on mesure la susceptibilité magnétique des sols par l’intermédiaire d’un appareillage adapté, les susceptibilimètres. Les variations de cette grandeur traduisent entre autres l’ancienneté de l’activité humaine sur les terrains prospectés. Ainsi la présence d’un site artisanal ou résidentiel se traduit par une augmentation de la valeur de susceptibilité du sol. De même, des terrains cultivés depuis une longue période présentent une susceptibilité plus élevée que des champs mis en culture récemment. Cette méthode permet donc de mener des études d’impact de l’occupation humaine sur le paysage.

La mise en œuvre de prospections large maille serait particulièrement adaptée à l’étude des vastes superficies de la zone d’occupation de Persépolis. Les prospections magnétiques fines ont démontré l’ancienneté de la mise en valeur des terrains à Persépolis Nord-Ouest illustré par l’existence d’un parcellaire probablement daté de la période achéménide. Les surfaces bâties se signalent par l’existence de zones de plus fort magnétisme, sans pour autant permettre de détecter le plan des structures, probablement arasées. On peut donc se poser la question de l’intérêt d’étendre indéfiniment les surfaces prospectées puisqu’en définitive la prospection magnétique fine ne permet que de détecter des surfaces d’occupation sans permettre de visualiser le plan des vestiges. Une prospection entreprise à un pas d’échantillonnage plus large apporterait des informations comparables sur de plus vastes surfaces. Néanmoins, elle ne permettrait pas de reconnaître l’orientation du parcellaire agricole ni ses divisions internes comme nous avons pu le faire avec les prospections magnétiques plus fines. La prospection à large maille, bien que plus rapide, ne peut pas être appliquée à l’ensemble des 20 km² de la zone d’occupation de Persépolis. Dans un premier temps, elle devra être testée dans les environs immédiats du quartier royal, par exemple à Persépolis Nord-Ouest pour effectuer des comparaisons avec les résultats des prospections magnétiques. Les prospections à large maille pourraient ensuite être étendues à d’autres secteurs, en particulier le sud-ouest du quartier royal où nous ne possédons pour le moment que très peu d’informations.

Parallèlement à ces prospections, permettant une approche avant tout spatiale de l’occupation achéménide, une meilleure connaissance de la fonction et du plan des implantations achéménides nécessite certainement l’ouverture de fouilles. Les différentes méthodes de prospection n’ont en effet donné que très peu de résultats dans ce domaine. Le programme de recherche mené actuellement par l’équipe irano-italienne a d’ores et déjà apporté des informations nouvelles à Persépolis Nord-Ouest1921. Dans le futur, la poursuite de ces travaux représente une chance de mieux définir l’occupation achéménide. A Bagh-e Firuzi, nous avons vu qu’une reprise ou que l’ouverture de nouvelles fouilles extensives, couplée à des relevés topographiques précis de l’ensemble des vestiges visibles, serait l’unique solution de mieux les caractériser1922. Le même type de travaux pourrait être envisagé dans le quartier royal, en particulier dans le Barzan-e Jonoubi.

A notre avis, la question de la chronologie de l’occupation de la plaine au Ier millénaire ne pourra être résolue qu’à partir de la mise en place d’une typo-chronologie de la céramique pour cette période. Pour pouvoir mesurer l’impact de l’occupation achéménide dans la plaine de Persépolis, il est indispensable d’identifier le matériel des périodes postérieures. L’ensemble des prospections menées dans la plaine montre que cette problématique ne peut pas être abordée par la prise en compte uniquement de la céramique de surface. La céramique achéménide/LPW, la seule dont nous disposons pour le Ier millénaire, est de plus pour l’instant mal datée et mal caractérisée ; de ce fait il est souvent difficile de l’identifier avec précision sur le terrain1923. Il s’agit également de répondre à la question de la durée d’utilisation de cette céramique. Elle pourrait avoir été utilisée avant et après la période achéménide1924, à l’inverse, un matériel différent a pu exister. La mise en place de fouilles stratigraphiques sur un des tepes multipériodes de la plaine présentant une phase d’occupation achéménide attestée paraît être une des solutions pour résoudre ce problème. Nous pensons ici plus particulièrement au site de Tol-e Qaleh1925 (Pl. 50), où des bols carénés, caractéristiques de la culture matérielle de l’époque achéménide, ont été retrouvés. Le site présente de plus des occupations de la fin de l’Age du Bronze et de période islamique. Ce tepe serait donc susceptible de présenter une stratigraphie développée, pouvant potentiellement couvrir l’ensemble des périodes d’occupation comprises entre le Ier millénaire av. et ap. J.-C. pour lesquelles le matériel reste très mal documenté.

Enfin les différents travaux proposés devront se baser sur des études paléoenvironnementales. Les données peuvent provenir des études carpologiques, archéozoologiques ou microsédimentaires menées à l’occasion des fouilles. Il serait également nécessaire de poursuivre nos études géomorphologiques sur l’ensemble de la plaine de Persépolis. Les dynamiques fluviales et sédimentaires sont aujourd’hui mieux connues et permettent de définir les grandes phases de l’évolution du paysage de la région, en liaison avec les variations climatiques ou les évolutions de l’occupation humaine1926. Il serait toutefois intéressant de procéder à des études de la dynamique de zones présentant un environnement considéré comme hostile, par exemple les vastes secteurs marécageux ou les terrains présentant d’importants problèmes de salinisation. Les données archéologiques démontrent que ces régions pouvaient être occupées par le passé, sans pour autant savoir dans quel contexte environnemental se sont installées les implantations. En retraçant les dynamiques de ces paysages, il serait possible de démontrer que des conditions environnementales plus favorables existaient alors. Les processus de la salinisation des sols cultivés présentent un problème majeur pour l’agriculture moderne dans la plaine de Persépolis, d’importantes superficies étant touchées. Ce phénomène est étroitement lié à la pratique de l’irrigation sur des sols mal drainés. L’étude de l’évolution de ces processus pourrait de ce fait traduire des difficultés à cultiver certains secteurs, difficultés auxquelles ont pu être confrontées les populations anciennes.

Les recherches à envisager sont donc considérables et demandent l’intervention de nombreux spécialistes. Le projet proposé n’est qu’une ébauche qu’il faut bien entendu affiner avec les différents intervenants. Sa mise en œuvre ne peut pas être portée par une seule équipe intervenant dans le cadre de missions limitées dans le temps. Elle devrait donc s’appuyer d’abord sur un partenariat étroit avec des chercheurs et étudiants iraniens, et plus particulièrement avec le P.P.R.F. qui est la structure adéquate pour soutenir et piloter des projets de recherches aussi vastes. Ces recherches demandent également à fédérer les forces des différentes équipes internationales travaillant dans la région, dans la mesure où le terrain leur est accessible. Dans la plaine de Persépolis, ce n’est probablement qu’au prix de maints efforts et d’un travail minutieux, et parfois ingrat, que la question de l’occupation achéménide, et plus particulièrement celle des siècles qui précèdent, pourra être résolue.

Notes
1910.

Cf. § 6.3

1911.

Cf. § 5.6

1912.

Cf. § 6.3.2.5

1913.

Cf. § 6.2.2.3 et 5.3.3

1914.

Cf. § 6.2.6.3

1915.

Sumner 1986a : 23

1916.

Cf. § 3.3.2.2

1917.

Cf. § 5.2.3.3 et 5.2.4

1918.

Cf. § 3.3.2.3.2

1919.

Cf. § 3.3..2.1

1920.

Marmet et al. 2005, Bobée et al. 2007 publient des exemples tirés de prospections menées en France.

1921.

Cf. § 5.3.5.3

1922.

Cf. § 5.4.5.3

1923.

La publication définitive des fouilles du Tang-e Bulaghi permettra en ce sens de disposer d’un corpus de céramiques achéménides et post-achéménides beaucoup plus étendu.

1924.

Cf. § 4.2.2

1925.

Cf. § 6.2.3.2.2

1926.

Cf. § 2.3.2