1/ - Le pouvoir royal

Si l’on veut établir une nouvelle comparaison avec les épopées plus anciennes, le pouvoir royal paraît jouer un rôle secondaire dans Lion de Bourges, dans la mesure où ce n’est pas lui qui prend la décision d’un engagement collectif et conduit la chrétienté en marche vers une victoire. Le roi ne désigne pas du doigt la voie à suivre, comme il la montrait aux guerriers des premières épopées. Cependant, il a une fonction déterminante dans le comportement des héros, puisque c’est son attitude même – principalement dans la première scène où il apparaît – qui va influencer leurs décisions. Or, celles‑ci vont aller à l’inverse des prises de position de l’empereur. Cette contradiction apparente crée le cadre propice pour mettre en valeur l’action du héros, pour déterminer comment celui-ci peut choisir de s’engager, dans le contexte politique représenté dans Lion de Bourges. D’autre part, la mise en relation avec une thématique majeure du poème – la recherche de l’image paternelle et, implicitement, celle d’un modèle à imiter – apporte des éléments significatifs pour l’appréciation de la fonction royale telle qu’elle est représentée par l’auteur.

C’est un portrait assez particulier de l’empereur qui se dessine au travers des deux épisodes où il est présent, dont une première esquisse est donnée par la scène d’ouverture. Roi injuste, sourd aux allégations justifiées de ses proches, Charlemagne apparaît, dès ce début du récit, comme un souverain qui ne sait plus faire la distinction entre le bien et le mal. Mais cela n’a rien d’extraordinaire dans un poème qui veut se placer à la suite d’un courant idéologique bien perçu du public, dans lequel l’image de la royauté subit une forte altération, alors que s’affirme l’image de héros poussés, presque malgré eux, à la rébellion. Pour établir ce lien, le poète reprend pour base de l’intrigue la querelle entre l’empereur et le vassal, et, de même qu’il avait créé des attaches lignagères entre ses héros et certains pairs de France, il en imagine de nouvelles avec certains personnages célèbres du cycle des vassaux rebelles ou de la geste de Nanteuil. Ainsi, les noms de Doon de Maience, de Gui de Nanteuil ou de Renaut de Montauban et de ses frères sont‑ils cités à plusieurs reprises40 ; mais c’est plus particulièrement l’image de Girart de Roussillon qui renforce ce lien, puisque Herpin – selon les dires de Clariant – serait censé s’être rangé du côté du vassal rebelle en refusant d’aider Charlemagne dans le conflit qui les opposait41.

Dans la seconde occurrence – que W. W. Kibler intitule « l’épisode du roi amoureux »42 – le poète transforme ce portrait en une véritable caricature. Ces deux épisodes présentent cependant des points communs, tels que la faiblesse de l’empereur ou son manque de courage, et se répondent remarquablement à quelques milliers de vers de distance43. Ainsi, l’expédition menée par Charlemagne pour délivrer sa femme Honnorée enlevée par le magicien Gombaut de Cologne apporte‑t‑elle une réponse négative au vœu formulé devant la cour plénière réunie à Paris, le jour de la Pentecôte. Charlemagne exprimait son désir de rassembler toute sa baronnie pour anéantir la gent païenne :

‘« E, Dieu, dist l’emperreour, qui souffrit passion,
Jamaix n’aront repos paien ne Esclavon
Quant j’ai sur sifait pueple dou tout pocession ;
Il vanront avec moy sur la geste Mahon,
Et vous ciaulz qui de moy thiennent lor region. » (v. 37-41)’

Or, ce projet n’aura aucune suite, car l’empereur ne rassemble plus autour de lui la chrétienté. Réminiscence de l’échec de la huitième croisade ? Remise en question des moyens mis au service de la propagation de l’Evangile ? La conception d’un peuple chrétien, seul détenteur de la vérité, – une vérité qui l’autoriserait à imposer ses croyances par la force – n’est plus assez cohérente pour entraîner une adhésion totale. C’est dans ce sens que le poète de Lion de Bourges marque par un échec le projet de Charlemagne : il voulait imposer sa loi aux païens, il se contente de réunir son armée pour servir ses intérêts personnels, et c’est au cours de cette expédition amoureuse qu’il se trouve confronté, indépendamment de sa volonté, à son vassal rebelle. Si la déclaration de Charlemagne pendant la réunion de la cour plénière pouvait laisser entendre qu’il y aurait un véritable engagement des armées chrétiennes, la suite donnée au récit met un terme à toute attente. Tandis que la scène initiale semble vouloir établir des bases, la seconde occurrence les détruit. C’est dans cet épisode qu’il faut chercher les réponses aux problèmes abordés par le poète. Là où tout un système reposant sur une certitude trouvait son unité, s’installe désormais le doute, – un doute que Georges Duby associe à la prise de conscience consécutive à l’échec de la seconde croisade de Louis IX. « Comment croire encore le peuple chrétien installé au centre de l’univers et conduit en droite ligne par le mouvement de l’histoire à le remplir tout entier ? Peu à peu devenait évidente l’instabilité d’un ordre que l’on s’était imaginé immuable et la relativité d’un destin collectif dont la trajectoire avait paru jusqu’alors nécessairement tracée »44. Dans Lion de Bourges, la confrontation entre l’empereur et Lion (confrontation qui ne se limite pas à l’aspect purement guerrier) traduit parfaitement cette prise de conscience survenue avant la fin du XIIIe  siècle. Dès lors que le pouvoir royal ne peut plus susciter le désir d’un engagement total, il devient logique que les héros puissent douter de la nécessité de mettre leur idéal chevaleresque au service du souverain.

Il faut revenir au développement donné à la scène initiale pour percevoir ce que sera l’évolution du comportement de l’empereur. Une parfaite harmonie semble pourtant régner entre le suzerain et ses vassaux, harmonie dont il se réjouit45 et qui ne paraît pas même devoir être menacée par l’antagonisme latent entre les deux groupes de personnages évoqués : d’une part, les pairs de France (Naimes de Bavière, Ogier de Danemark, Othon de Langres, etc.) et, d’autre part, les traîtres appartenant au lignage de Ganelon. Il se dégage de cette assemblée une impression d’équilibre et de cohésion. L’image s’impose comme le rappel fugitif d’un passé glorieux, quand l’empereur était le conducteur incontesté des armées de la chrétienté, quand, régnant en maître sur le monde féodal, il en assurait la stabilité. Or cette entente va être brisée par l’intervention d’un félon, Clariant de Hautefeuille, qui profère une fausse accusation à l’encontre du duc Herpin de Bourges. L’action s’enchaîne ensuite à un rythme très rapide : Herpin, dès son arrivée au palais, abat le traître d’un coup d’épée. Cela entraîne un affrontement général entre les barons, mais l’empereur, encouragé par Ganelon, condamne à mort Herpin de Bourges, tandis que Naimes de Bavière réussit à faire commuer la sentence en bannissement. Cette scène revêt une signification importante dans le poème, car elle donne de précieuses indications sur le comportement futur des protagonistes : le vassal fidèle, qui n’avait fait preuve d’aucune mauvaise volonté, va se retrouver éloigné, coupé d’un entourage censé représenter l’ordre. Par la rupture unilatérale du lien vassalique, il perd la protection du pouvoir royal et devient un opposant. Mais, précisément, le personnage du roi peut‑il encore représenter cette notion d’ordre protecteur, quand il accorde crédit à une fausse accusation ?

Dans la scène initiale résumée ci-dessus, la juxtaposition des motifs employés46 présente de nombreuses similitudes avec des poèmes antérieurs à Lion de Bourges, notamment avec Gaydon, Huon de Bordeaux ou certaines chansons appartenant au cycle de Nanteuil, particulièrement Aye d’Avignon. Ainsi, le motif du vassal absent conjugué à celui de la cour plénière revient‑il souvent pour préparer l’intervention du traître. Dans Huon de Bordeaux, l’absence des fils de Seguin, lors de la tenue de la cour plénière, sert de prétexte à Amauri de La Tour de Riviers pour accuser ces derniers d’insoumission47. Dans Aye d’Avignon, lorsque Sanson et Amaugin, sous l’emprise de la jalousie, accusent injustement Garnier de Nanteuil d’insoumission, celui‑ci est également absent de la cour48. L’auteur de Lion de Bourges ne laisse pas apparaître les raisons de la fausse accusation, mais souligne l’appartenance de Clariant au lignage de Hautefeuille. Toujours présent aux côtés de l’empereur, le « lignage félon », mû par un perpétuel désir de vengeance selon la tradition littéraire, provoque des troubles profonds au sein de l’ordre féodal49. Dans les poèmes que nous venons d’évoquer, comme dans Lion de Bourges, le vassal est accusé d’avoir négligé ses obligations d’aide, d’obéissance et de conseil inhérentes à l’hommage et d’avoir ainsi rompu le serment de fidélité qu’il avait antérieurement prêté à son suzerain50. Cependant, l’accusation proférée par Clariant de Hautefeuille revêt un caractère particulier, car elle revient à situer le duc Herpin dans le clan des vassaux rebelles :

‘Cil dit a l’emperreour : « Il vous fault ung gloton
Qui oncque enver vous ne pansait se mal non,
Ne ne vous volt aidier a vous loialz beson
Quant l’autrier guerriaiste Girairt de Rocillon ». (v. 45-48)’

Clariant prétend ensuite avoir entendu Herpin déclarer « qu’il ne feroit pour [Charlemagne] nez que pour ung garson »51. Le reproche qui pourrait donc être fait à Herpin se fonderait sur un refus de soumission et d’aide à l’empereur et justifierait ainsi la sentence qu'il prononce. L’exemple de Renaut de Montauban montre que ce type de refus, de la part d’un vassal, peut être lourd de conséquences52. Cependant, il existe une différence sensible entre les deux chansons : Dans Renaut de Montauban, l’empereur lui‑même déplorait un réel refus du vassal ; dans le cas de Herpin, il s’agit d’une fausse accusation. Il n’y a ni faute, ni refus du vassal. Dans ce contexte, il devient évident que la sentence de l’empereur est ressentie comme une condamnation injuste. Caricaturé, figé dans une partialité ridicule, le personnage du roi, dans le poème, réunit en lui – à outrance – les traits spécifiques d’une souveraineté que l’aristocratie redoute, mais contre laquelle elle ne pourra pas lutter indéfiniment. Il est certain que le poète donne une très forte amplification au motif, mais ce procédé traduit une volonté, permanente dans la chanson de Lion de Bourges, de souligner le malaise vécu par la classe aristocratique. Au cours du XIIIe  siècle, celle‑ci voit ses libertés se restreindre, tandis que le pouvoir monarchique affermit son emprise sur les tenures féodales53. La chanson de Lion de Bourges exprime le regret d’une féodalité qui assurait aux seigneurs le maintien de leurs prérogatives, de même qu’elle constate l’impuissance de ces derniers à arrêter l’évolution du système politique. Face à l’effet cumulé de la montée en puissance de la monarchie capétienne et de la bourgeoisie citadine enrichie par le commerce, la classe aristocratique a peu de défense, si ce n’est de resserrer ses liens54, comme l’illustre l’importance accordée au lignage dans le poème, ou de chercher à entendre dans une caricature l’écho de son ressentiment, mais cette dernière solution n’est que provisoire.

Les deux procédés employés simultanément par l’auteur – reprise de certains motifs parfaitement connus du public et adaptation de schémas narratifs issus d’un corpus de chansons exploitant la même thématique du vassal accusé à tort – révèlent son désir de renouveler un genre déjà apprécié du public grâce au travail de poètes dont « les sympathies (…) se manifestent en faveur des barons plutôt qu’envers la couronne »55. Mais cela n’exclut cependant pas une certaine liberté qui apparaît dès les premières laisses et qui confère au poème une tonalité particulière. L’amplification donnée au motif de l’absence du vassal en fournit un exemple : elle n’est plus la conséquence d’une simple méconnaissance des devoirs incombant aux héritiers d’un père défunt, comme dans Huon de Bordeaux. En fait, Herpin de Bourges est seulement retardé, pour une raison qui va se charger d’une lourde signification dans la suite du poème. La duchesse Alis, dont on apprend l’appartenance au plus haut lignage de France56 – ce que ni le roi ni son entourage félon ne devaient ignorer – attend un enfant. Ainsi, en portant atteinte au statut des seigneurs de Bourges, la sentence royale condamne également l’héritier à naître. Elle fait du héros un rebelle et son lignage le deviendra également.

Sous l’impulsion des poètes, lorsque la faveur du public va au vassal rebelle, l’image royale, en contrepartie, se modifie progressivement. Les textes tardifs mettent volontiers en scène des prises de position aveugles, ou des emportements et des gestes de violence qui contribuent à ternir la réputation du roi, car, en général, ces mouvements tendent à traduire chez ce dernier une perte de contrôle du pouvoir, ce qui correspond à l’idéologie représentée dans ces poèmes. Ce n’était pas le cas dans les textes du XIIe  siècle. Par exemple dans Fierabras : la mauvaise humeur de Roland et les reproches qu’il adresse à Charlemagne suscitent une vive réaction chez ce dernier, qui gifle son neveu avec son gant57, rétablissant ainsi, par cet objet symbolique du lien vassalique, le rapport de supériorité du suzerain sur le vassal. Dans cette chanson, l’attitude de Roland, frisant l’irrespect, est désapprouvée par Ogier, qui lui rappelle ses obligations envers son oncle :

‘(…) « Biau sire, tort ave[z],
Qui corrouchiez vostre oncle, ce est grant foleté ;
Ker par vos deüst estre serviz et honoré. »58

Puis, Naimes se range aux côtés de l’empereur en ne soutenant pas Roland et en apportant une conclusion logique à l’altercation : que Charlemagne ne tienne plus compte de Roland et qu’il envoie un autre chevalier pour affronter les Sarrasins59. L’autorité du souverain se trouve ainsi rétablie60.

Cependant, la représentation de cet ordre tend à s’affaiblir ; dans les chansons appartenant au cycle des barons révoltés, les gestes accomplis par le roi prennent une autre signification, en raison même de la nature des armes utilisées et des circonstances entourant l’acte de violence. Dans Gaydon, le roi veut frapper avec un couteau le jeune héros61 ; puis, lorsque Ferraut vient lui transmettre le message de Gaydon, il se saisit également d’un couteau pour frapper le messager62. Ce comportement est associé, dans ce poème, à la crédulité envers les traîtres. La chanson de Renaut de Montauban offre le visage d’un roi actif, mais l'image de celui‑ci est ternie par les gestes qui accompagnent parfois ses colères : il frappe Richard, fait prisonnier par Roland et conduit devant lui par Naimes et Ogier ; ensuite, excédé par les réponses de ses barons, qui refusent de pendre Richard, il lance un bâton à Estout qui lui oppose le même refus63. Plusieurs éléments concourent à la dévalorisation de l’image du roi. C’est, d’une part, la multiplication des gestes désordonnés et inutiles, et, d’autre part, la nature de l’arme utilisée64. En ce sens, l’emploi du couteau, instrument de cuisine, qui remplace le gant, suffit, à lui seul, à démontrer ce que les poètes insinuent : amputé de son image traditionnelle de guerrier maître de ses gestes, le roi peine maintenant à imposer son autorité. Ce type de représentation apparaît majoritairement dans les œuvres où l’attitude guerrière du roi est mise en doute65. L’image du bâton n’est pas systématiquement entachée d’une connotation aussi négative : il peut arriver que l’empereur le brandisse seulement pour imposer le silence à des barons turbulents. Par exemple, dans Gui de Nanteuil, lorsqu’éclate la dispute entre Hervieu et Gui, Charlemagne rétablit le silence, juché sur une table et brandissant une « verge d’arrable »66.

Le manque de respect envers un messager ou un prisonnier, qui était plutôt le fait des sarrasins – comme la Chanson de Roland 67 en donne un exemple – contribue à restituer une image négative, mais, ainsi que le note P. Ruelle, ce comportement est relativement fréquent de la part du roi lorsque le messager est porteur d’une mauvaise nouvelle68, ou lorsque l’outrecuidance de ses paroles irrite le roi. Si Naimes ne le retenait pas, Charlemagne frapperait volontiers Balan, dans la Chanson d’Aspremont 69 . Il semble donc que le poids de l’hostilité entre païens et chrétiens l’emporte sur la règle de l’immunité diplomatique dans le monde épique, dans le cadre de l’ambassade70. La représentation de gestes violents, émanant du roi et visant des personnages autres que les messagers ennemis (par exemple : Roland, dans Fierabras) apporte un autre regard sur la fonction royale. En s’abaissant ainsi à frapper des personnages non armés, le roi perd sa dignité et, tandis que les traîtres ont de plus en plus d’emprise sur lui, la confiance de ses proches conseillers se fait de plus en plus mesurée71. Parallèlement, le fier comportement de l’empereur s’affaiblit pour laisser place à une attitude plus passive, provenant de l’isolement qui se crée autour de lui72. La chanson de Lion de Bourges s’inscrit dans le prolongement de cette conception : avec le motif de la bataille à la cour, la scène initiale contribue à l’altération de la figure royale en montrant un empereur totalement acquis à la « cause » des traîtres, plus enclin à déplorer la mort de son « mastre cambrelan »73 qu’à écouter les conseils avisés de Naimes, et en témoignant que sa présence ne suscite aucune retenue dans le comportement des adversaires pendant le combat qui se livre entre barons et traîtres sous ses propres yeux74. Il est d’autant plus isolé que ni le geste brutal de Herpin de Bourges ni la querelle qui éclate ensuite n’ont pour origine la protection de la royauté, qu’il s’agisse de sa succession ou de la défense de ses intérêts. Lorsque Guillaume s’introduisait dans la chapelle d’Aix et frappait mortellement Arnéis d’Orléans, il le faisait pour défendre les intérêts du jeune roi Louis75. Alors que les chansons appartenant au cycle de Guillaume célébraient un attachement sans limite des Narbonnais à la couronne royale76, justifiant l’explosion d’une certaine violence, dans les chansons appartenant au cycle des barons révoltés, ces querelles n’ont plus la même origine. Elles sont généralement dues à des rivalités entre lignages, elles‑mêmes provoquées par l’attitude injuste du roi77. Ce déplacement du centre d’intérêt des poèmes traduit l’évolution qui s’opère dans la société féodale : au lieu d’utiliser ses forces pour la défense de l’ordre, elle laisse s’installer des dissensions internes qui la fragilisent78. Se situant tard dans la production épique, la chanson de Lion de Bourges reprend la même thématique, même si l’origine du conflit entre Clariant et Herpin n’est pas explicitement présentée. Il semblerait plutôt que l’auteur ait cherché à s’appuyer sur le motif bien connu du « traître à la cour » pour préparer la scène de la bataille devant le roi79, bataille qui possède toutes les caractéristiques du genre. Comme cela est fréquent dans ce type de scène, la violence opposant les lignées de barons se manifeste brutalement après quelques apostrophes injurieuses et dégénère rapidement en rixe générale80 :

‘La veyssiez baitaille et teil tornoiement
N’i demourait sur tauble vaissel d’or ne d’ergen,
Viande ne dai[n]tier, clarer ne piement,
Qui ne fuit reverséz assez villainnement.
Et fierent l’un a l’aultre moult enforciement ;
Du sanc qui d’iaul colloit enmy le pavement
Y avoit teilt russel, per le mien ensiant,
Que jusques en la cheville y antrent bien sovant. (v. 124-131)’

À défaut d’épées, ce sont les aliments ou la vaisselle qui se transforment en armes, comme dans Raoul de Cambrai, et les combattants se livrent à des empoignades qui n’ont plus rien de chevaleresque81. Le manque de respect envers l’empereur paraît être directement lié à sa faiblesse, puisqu’il laisse le désordre s’installer dans son palais, alors que dans la majorité des épopées, le duel judiciaire prévaut sur le combat immédiat. Dans Gui de Nanteuil, le jeune héros demandait d’abord à l’empereur la permission de riposter par un duel82 et, dans Aye d’Avignon, les querelles aboutissaient soit à une bataille devant le roi, soit à un duel, dont l’issue n’était que provisoire, car le conflit se poursuivait par la suite83. La préférence de l’auteur de Lion de Bourges pour le motif de la « bataille à la cour » s’inscrit dans la même optique de dévalorisation de la figure royale. Quelques moqueries sur la vaine exaspération de l’empereur l’accompagnent. En effet, le faible écho rencontré par le courroux de celui‑ci tend à montrer qu’il s’est opéré une profonde transformation dans la perception de l’autorité royale. Si les colères de l’empereur envahissent les poèmes, elles retentissent différemment selon le contexte. Justifiées dans Renaut de Montauban par le refus de Beuves d’Aigremont et par le meurtre de Lohier, elles traduisaient un légitime désir de vengeance84. Dans Aye d’Avignon, la colère royale avait pour effet de rétablir rapidement l’ordre et les traîtres étaient jetés en prison85. D. Boutet voit dans la colère qui anime Charlemagne, lors de la scène initiale de Gui de Nanteuil 86 , « la manifestation de la puissance souveraine, contraignante, libre et incontestée : on ne saurait la considérer comme le signe d’une dérive »87. Ce n’est pas l’opinion générale de la critique qui tend plutôt à reconnaître dans les emportements de Charlemagne une dégradation de son image, une volonté de « dé-idéalisation » (principalement dans les poèmes appartenant au cycle des barons révoltés)88. Dans Lion de Bourges, il faut retenir que les « Fransoy » n’écoutent les ordres de Charlemagne et ne saisissent le duc Herpin qu’après une belle mêlée et pour protéger ce dernier des défenseurs de Clariant, « le lignaige puant »89. La cour ne se résigne que tardivement à s’apaiser, et ce n’est certainement pas par crainte du courroux royal ! La scène initiale de Lion de Bourges montre une absence d'unité dans la cour. Aucun sentiment de cohésion, et a fortiori de protection, n'émane de cette assemblée, en raison même du défaut d’autorité du souverain. Les premières épopées avaient élevé celui‑ci au statut de père moral, protégeant tous ses vassaux, mais l'érosion de cette image tend à générer une impression d'insécurité, dont les répercussions s'étendent à l'ensemble du lignage de Bourges et, finalement, à l'individu. Il n'est donc pas anodin que cette thématique soit développée dans un poème où celle de la recherche de la figure paternelle – réunissant dans un même concept un idéal d’autorité et de protection – est aussi présente.

Dans cette perspective et en raison même de la dégradation des relations que l’empereur est susceptible d’entretenir avec ses vassaux, le conflit qui noue l’intrigue principale ne pouvait que se trouver amplifié par l’attitude de celui‑ci. Il n’offre aucune résistance aux dires des traîtres. À la première insinuation de Clariant, il acquiesce :

‘« Per saint Denix, dit Charle, croire vous en doit on !
Per celui saint Signour c’on quiert en prez Noiron,
En mal an est antréz et en pute saison ! » (v. 57-59)’

Et lorsque Ganelon intervient pour demander la condamnation à mort du duc Herpin, Charles donne aussitôt l’ordre à Ogier de faire accomplir une telle exécution. Si le roi accorde plus volontiers son oreille aux traîtres qu’aux pairs de France, c’est qu’il ne distingue plus le bien du mal et qu’il n’est plus garant de la justice dans le royaume90. D’ailleurs, il ne prend pas la peine d’écouter les justifications de son vassal accusé à tort. Cette caractéristique n’est pas propre à Lion de Bourges ; elle est la prolongation de la caricature élaborée par les épopées de la révolte et de la geste de Nanteuil, auxquelles notre auteur a emprunté certains traits fondamentaux. Ainsi, Gui de Nanteuil offre un portrait défavorable de l’empereur, insistant plus sur la vieillesse de ce dernier91, – « le portrait peut-être le moins flatteur du grand empereur que l’on trouve dans l’ancienne chanson de geste »92, tandis que la crédulité du roi, associée à sa facilité à se laisser séduire par quelques cadeaux, est particulièrement soulignée dans Gaydon. Dans ce poème, les traîtres exercent une réelle influence sur Charlemagne allant jusqu’à lui faire prendre des décisions contraires à la justice93. De trahisons en vengeances, les rebondissements de l’action sont liés à la cupidité de l’empereur, que les traîtres exploitent pour parvenir à leurs fins94. Ce défaut existe également dans Aye d’Avignon, mais il n’apparaît pas immédiatement. Il faut l’insistance de Milon, dont l’empereur accepte le cadeau, puis celle de Sanson et d’Amaugin, pour qu’il donne son accord à leur proposition de tuer Garnier95. L’auteur de Lion de Bourges a fait un choix sensiblement différent, en prenant un léger recul :

‘(…) loialz hons sambloit ;
N’avoit c’unne maniere qui trop mavaise estoit :
C’est ceu que traytour trop vollantier creoit,
Et que l’or et l’argens vollantier ressevoit. (v. 1228-1231)96

Il rapporte ce que dit la tradition, il l’utilise pour composer le cadre général de la cour impériale en mettant l’accent sur la fragilité des relations féodo-vassaliques. De cet héritage littéraire, il retient principalement la crédulité de l’empereur, faisant de lui un souverain aveuglé par la flatterie des traîtres. Or, c’est bien cette « cécité mentale »97 qui est à l’origine de la rupture des liens vassaliques. Cependant, le rôle des traîtres reste assez limité dans le poème ; ils n’accompagnent pas Charlemagne dans son expédition, seul Fouqueret de Hautefeuille (frère de Clariant) affronte Lion à Bourges… et trouve une mort rapide98. Paradoxalement, cette sobriété se révèle plus inquiétante qu’une abondance de détails et montre que la puissance d’un lignage de traîtres est suffisante pour entraîner la chute d’un vassal fidèle et engendrer l’insécurité dans l’ordre féodal.

Si la scène initiale de Lion de Bourges s’intéresse plus particulièrement au rôle politique du souverain, en mettant principalement l’accent sur la faiblesse et le manque de discernement de celui‑ci, la seconde occurrence qui lui est consacrée – l’expédition du « roi amoureux » – reprend et développe le thème de l’opposition des barons à la conduite du roi et constitue en outre une critique sévère de son comportement en révélant un empereur inapte à conduire une armée. Non seulement le vœu que Charlemagne avait formulé devant la cour plénière99 ne pourra se réaliser, mais il va recevoir une réponse négative, car l’enjeu de la seule expédition que Charlemagne tente dans Lion de Bourges n’est pas d’anéantir les païens comme il le souhaitait. Il lève une armée pour aller reprendre « sa » femme Honnorée, fille de Guitequin de Dormund, qui lui avait été offerte en cadeau par l’enchanteur Basin de Genève… Mais la route de l’empereur passe par Bourges, où il devra affronter l’héritier légitime de la ville, Lion, devenu adulte. Et ce n’est qu’avec l’aide de ses conseillers les plus fidèles, Naimes de Bavière et Ogier le Danois, auxquels l’auteur prête un rôle déterminant100, qu’il pourra résoudre ce premier conflit. Entre magie et enchantement, l’empereur amoureux ne se soucie plus de la chrétienté, bien que l’issue de l’affrontement avec son vassal soit soumise à l’accomplissement de la volonté divine. Il ne désire plus qu’une chose : délivrer Honnorée, mais ce que montre le texte, c’est que pour mener à bien cette expédition, l’aide du vassal réhabilité dans ses droits se révèle précieuse. Or, c’est précisément au point de rencontre entre la légèreté du but poursuivi par l’empereur et la volonté implacable de Lion de Bourges que se confirme l’impression de faiblesse du pouvoir royal laissée par la scène initiale du poème.

En réalité, cet épisode, situé au point central de la chanson, est le seul où nous voyons Charlemagne confronté à ses « ennemis » : en premier Lion de Bourges, en second Gombaut de Cologne et ses alliés, et ces deux confrontations sont riches d’enseignement. La rencontre avec Lion est inévitable, provoquée par le comportement de celui‑ci. Après avoir quitté le château enchanté d’Auberon pour se rendre à Bourges où il veut revendiquer ses droits, Lion passe par Paris, mais il s’y arrête à peine et ne manifeste même pas le désir de rencontrer l’empereur, dont il apprend par de quelconques témoins les projets d’expédition101. Il se hâte vers Bourges et, sans tenir compte des avertissements qui lui sont délivrés lors de son arrivée, il tue Fouqueret de Hautefeuille, traître mis en place par Charlemagne depuis le bannissement du duc Herpin de Bourges. Grâce à l’épreuve du cor magique, il se fait reconnaître comme héritier légitime de la ville102, et fait renvoyer à Charlemagne ses espions rasés et mutilés avec ses instructions :

‘A chescun fist coper a raisur tranchant
Lez nerf et lez ballevres et ung poing maintenant,
Et pués si lour ait dit a sa voix clerement :
« Allez moy salluer Charlon le combaitant,
Et se li dite bien, ne li allez cellant,
Que en despit de ly et de son grant bobant,
Vous ait atornér tout ainsi mainteant.
S’i demande qui c’est qui le vait despitant,
Dite li c’est Lion, filz Herpin le vaillant,
Qui vient deden Berry sa terre relevant. » (v. 21595-604)103

Comme dans la scène initiale, le vassal rend justice lui-même, sans tenir compte de l’autorité royale, qui est ouvertement bafouée. Le vassal déshérité est rentré en possession de son fief à l’insu de l’empereur et lui adresse les signes d’une provocation évidente. Cet acte pousse l’empereur à engager une guerre contre son gré, car il doit abandonner provisoirement la poursuite de Gombaut, et contre celui de ses barons, mais il apparaît très nettement que ce ne sont pas les mêmes raisons qui les poussent à éviter un tel affrontement. Charlemagne commet aussitôt de nouvelles erreurs et va se couvrir de ridicule, en refusant de prendre la moindre précaution et de faire armer ses hommes qui progressent vers la ville, malgré les conseils de prudence prodigués par Naimes de Bavière. Si ce comportement est bien différent de celui qui était couramment prêté à Charlemagne dans l’épopée du XIIe siècle, il apparaît, dans le contexte de Lion de Bourges, comme la suite logique du portrait élaboré. Souverain orgueilleux, il reste sourd aux recommandations de son entourage et affiche le mépris le plus profond à l’égard de Lion, car il ne le croit pas capable de conduire une vraie bataille104. S’il s’armait, ce serait reconnaître Lion comme chevalier, lui témoigner un certain respect, et il ne veut surtout pas traiter d’égal à égal avec celui qu’il considère comme un « garson ». Mais, la leçon sera sévère pour Charlemagne qui, dès la rencontre avec l’armée de Lion, s’enfuit et va se réfugier auprès de Naimes de Bavière105, abandonnant toute fierté – provisoirement tout du moins car, malgré cette fuite peu glorieuse, il refuse d’acquiescer à la demande de son fidèle ami qui lui conseille de conclure la paix avec Lion :

‘« Non ferait, dit le roy, foid que doie saint Symon ! » (v. 21862)’

Cependant, dans cette seconde occurrence où l’empereur apparaît longuement, l’auteur procède comme s’il cherchait à atténuer l’impression défavorable laissée par la scène initiale et par la fuite devant Bourges. En effet, les séquences qui sont ensuite consacrées à la rencontre des armées devant Bourges, puis – après l’alliance avec Lion – à la bataille contre les troupes de Guitequin de Dortmund, font apparaître une évolution, marquée par différents détails. C’est, en premier lieu, par un retour à l’écriture épique que l’auteur exprime son intention. Par exemple, il renouvelle l’emploi des vers d’intonation avec inversion épique, pour décrire la bataille106 :

‘Grande fuit la baitaille, bien en doit on parler,
Charlemenne de France c’est allér adouber, (v. 21921‑922)
Grande fuit la baitaille encontre Guitequin,
Moult bien s’i prouva Charlemenne, le filz Pepin. (v. 22907-908)
Grande fuit la baitaille, li cris et li hus.
La ot maint Sairaisin gisant mort et abaitut. (v. 22953-954)’

Pour rester dans le même registre, l’auteur reprend des formules stéréotypées, telles que : « li Fransois paisserent a fforce et a bandon »107, et privilégie la « notion de gigantisme »108 :

‘La oyssiez sonner maint cor de laiton ;
Tromp et olliffont y font grant huyson.
Abballestrier y traient a fforce et a bandon,
Et li archier ossi traient a foison. (v. 22897‑900)’

Il n’oublie pas d’associer son lecteur au récit, selon le procédé habituel de la poésie épique : « La veyssiez baitaille », « La oyssiez sonner maint cor … »109. Mais, ce qui est certainement le plus frappant, c’est que, pour une unique fois dans l’œuvre, Charlemagne est associé à chaque image hyperbolique des combats. Il semble retrouver sa position dominante, organisant les armées qui devront livrer bataille contre Guitequin, lui‑même prenant le commandement de la huitième armée et s’engageant personnellement. L’auteur va même jusqu’à louer le courage de l’empereur qui « s’i est bien combaitut 110». Bien que cette vision soit éphémère, sa situation dans le poème suggère qu’après avoir établi la paix avec son vassal  et l’avoir reconnu comme héritier légitime du fief de Bourges, le roi pourrait retrouver une attitude cohérente avec l’image du pouvoir royal, ce qui expliquerait l’emploi d’expressions laudatives.

Ce n’est qu’illusion. Le récit des affrontements est conduit d’une façon telle que, progressivement, l’image du roi s’efface devant celle de Lion qui, avec l’aide du Blanc Chevalier, anéantit les païens. Malgré sa détermination à vaincre les troupes réunies par Guitequin de Dortmund et Princeps d’Oliferne, l’empereur n’accomplit aucun exploit héroïque et semble plutôt rapidement paralysé par la peur :

‘Charle reclamme Dieu qui en croix fuit pandut,
Car cez pueple estoit durement recreus
Et per lez Sairaisin laidement conf[on]dus,
Dont Charle estoit moult dollant et yrascus. (v. 22989-992)’

Le mérite de la victoire finale ne lui revient pas. La tentative de restauration du prestige royal ne peut aboutir, car le roi devient un personnage passif face aux événements qui l’entourent. À titre d’exemple, il se réjouit des exploits du mystérieux chevalier blanc venu aider Lion, mais il se contente d’une réponse laconique de ce dernier111, car désormais il n’a plus qu’une seule idée en tête : ramener « Honnoree sa femme qu’i forment amoit »112. « Voilà le point où est descendue la réputation du grand roi dans une des dernières – sinon la dernière – chansons de geste », conclut W. W. Kibler113. Malgré le recours à certains clichés de l’art épique, le personnage de l’empereur ne retrouve aucun prestige et il ne peut se prévaloir d’aucune victoire.

C’est à partir de ce constat négatif que l’auteur de Lion de Bourges a pu, par contraste, proposer un portrait du souverain idéal, tel que le souhaite une société qui voudrait retrouver confiance en son système politique. Situé presque à la fin de la chanson, l’épisode du dernier siège de Bourges témoigne de cet espoir. L’image de la royauté est restaurée par une multitude de détails. Ainsi, le roi Louis prend une part active aux affrontements entre les fils d’Hermer et les troupes de Lion, et, accompagné de ses barons les plus prestigieux114, il va aider le vassal à reconquérir son fief. C’est tout d’abord la fleur de lys vue en rêve par Lion115, la confiance que ce dernier exprime envers le « roy Loys (…) qui bien [le] vangerait de la gent ennemie »116, puis le roi Louis qui s’engage totalement aux côtés de son vassal :

‘Le roy de France jure le baron saint Denis
Que jamaix a nulz jour ne serait de la partis
S’arait le traytour trestous ou mors ou vis. (v. 31773-775)’

Le roi Louis fait également preuve de courage sur le champ de bataille, en se portant au secours de Lion désarçonné : « (…) je vous aiderait de bonne vollanteit ! »117. De nombreux autres détails mettent en évidence une profonde différence118 entre le comportement du personnage royal dans les premières scènes que nous avions déjà évoquées – scène initiale et fuite devant Bourges – et cet épisode. Le fait qu’il ne s’agisse plus d’un roi vieux et « rassotté » mais de son fils n’est pas fortuit ; le jeune roi est porteur d’espoir. Or, que dit le texte à ce sujet ? La réponse est donnée par deux petites séquences, insérées à quelques centaines de vers l’une de l’autre, qui laissent transparaître un profond désir de retour à un ordre établi dans lequel le roi respecterait ses engagements. Dans la première séquence, c’est l’action héroïque d’un jeune écuyer qui est récompensée par l’octroi d’un fief ; cela pourrait sembler banal, mais il est difficile de ne pas attribuer aux paroles du roi un caractère révélateur, compte tenu du contexte du poème :

‘« Clarian, dit li roy, vous ne perderez mie :
Pour ceu que au bon bastard avez fait cortoisie
Vous dont une contez en France la garnie ;
A vous et a vous hoir ne la retorait mie. » (v. 32133-136)’

Le roi idéal serait donc celui qui sait récompenser la valeur guerrière et – surtout – celui qui ne reprend pas les fiefs octroyés et respecte les droits des héritiers. Cette vision est à mettre en rapport avec l'importance accordée dans le poème à la famille. C’est le même souhait qui est exprimé dans la seconde séquence, lorsque Louis s’adresse à Guillaume, après l’épreuve du cor magique qui a apporté la « preuve » que Lion et ses deux fils étaient les héritiers légitimes de la ville :

‘« – Guillaume, dit li roy, or tost avant venez :
Vous estez hoir de Bourge et droit sire claméz,
Vous perre vous en ait donnér lez hiretez ;
Or m’en faite hommaige, car faire le dobvez. » (v. 32406-409)’

Jouant toujours par opposition avec l’image négative qu’il a donnée du pouvoir royal, le poète se plaît à parer ce souverain des attributs mêmes de la royauté idéale : le courage, la force et la protection. Le roi Louis veut accompagner Lion à Palerme119 ; il assure de sa protection Gui de Carthage, puisqu’en retour, il ne doute pas de l’aide de son vassal :

‘« Et vous, sire, le bastard de ma noble lignie,
Vous me dobvez aidier, car droit sang s’i otrie ;
Maix la premiere cause qu’averez commencie
Se soir est voustre droit : je vous jure et affie
Que je vous secourait baniere desploye.
Jamaix de retornerait en France la garnie
Devant que voustre gerre averait si fornie
Que au desoure vanrez de l’averse partie. » (v. 32140-147)’

Dans la même perspective, le comportement du vassal suit une évolution logique ; il n’est plus un rebelle, mais redevient un membre de la société féodale qui, en se mettant sous la protection du souverain, peut assumer pleinement ses engagements. La double occurrence du rituel de l’hommage témoigne d’une aspiration à un retour à l’harmonie fondée sur le respect mutuel des obligations :

‘– Sire, dit Clarion, et je vous en mercie. »
Hommaige li en fist de ceste signorie. (v.32138-139)
Et Guillamme respont : « Si comme vous commandez. »
Le roy en fist hommaige vollantier et de grez ; (v. 32410-411)’

Ce que le poète appelle de ses vœux, ce n’est pas seulement le rétablissement de l’ordre initial, selon le procédé qui clôture généralement (et heureusement) les poèmes120, car la chanson de Lion de Bourges tend dans son ensemble à dépasser le simple concept du roi « détenteur de la souveraineté, ( …) garant d’un ordre qui a été établi par Dieu [et qui] doit finalement être restauré »121. Ce n’est plus là que réside l’essentiel, car, malgré les efforts déployés par Lion, ses fils, le roi Louis et maints autres nobles barons, la restauration de l’ordre n’est que provisoire et un assombrissement général, composé de trahisons, crimes lâches et empoisonnement, marque les dernières laisses du poème. Dès lors, on peut se demander quelles sont les raisons qui ont poussé l’auteur à concevoir une telle antithèse. Il est probable qu’il a voulu proposer un modèle, ou – plus exactement – rappeler ce que pourrait être une royauté idéale, et, par commodité, il « oublie » le vieil empereur pour rassembler sur la personnalité de son fils les espoirs d’une classe sociale. La faible représentation du roi Louis dans la littérature épique, hormis le cycle de Guillaume, laisse une certaine liberté de composition. Bernard Guidot a montré que les chansons appartenant à ce cycle conféraient au jeune souverain une personnalité ambiguë, susceptible d'évolution, bien que l'image de la royauté peine à se restaurer : « Louis n'est plus constamment méprisable, il reste terriblement influençable et partant bien peu épique, mais pas toujours odieux ; c'est une pâte que les événements et les hommes peuvent presser d'une manière ou d'une autre »122 . Dans les chansons appartenant au XIIe siècle, le jeune souverain est un personnage « veule et couard » ; le Couronnement de Louis et la chanson des Aliscans ont fortement contribué à fixer cette image dans la tradition. Mais le XIIIe  siècle, principalement dans sa seconde moitié, tend à modifier celle-ci et à proposer un essai de réhabilitation du roi Louis, lui prêtant « des circonstances atténuantes », selon B. Guidot, et lui attribuant des qualités humaines intéressantes au regard de sa fonction : âme généreuse, calme de chef, sérénité font de lui un roi apte à dominer toute situation123. Les poètes se sont également attachés à souligner, chez le roi Louis, un comportement à la cour différent du comportement guerrier. Il faut noter, d'ailleurs, dans Lion de Bourges, qu'aucune délibération du conseil royal ne précède l'intervention du roi Louis. Cela marque une nette différence avec le comportement de Charlemagne, tantôt cédant aux volontés des traîtres, tantôt se rangeant à la sage opinion de ses fidèles conseillers. Les luttes d'influence à la cour, émanant principalement des félons, occultent le discernement de l'empereur. Par opposition, la décision de Louis apparaît, dans l'épisode évoqué, débarassée de cette gangue néfaste. Visée politique ? Certainement, mais cela correspond à la tendance générale à l'individualisation traduite par le poème. La cour est un milieu défavorable, préjudiciable au jeune souverain qui se laisse influencer par des personnages hostiles au bon fonctionnement des institutions ; B. Guidot relève ce fait aussi bien dans le Siège de Barbastre que dans les Enfances Vivien. Mais, hors de la cour, Louis se révèle être un chevalier courageux, prenant une part active aux combats : « Rois Looÿs chevauche (…) », crie « Monjoie ! » … et repousse plus de mille sarrasins, dans le Siège de Barbastre 124. Chef de guerre intelligent, il sait requérir l’avis de ses vassaux pour définir une stratégie. La Mort Aymeri de Narbonne le montre affirmant la nécessité d’une « corrélation étroite et volontaire des constituants de la société »125, – affirmation que ne démentent pas les engagements prononcés dans Lion de Bourges. L’image d’un roi courageux est également présente au XIVe siècle, dans la chanson de Hugues Capet, mais il ne s’agit que d’une rapide apparition, en début de poème. « Ly fors rois Loaÿs » remporte la victoire sur les païens conduits par Gormont et Isembart dans le pays de Ponthieu126. Affaibli par ses blessures, il meurt peu de temps après, empoisonné par le comte Savari de Champagne, qui espère s’approprier la couronne de France, en épousant Marie, fils du roi Louis et de la reine Blanchefleur. Dans ce poème, Louis est évoqué comme étant le fils de Charlemagne127 ; il s’agit de la même confusion avec le roi Louis III, existant déjà dans le fragment conservé de Gormont et Isembart 128. Ce que l’on peut également retenir de ce poème, c’est que la reine Blanchefleur, est la fille d’Aymeri de Narbonne et, donc, sœur de Guillaume129. Certes, l’histoire est malmenée, mais les libertés prises par le trouvère permettent d’une part de rattacher le roi Louis à la légende de Charlemagne et au cycle de Guillaume, et d’autre part de justifier l’accession des Capétiens au trône : par son mariage avec Marie, – après sa victoire à la tête des troupes de Paris – Hugues Capet devient l’héritier (presque) légitime de la couronne de France130. Ainsi s’effacent les regrets exprimés par le trouvère de Gormont et Isembart, à la mort du roi Louis :

‘Ceo fut damages e pechiez,
Car mut ert bon chevalier
E en bataille fesant ben,
A crestiens veir cunseillier.
Ceo dit la geste, e il est veir,
Puis n’ot en France nul dreit eir. (Gormont et Isembart, v. 414‑419)’

Néanmoins, malgré ces quelques tentatives de restauration, principalement organisées autour du comportement guerrier, l’image de Louis, trop influencée par les premières chansons du cycle de Guillaume, reste dans la littérature celle d’un roi falot et lâche131. Peut-être, parce qu’il ne suffit pas à un roi d’être un bon chef de guerre pour être un bon souverain. Encore lui faut-il savoir accepter une couronne, se défaire de l’emprise des lâches et ne pas en être un, lui-même, comme Charlot dans Huon de Bordeaux. Pourrait-on d’ailleurs imaginer pire souverain que celui que Charlemagne décrit lui-même comme un « malvais iretier » qui « Miex aimme asés les traitors laniers / Que les preudommes », et dont il finit, d’ailleurs, par regretter qu’Ogier ne l’ait pas tué132 ? « Personnage épisodique », selon M. Rossi, « Karlot a été conçu en fonction de l’intrigue », ce qui permettait au poète de reporter sur celui-ci tous les défauts imputables au personnage du roi, « laissant l’image monarchique intacte »133. Si telle était l’intention du poète, on ne s’étonnera pas d’entendre Charlemagne décrire le comportement idéal du souverain et mettre son fils en garde contre les traîtres134. C’est également l’occasion, semble-t-il de donner au personnage de Charlemagne, partagé entre l’amour paternel et la rigidité du rôle du souverain, une profondeur psychologique peu fréquente dans le genre épique. Sa longue intervention (une centaine de vers135) évoque plus un monologue laissant défiler librement les souvenirs, qu’un discours adressé aux pairs. Dans les conseils qu’il prodigue ensuite à Karlot, Charlemagne définit la place du souverain, investi par la volonté de Dieu du pouvoir absolu sur une chrétienté totalement soumise. Cet ordre idéal, que le XIIe siècle aime à célébrer dans ses chansons, repose sur le concept d’une complémentarité absolue entre le roi et ses vassaux, telle que le poète de Lion de Bourges la suggère par le biais de l’intervention du roi Louis. Cela inclut le principe d’un souverain fort, occupant une position incontestée au sommet de la société féodale, conçue comme une « structure pyramidale »136.

Mais, il faut admettre que le rappel de cette situation idéale n’apporte, dans Lion de Bourges, aucune solution définitive. Le dénouement des dernières intrigues montre que l’ordre demeure fragile. (À titre d’exemple : pendant que les héros reprennent possession de Bourges, Palerme est reconquise par le roi Sinagon, aidé du traître Morandin ; les troupes de Lion mènent de nouveaux combats ; les prisonniers chrétiens sont libérés, mais Bauduyn de Monclin, Ganor et Marie sont morts dans les geôles. À peine Olivier a-t-il retrouvé Joïeuse et ses enfants, que Gracienne vient lui annoncer la mort de Guillaume, empoisonné par le messager Henry. Pourchassant ce dernier jusqu’en Inde, Olivier est tué d’un coup de lance lors du dernier duel de l’œuvre.) Située relativement en fin de poème, l’intervention du roi Louis joue un rôle limité, mais non des moindres, dans l’intrigue générale puisqu’elle permet l’ultime reconquête de Bourges et la reconnaissance définitive de l’héritier légitime du fief. Elle réaffirme donc la relation féodo-vassalique, rompue du fait de Charlemagne, ce qui signifie que le maintien de ce type de relations, sous certaines conditions, est encore souhaité au XIVe siècle. Elle peut aussi se prêter à une interprétation plus générale : en effet, ne pourrait-on pas l’envisager comme le rappel d’un certain passé, dans lequel les valeurs de la féodalité avaient force d’engagement, et, parallèlement, comme une sorte de rêverie ? C’est ce que pense G. Duby, qui voit dans un tel rêve celui d’une classe sociale, l’aristocratie militaire, qui se sait condamnée, à plus ou moins long terme, à l’étouffement par l’évolution politique et économique. Les poèmes de la fin du XIIe siècle et du XIIIe siècle dressent un constat en ce sens, comme le souligne l’auteur, qui discerne dans la production littéraire de cette période « l'expression du désenchantement » de la classe aristocratique : « la noblesse s'enfuit vers ce qui, croit‑elle, peut encore la protéger : les convenances, les vanités, l'idéologie, cherchant un dernier refuge dans les remparts de l'imaginaire »137. La classe chevaleresque ne peut que constater qu’elle se situe dans une impasse138. Mais, entre les lignes, elle est invitée à se demander si, dans une société médiévale modelée par l’apparition de nouveaux enjeux commerciaux et politiques, il est encore possible que l’image figée du souverain guidé par Dieu, rassemblant autour de lui la chrétienté, soit immuable. En d'autres termes, c'est remettre en question la souveraineté du personnage royal. L’auteur dresse donc un constat, tout en transmettant un message moral sur les possibilités d’engagement et d’évolution de la chevalerie dans l’organisation politique mise en place par les Capétiens dans le courant du XIIIe siècle. Cela impliquait de conduire une réflexion sur le pouvoir royal.

Il semblerait que l’auteur ait caché la clé de l’étrange jeu qu’il propose à ses lecteurs dans une petite séquence insérée dans l’expédition de Charlemagne : alors que celui‑ci est assailli par le doute (doit‑il maintenir le siège de Bourges ou partir avec Basin, comme celui‑ci le lui conseille, pour mener la guerre contre Gombaut de Cologne et reprendre Honnoree ?), il reçoit la visite nocturne d’un ange :

‘Or ne sceit qu’il puet faire, Jhesu Crist reclamait.
La fuit a telz detresse qu’ains la neut ne mengait.
Quand il fuit oure et point, li bon roy se couchait ;
Maix en celle neutie, si comme vous orés ja,
S’aparuit une voix qui le roy appellait,
Et li dit : « Emperrere, entandés a moy sa :
Je sus messaigier de Dieu qu’a toy envoiér m’ait. » (v. 22009-015)’

Aux signes accompagnant l’apparition139, Charlemagne reconnaît immédiatement le caractère surnaturel du messager céleste qui lui transmet la volonté divine et lui dicte le compromis qu’il doit faire avec Lion de Bourges pour obtenir la victoire sur Gombaut. Cette intervention du sacré appelle plusieurs remarques. En premier lieu, si la visite de l’ange est habituellement perçue dans la poésie épique comme un signe de distinction du bénéficiaire, elle signifie alors que Charlemagne est toujours digne de recevoir un avertissement divin. « La signification religieuse [des apparitions] est claire » note J.‑C. Vallecalle. « Ce sont généralement des anges qui, prenant une forme visible, se rendent ainsi auprès des héros que Dieu a choisi de distinguer par une telle révélation »140. En faisant bénéficier l’empereur de ce type de manifestation du surnaturel, le trouvère fait revivre une certaine part de l’image traditionnelle de Charlemagne, telle que La Chanson de Roland l’a fixée dans la mémoire collective141, veillé dans son sommeil par l’ange Gabriel142 et « principal bénéficiaire des conseils et avertissements du ciel », selon le mot d’Herman Braet143. Cependant, à la différence des premiers poèmes épiques, qui établissaient un lien entre la finalité de la guerre menée par l’empereur et l’intérêt que Dieu portait à l’humanité, l’apparition angélique, dans Lion de Bourges, ne possède pas les mêmes caractéristiques. Elle reste discrète et anonyme ; elle ne se renouvelle pas et l’ange se limite à conseiller un étrange compromis. Cette discrétion est révélatrice : préoccupé par une guerre interne et par ses intérêts personnels, l’empereur n’assume plus son rôle de protecteur de l’Église, et il s’instaure une distance entre le pouvoir divin et ce souverain indifférent aux intérêts de la chrétienté. La guerre injuste contre un vassal altère ses relations avec le monde divin. Par exemple, dans Gaydon, Charlemagne perd le privilège de communiquer avec le surnaturel et ne bénéficie plus des visites de l’archange Gabriel ; c’est Gaydon qui reçoit en songe les avertissements célestes144.

Malgré ces infléchissements, cette apparition conserve un caractère significatif car Charlemagne est le seul personnage du poème à recevoir la visite d’un ange145. Les autres personnages – Lion, Olivier, ou bien la duchesse Alis – perçoivent des voix célestes, dont certaines sont accompagnées de phénomènes lumineux, mais ce type d’avertissement reste rare, car bien plus souvent les messages divins sont délivrés par le Blanc Chevalier. À la différence des héros, Charlemagne semblerait donc pouvoir encore bénéficier, dans une circonstance particulière, d’une relation avec le Tout‑Puissant, alors que ce type de communication tend à faire place à une relation plus distante, impliquant l’intervention d’une créature intermédiaire, comme le Blanc Chevalier. Cette créature possède une double nature lui permettant « d’établir un lien entre l’existence terrestre et le domaine supérieur des réalités spirituelles »146, mais le rôle que le poète lui attribue dans le poème invite à le comparer avec prudence avec un être surnaturel : s’il en possède certaines qualités, sa nature même de revenant le rattache au monde des hommes. Compagnon fidèle, envoyé par Dieu, il intervient physiquement dans les engagements guerriers des héros, il les guide continuellement, tandis que l’ange effleure à peine l’empereur dans son sommeil. Cependant, si la sollicitude du pouvoir divin envers le souverain semble pouvoir distinguer celui‑ci du commun des mortels, cette distinction ne vaut que pour les apparences… car le contenu du message divin ne laisse planer aucun doute sur l’issue du dilemme qui tourmentait Charlemagne :

‘« Dieu te fait assavoir qu’acorder te faurait
Au damoisel Lion, car ver lui mespris ait.
Il est droit hoir de Bourge, Herpin l’angenrait ;
Tint jaidis le pays, maix vous corpz l’en chaissa.
Or est venus li filz qui après le tanrait,
Ne lou doie desherriter, Dieu s’an corrousserait
Et nus chevalier jamaix telz ne serait,
Et si est destinér que il te vangerait
De Gombert le lairon qui tant de malz fait vous ait ;
Per le donsel Lion li traytre morait,
Car Dieu le vuelt ainsi et pour ceu avanrait.
Ne garie l’anffan ou mal t’en avanrait ! » (v. 22020-031)’

En d’autres termes, s’il ne conclut pas immédiatement la paix avec Lion, Charlemagne ne peut espérer mener à bien son expédition ! Mais, plus que la reconnaissance qu’il doit à l’héritier injustement dépossédé de son fief, c’est le désir de retrouver Honnorée qui pousse l’empereur à accepter le compromis. D’ailleurs, avait‑il d’autre choix, alors qu’il était prêt à suivre les conseils d’un enchanteur (Basin) pour affronter les forces du mal représentées par Gombaut de Cologne ? Ce que révèlent aussi les paroles de l’ange, c’est que Dieu se préoccupe plus de la cause défendue par le vassal déshérité que des intérêts privés de l’empereur, car en ordonnant la réconciliation, il confirme la justification de l’engagement de Lion. Ainsi, malgré les apparences, l’unique expérience directe du sacré prêtée à l’empereur dans notre poème ne peut‑elle jouer en sa faveur. Mais cela n’a rien de surprenant : puisque l’empereur n’a pas donné suite au vœu qu’il avait formulé en début de poème147 et qu’il a transformé son projet de défense de la chrétienté en une poursuite contre un « puant » pour ses intérêts privés, le Tout-Puissant se détourne.

L’interaction des deux épisodes consacrés à Charlemagne montre à l’évidence que l’absence d’une cause de haute valeur, capable de susciter un engagement collectif des groupes impliqués dans la défense des intérêts du royaume, permet la remise en question de l’autorité royale et même sa contestation ouverte. C’est ce que fait Lion en se faisant reconnaître « droit hoir de Bourge148 », et Dieu, par l’intermédiaire de son messager, le confirme dans son bon droit. L’avertissement céleste revêt donc, dans Lion de Bourges, une signification profondément différente de celle que lui conféraient les poèmes glorifiant l’engagement des armées royales au service de la foi, et sa nature montre une évolution dans les rapports de Dieu avec l’humanité. En se détournant des intérêts de la chrétienté, le pouvoir royal perd le bénéfice de la protection divine, puisque l’avertissement joue en faveur de Lion. Désormais, le Tout‑Puissant est plus attentif à un vassal déshérité à tort qu’à un empereur injuste. Il veille à ce que l’injustice soit réparée, et sa sollicitude s’adresse plus à l’individu qu’à la collectivité. Implicitement, l’auteur de Lion de Bourges établit un parallèle entre les relations de l’homme avec le pouvoir divin et celles qu’il entretient avec l’entourage social. Affectées par le même infléchissement, elles témoignent d’une tendance à l’individualisation. C’est ce que montre également l’épisode de la réconciliation entre Charlemagne et Lion. Cette séquence est liée à l’annonce du meurtre du duc Herpin par Gombaut149. Aussi, lorsque Lion demande à Charlemagne de lui accorder l’ultime combat contre Gombaut, son intention est‑elle de venger l’honneur de son père et du lignage de Bourges, plus que de soutenir un duel qui incombait normalement à l’empereur :

‘« – A, sire, dit Lion, laissiez vous plaidyer.
Je vous prie, pour Dieu le Perre droiturier,
Qu’au jour d’ui me laissiez de mon perre vangier,
Car se je tient Gombert au champz sur l’erbier,
Je ne doubte mie, se Dieu me puist aidier,
Que briefment ne li faice annoy et destorbier. » (v. 22465-470)’

Ainsi, malgré le respect d’un certain rituel présidant à la réconciliation entre Charlemagne et Lion de Bourges150, le problème fondamental reste non résolu, car ce n’est pas la cause défendue par l’empereur, mais la vengeance au nom du lignage qui suscite l’engagement héroïque. Même si elle est apparemment remplie, l’obligation d’aide du vassal envers le suzerain ne revêt plus la même signification. L'action du héros se fait en direction de la famille, plus qu'en faveur de l'ordre politique. D’ailleurs, si Charlemagne sait qu’il peut tirer profit de la réconciliation151, il ne comprend que tardivement les sous-entendus du message divin : « Vecy le signe que l’ange m’ot contér »152, reconnaît-il.

Les deux épisodes que nous venons d’évoquer – scène initiale et expédition militaire – restituent une vision globalement négative du pouvoir royal. Usant aussi bien d’un ton ironique que d’un mode de narration traditionnel et de certains clichés de l’art épique, l’auteur donne dans ces séquences l’image d’un souverain faible, soit par crédulité envers les traîtres, soit par manque de courage face à ses adversaires. Ce roi, qui ne discerne plus le bien du mal, n’apporte aucun soutien à son entourage ; il ne sait plus répondre à l’attente de la classe aristocratique, à ses interrogations fondamentales sur son devenir et son statut. En vérité, sous couvert poétique, le texte de Lion de Bourges se fait particulièrement proche des réalités politiques ; il traduit les inquiétudes d’une classe constamment impliquée dans un enjeu militaire, qui ressent le danger que représente pour son avenir un pouvoir royal sur lequel elle ne peut plus fonder sa confiance. « Ainsi », constate François Suard, « qu’il parte de la réalité contemporaine ou bien de la légende, le poème épique tardif repose sur la conscience d’une liaison naturelle entre la forme poétique de la chanson de geste et la vérité. (…) La question majeure posée par les textes tardifs – du moins ceux du XIVe s. – serait celle de la légitimité de la dynastie royale française affrontée à l’invasion étrangère et aux soubresauts de la guerre civile »153. Or, des troubles profonds affectent l’unité du royaume depuis les dernières années du XIIIe siècle. Malgré son désir de soumettre à sa loi les territoires extrêmes, Philippe le Bel se heurte à la résistance du roi des Anglais dans le Sud‑Ouest et à celle du comte de Flandre dans le Nord, qui supportent difficilement de voir leurs prérogatives seigneuriales de plus en plus rognées par un pouvoir capétien envahissant. Si le traité de Montreuil et le traité de Paris établissent, à partir de 1303, une paix provisoire en Guyenne et soumettent Edouard Ier à la coutume de l’hommage, le nord du royaume traverse encore une longue période de soulèvements. Artisans et tisserands flamands imposent une défaite humiliante à la chevalerie française154 et repoussent hors de Flandre les sujets du roi de France. La noblesse de France avait été battue par de « simples manants »155… Mais ce n’est pas seulement le souvenir de cette humiliation que les textes tardifs tentent d’expulser de la conscience collective de la chevalerie, car des bouleversements plus profonds affectent désormais l’ordre féodal. En effet, pour réprimer les révoltes des provinces conduites par des vassaux rebelles, le roi fait appel à une armée de chevaliers dont il rétribue les services. L’engagement du vassal au service du suzerain, en échange de la protection de ce dernier, tend à être progressivement remplacé par un service rémunéré, détruisant ainsi l’équilibre fondamental des valeurs féodales. Et, pour payer ces hommes, le roi doit prélever toujours plus d’argent156. La chanson de Lion de Bourges témoigne de ces bouleversements. Quand le poète fait dire au jeune valet qui accueille Lion aux portes de Bourges que la ville est sous la domination avide d’un homme mis en place par Charlemagne157, n’évoque‑t‑il pas les sergents du roi chargés de lever les impôts ? L’aubergiste qui reçoit ensuite Lion se plaint de « la malletoste »158, qui était un impôt de guerre contre les Anglais levé à partir de Philippe le Bel.

Mélange de lucidité, de rêve et de regrets, le poème restitue une réalité vécue par une classe qui voudrait encore pouvoir croire à sa finalité. Mais ce n’est qu’illusion : lorsque le trouvère reprend aux épopées plus anciennes certaines formules stéréotypées destinées habituellement à glorifier l’empereur, il leur donne un infléchissement qui aboutit à composer une image profondément modifiée, particulièrement lors de l’expédition amoureuse, dont W. W. Kibler pense qu’elle a été imaginée par l’auteur « peut-être dans l’intention de déidéaliser encore Charlemagne, car on ne peut concevoir une situation moins héroïque que celle d’un empereur à la poursuite d’un magicien qui a enlevé sa femme »159. Tournant en dérision la conduite de l’empereur en maintes circonstances, le poète de Lion de Bourges s’efforce de montrer une royauté discréditée aux yeux de son entourage. Il utilise partiellement l’héritage thématique du cycle des vassaux rebelles (influence des traîtres, altercations à la cour et opposition entre le roi et le vassal), mais il y apporte un infléchissement important. Nous reprenons ici le développement de D. Boutet sur ce groupe de chansons : « Si la fin des conflits ménage le plus souvent les intérêts du vassal, qui retrouve une position importante dans la société politique – c’est le cas dans Girart de Vienne, la Chevalerie Ogier, Gaydon, Gui de Nanteuil ou Renaut de Montauban –, l’ordre qui est ainsi rétabli assure la paix intérieure dans la reconnaissance de la suprématie royale. Il est remarquable que le rebelle n’obtient jamais, à la fin du conflit, la réparation qu’il avait exigée et dont le refus avait justifié sa révolte : tout se passe comme si cette motivation s’était effacée de son esprit. Le roi est donc le principal vainqueur »160. La leçon de ces chansons tendrait donc à conforter le roi dans sa position de monarque. Si la confrontation de Lion de Bourges avec ces textes fait apparaître une imprégnation incontestable du poème par certains thèmes propres à ce courant littéraire, l’esprit qui règne n’est plus le même : d'ailleurs, le poème propose une leçon inverse, puisque le vassal est rétabli dans ses droits ; sa révolte est donc justifiée. Il s’y ajoute une volonté de brosser une caricature du pouvoir capétien. Comme l’illustre l’intervention du jeune souverain Louis, ni son courage, ni celui du barnage rassemblé n’empêchent le désordre de s’installer à nouveau. Le rassemblement autour d’une grande cause, servant à la fois la grandeur de la royauté et les intérêts de la collectivité, ne se produit pas. Décidément, le souverain n’a plus l’image d’un chef militaire et religieux, susceptible de provoquer dans son entourage un engagement héroïque pur. Le mal profondément enraciné est celui d’une société, en proie aux luttes intérieures, qui ne trouve plus dans le pouvoir royal le soutien qui lui permettrait de refonder son unité. La perception de la fragilité des structures féodales est d’autant plus accrue que le poème montre que l’empereur mène une guerre contre un membre du « meilleur lignage de France »,  ce qui aboutit à faire de lui le responsable d’une scission entre lui-même et son entourage.

Notes
40.

Cf. v. 20361‑366, 21680‑685, 25653­‑659.

41.

Cf. v. 45‑48. Cf. également Gui de Nanteuil, éd. cit., : Hervieu reproche à Charlemagne d’avoir choisi un parent de Girart de Roussillon comme gonfalonier :

« Dont n’est il du lignaige Girart de Roussillon

Qui tant vous gerroia à coite d’esperon,

Que il mist vostre terre en feu et en carbon ? » (v. M.255-257)

42.

W. W. Kibler, « Les derniers avatars du personnage de Charlemagne dans l’épopée française », Charlemagne et l’épopée romane, Actes du VII e Congrès International de la Société Rencesvals (Liège 1976), Paris, Les Belles Lettres, 1978, t. I, p. 281‑290 (p. 290).

43.

Environ 21.000 vers séparent les deux épisodes.

44.

G. Duby, Le Moyen Âge (987-1460), Paris, Hachette, 1987, p. 301‑302.

45.

La description de la cour participe pleinement à cette impression :

Noble court tint et large li roy de Monlaon :

Tres bien furent servir a lour devision.

Li roy voit son bernage dont il avoit foison ;

Joie en ot a son cuer, si an loait Jhesum.(v. 34-37).

46.

Particulièrement, le motif du vassal absent et l’accusation proférée par un traître appartenant au lignage de Ganelon.

47.

Huon de Bordeaux, éd. cit., v. 250-277.

48.

Aye d’Avignon, éd. cit., v. 2598 sq.

49.

Cf. M. Rossi, Huon de Bordeaux et l’Évolution du genre épique au XIII e siècle, Paris, Champion, 1975, p. 207 : « Un baron appartenant à une lignée de traîtres – le plus souvent un descendant ou un parent de Ganelon – s’efforce de troubler la bonne harmonie qui règne entre l’empereur et ses vassaux (…) ». Cf. également p. 494 :  « Les traîtres sont présentés comme ayant une importance politique, car ils créent et entretiennent l’anarchie féodale, sont par là la source de tous les fléaux (…) ».

50.

Cf. G. Duby, « La Féodalité », Miroir du Moyen Âge. Institutions, Figures, Savoirs, Paris, Encycl. Univers., 1999, p. 34‑48 (p. 40) : « (…) le devoir de ne pas nuire s’accompagne d’exigences positives qui s’expriment par deux mots, l’aide et le conseil. Aider, c’est venir à la rescousse (…). Quant à l’obligation de conseil, elle astreint à se rendre auprès du seigneur lorsque celui‑ci convoque sa cour, sans l’avis de laquelle il ne peut prendre aucune décision importante ».

Cf. également J.‑F. Lemarignier, La France médiévale, Institutions et société, Paris, Armand Colin, 1970, p. 126-159 ; M. Bloch, La Société féodale, Paris, Albin Michel, rééd. 1994, p. 210‑212.

51.

Vers 53.

52.

Renaut de Montauban, éd. J. Thomas, Genève, Droz, 1989, v. 68‑106 : Charlemagne est fermement décidé à obtenir la soumission de Beuves d’Aigremont : il menace de détruire ses terres et de faire pendre son fils et brûler sa femme...

53.

Selon D. Boutet, c’est au cours de la seconde moitié du XIIe siècle et pendant le XIIIe siècle que la monarchie capétienne parvient à réaliser la concentration du pouvoir royal, entreprise par Philippe Auguste, tendant à édifier une « véritable construction hiérarchique dans laquelle le roi ne saurait occuper d’autre place que le sommet. (…) Mais l’entreprise fut longue, et une bonne part de l’histoire de la seconde moitié du XIIsiècle et du XIIIe  siècle tient dans cette recherche, par les rois, de la concentration du pouvoir ». Cf. D. Boutet, Charlemagne et Arthur ou le roi imaginaire, Paris, Champion, 1992, p. 117.

54.

Cf. G. Duby, Le Moyen Âge (987-1460), Paris, Hachette, 1987, p. 301-302. Cf. également du même auteur : Hommes et structures du Moyen Âge I : La Société chevaleresque, Éditions de l'École des hautes études en sciences sociales, 1979, repris dans Qu'est-ce-que la société féodale ?, Paris, Flammarion, 2002, p.1051-1205.

55.

Cf. les remarques de J.‑L. Picherit, Lion de Bourges, éd. cit., p. lxiv.

56.

Cf. v. 63‑69.

57.

Fierabras, chanson de geste du XII e  siècle, éd. M. Le Person, Paris, Champion, 2003, v. 149-171.

58.

Ibid., v. 187-189.

59.

Ibid., v. 199-200.

60.

M. Le Person rappelle que l'autorité du pouvoir royal « est mise en péril à plusieurs reprises », notamment par le comportement de Roland, de celui de Ganelon et du lignage des traîtres et « par le mauvais usage des institutions et le pervertissement de l'esprit dans lequel elles doivent être utilisées (...) », cf. Fierabras, éd. cit., p. 185-186.

61.

Gaydon, éd. J. Subrenat, Louvain, Paris, Peeters, 2007, v. 409-412.

62.

Ibid., v. 3627-3633.

63.

Renaut de Montauban, éd. cit., cf. respectivement : v. 9109-9111 et v. 9390-9393.

64.

Voir à ce sujet les remarques de V. Naudet sur une scène de Garin le Loherenc : « Quand le roi frappe la reine : à partir d’une scène de la geste des Lorrains », Le Geste et les Gestes au Moyen Âge, Aix-en-Provence, CUER MA, 1998, p. 433-459 : L’auteur rappelle les interprétations possibles de l’utilisation du bâton : « Quant au bâton, son interprétation est plus ambiguë : faut-il y voir une arme primitive pour ce roi incapable de tenir une épée ? ou bien le détournement par un roi peu scrupuleux d’un symbole de paix universellement reconnu ? Quoi qu’il en soit, ce coup porté avec un bâton est un signe supplémentaire de l’incapacité du roi à affronter ses obligations, qu’elles soient guerrières ou politiques. » (p. 451).

65.

Pour reprendre l’exemple de Gaydon, le poète fait apparaître le roi dans des situations peu glorifiantes : en état d’ivresse, déguisé en pèlerin, adoptant dans Angers un comportement contraire à la dignité impériale, etc.

66.

Gui de Nanteuil, éd. J.R. Mc Cormack, Genève/Paris, Droz/Minard, 1970, v. M.299.

67.

Cf. La Chanson de Roland, éd. cit., v. 440 : Marsile veut frapper Ganelon qui vient de proposer des conditions de paix ambitieuses.

68.

P. Ruelle, édition de Huon de Bordeaux, Bruxelles/Paris, Presses Universitaires de Bruxelles/Presses Universitaires de France, 1960, introduction p. 79.

69.

La Chanson d’Aspremont. Chanson de geste du XII e  siècle, éd. F. Suard, Paris, Champion Classiques, 2008, v. 343‑357.

70.

Cf. J.-C. Vallecalle, « L’immunité diplomatique dans les chansons de geste », Le droit et sa perception dans la littérature et les mentalités médiévales, Actes du colloque d’Amiens (1989), dir. D. Buschinger, Göppingen, Kümmerle Verlag, 1993, p. 183-193 : « dans [les chansons de geste] la fonction et la qualité particulière d’un représentant diplomatique ne sont pas toujours considérées comme des raisons suffisantes pour qu’il échappe au pouvoir du seigneur chez qui il se rend, et l’immunité des ambassadeurs ne résulte donc pas d’une règle universellement admise ». (p. 186).

71.

La scène de Renaut de Montauban, au cours de laquelle Charlemagne s’adresse successivement à ses barons pour leur ordonner de pendre Richard, donne une bonne illustration de la distance qui s’instaure progressivement entre l’empereur et ceux-ci. Par exemple, pour faire fléchir Ogier de Danemark, Charlemagne lui rappelle en vain certains détails sensibles :

« Tu es mes liges hon, por ce servir me doiz.

L’autrier me fu conté, m’a mie encore .i. mois,

Que tu avoies fait traïson envoers moi :

Or si voil esprouver se fu mençonge ou voir.

Richard vos covient pendre ; par la loi que vos doi,

Pavie outre les monez de loier en avrez

Et si avrez Verciaux, (…)

Non ferai, dist Ogier, si m’aït Diex, des mois,

Car cosin germain somes, trop seroit contre lois.

J’aiderai a Richart a .iii.m. conroiz.

– Ha ! glos, Diex te doint mal ! ce dist Karlles li rois. » (v. 9284-9290, 9293-9296).

72.

Cf. J. Subrenat, Étude sur Gaydon, chanson de geste du XIII e siècle, Aix-en-Provence, Université de Provence, 1974, p. 322 : « L’empereur « assoté » se trouve également dans une solitude assez tragique. Il conserve une puissante armée aguerrie, mais son conseil est squelettique, si du moins l’on excepte les traîtres ; (…) ».

73.

Vers 136.

74.

Cf. J.‑P. Martin, Les Motifs dans la chanson de geste, Définition et utilisation (…), Lille, Université de Lille III, Centre d’Études Médiévales et Dialectales, 1992, p. 99 : « Le thème de la royauté faible peut prendre forme à travers (…) le motif de la bataille à la cour ».

75.

Le Couronnement de Louis, éd. E. Langlois, Paris, Champion, 1984, v. 121‑146.

76.

Cf. B. Guidot, Recherches sur la chanson de geste au XIII e siècle d’après certaines œuvres du cycle de Guillaume d’Orange, Aix-en-Provence, Université de Provence, 1986, t. I, p. 278‑279.

77.

Cf., pour exemple, Raoul de Cambrai.

78.

Cf. R. R. Bezzola, « À propos de la valeur littéraire des chansons féodales », La Technique littéraire des chansons de geste, Paris, Les Belles Lettres, 1959, p. 183‑195.

79.

Cela permet aussi d’attribuer à Herpin des caractéristiques typiques du héros épique, qui n’hésite pas à abattre un traître, en imitant le modèle de Guillaume. Cf. B. Guidot, op. cit., p. 265 : « La mort infligée en dehors de tout cadre juridique, sans que le justicier tienne compte de quelque institution que ce soit, ne fait que grandir le héros qui, instinctivement, a considéré qu’il se tenait au-dessus des lois habituelles. »

80.

Dans Raoul de Cambrai (éd. S. Kay, Paris, Livre de Poche, 1996), une mise en garde émanant du roi avait été prononcée par le sénéchal (v. 4620-4623), mais ni cet avertissement ni les conseils de modération donnés par Gautier (v. 4627‑4632 et 4645-4648) ne suffisent à contenir la colère de Guerri.

81.

Lors du traditionnel repas de la Pentecôte, dans Raoul de Cambrai, Guerri se saisit d’abord d’un couteau, puis d’un cuissot de cerf pour frapper Bernier ; Gautier s’arme d’un « grant coutel d’acier », cf. Raoul de Cambrai, éd. cit., v. 4641-4667. Dans Aye d’Avignon (éd. cit., v. 170‑175), Auboin et Garnier se saisissent par les cheveux.

82.

Gui de Nanteuil, éd. cit., v. M. 278-279.

83.

Aye d’Avignon, éd. cit., laisses VI et XIII à XXII.

84.

Renaut de Montauban, éd. cit., v. 600-607 et v. 1118‑1152.

85.

Aye d’Avignon, éd. cit., v. 176-178.

86.

Gui de Nanteuil, éd. cit., v. M.291-306.

87.

D. Boutet, Charlemagne et Arthur ou le roi imaginaire, Paris, Champion, 1992, p. 397.

88.

Cf. W. Van Emden, «  Le personnage du roi dans Vivien de Monbranc et ailleurs », dans Charlemagne et l’épopée romane, Actes du VII e Congrès International de la Société Rencevals (Liège 1976), Paris, Les Belles Lettres, 1978, p. 241-250 : « Les épopées de la révolte vont, on le sait, plus loin que celles du cycle de Guillaume dans la « dé-idéalisation » du roi, comme l’appelle M. Bender ». (p. 246). Cf. J. Subrenat, Étude sur Gaydon, Aix-en-Provence, Université de Provence, 1974, p. 308 : « Le poète s’ingénie à (…) ridiculiser [Charlemagne] selon une tradition de l’épopée tardive qui le présente en monarque sans autorité, (…) ». Mais, B. Guidot estime que ce procédé de dévalorisation « n’est pas tributaire de la chronologie » (op. cit., p. 155).

89.

Cf. v. 141-142 : Pour gairir qu’i ne muere dou lignaigne puant, / Getéz fuit en prison (…).

90.

Cf. D. Boutet, Charlemagne et Arthur ou le roi imaginaire, Paris, Champion, 1992, p. 86‑87.

91.

Cf. Gui de Nanteuil, éd. cit., v. M.207-208 :

Karles est viex et freilez et tornéz au declin,

Si ne puet justisier au soir et au matin ;

Ce trait de caractère est constant dans cette chanson et la valeur guerrière de l'empereur est rabaissée, comme le note A. Georges, Tristan de Nanteuil, Écriture et imaginaire épiques au XIV e siècle, Paris, Champion, 2006, p. 22.

92.

W. W. Kibler, « Les derniers avatars du personnage de Charlemagne dans l’épopée française », Charlemagne et l’épopée romane, op. cit., p. 281-290. (cf. p. 284).

93.

Cf. J. Subrenat, op. cit., p. 309 : « (…) la justice est bafouée sur décision autoritaire de l’empereur pour deux mulets chargés de richesses (… )».

94.

Cf. Gaydon, éd. cit., v. 1952-1957, 5953-5954.

95.

Aye d’Avignon, éd. cit., v. 738-740 et 2649. Selon D. Boutet (op. cit., p. 96), « le thème de la vénalité impériale semble s’être introduit dans le genre épique avec la chanson d’Aye d’Avignon, à laquelle Gui de Nanteuil fait narrativement suite (…) ».

96.

Cf. également v. 21808-814 :

(…) Charlon vait devant, li emperrour gentis,

Qui estoit li plux fier et en fais et en dis

Qui fuit en tout le monde croiant en Jhesu Cr[ist] ;

Et pour aulcun tresor estoit tous aflaibis,

Et de cez felonnie estoit tout radoucis

Quant a son grés estoit de bon avoir servis ;

C’estoit la chose dou monde de quoy il valloit pis.

97.

Nous reprenons ici l’expression de J. Subrenat, op. cit., p. 312, illustrée par les reproches que Riol adresse à Charlemagne : « Li traïtor voz ont embriconné ; / Par lor avoir voz ont tout aveuglé. » (v. 1883-84), et la remarque de l’écuyer d’Yzoré de Mayence, qui convoie les quatre mulets chargés d’argent pour Charlemagne : « Mes sires l’a par ses dons aweuglé » (v. 4042, Gaydon, éd. cit.).

98.

Cf. les vers 21222-21307, et principalement :

« Per foid, dit Foucquerés, bien avés cuer d’anffan

Qui ansement m’allez Herpin ramantevant ;

Il occist mon frere, le boin duc Clariant.

– Per foid, dit Lion, je t’alloie demandant ! » (v. 21292-295).

99.

Cf. pour mémoire les vers 38-42 « (…)  « Jamais n’aront repos paien ne Esclavon / Quant j’ai sur sifait pueple dou tout pocession ; (…) ».

100.

Cf. v. 21748-752 :

Maix je vous pués bien dire, car ceu fuit veriteit,

Que le roy Charlemenne ne fui ja escheppér

Que ne fuit desconfis et mort le sien barnez

Se n’eust estés duc Naymon li quens barbez

Qui de bien concillier ne fuit oncque laissiés, (…)

Cf. également les vers 21760-767.

101.

Le poète ne relate aucune rencontre entre Charlemagne et Lion. Il ne fait que rapporter les « nouvelles » entendues par Lion, dont le séjour à Paris ne semble pas dépasser deux jours ; cf. v. 21032-034 :

(…) a Paris la citeit vint per ung sapmedit.

Ung diemange droit ung hault jour signoris

Vint tout droit au pallais dont li mur sont polis.

Cf. également v. 21068-069 :Adont ysnellement de Paris se partit

Et se mist a la voie pour aller en Berry.

La hâte de Lion s’expliquerait par la date choisie pour le départ de l’expédition de Charlemagne :  Et y dobvoit aller li roy droit le lundit (v. 21055).

102.

Cf. à partir du vers 21114.

103.

La Chevalerie Ogier s'ouvre sur une scène relativement semblable. Gaufroi, le père d'Ogier, renvoie à Charlemagne ses messagers après leur avoir fait raser la barbe, les cheveux et la moustache, ce qui déclenche la colère de l'empereur ; cf. La Chevalerie Ogier de Danemarche, éd. M. Eusebi, Milan-Varese, Istituto editoriale cisalpino, 1962, v. 1-25. Dans le remaniement de La Chevalerie Ogier, Adenet le Roi reproduit la même scène, confiant à la femme de Gaufroi l'initiative d'infliger aux messagers de Charlemagne la même punition (cf. Les Oeuvres d'Adenet le Roi, Les Enfances Ogier, t. III, éd. A. Henry, Bruges, De Tempel, 1956, v. 296-313).

104.

Cf. v. 21769-780 et 21790-797. Tandis que l’empereur persiste à croire Lion incapable de l’attaquer, Naimes fait armer ses hommes et laisse Charlemagne « aller devant ».

105.

Cf. v. 21829-834 :

 Charlemenne de France s’an est premier fuys,

Criant a haulte voix permy lez lary :

« E, Nayme de Bawiere, que vous corpz est soutis,

Saige et avisés et moult bien mes amis !

Se j’eusse creus vous consaus et vous dis,

Pais ne me fuit ainsi si blafmés entreprins ; (…) »

106.

Lorsqu’il décrira, dans la dernière partie du poème, les affrontements entre les fils d’Hermer et les troupes de Lion, pour délivrer Bourges, l’auteur aura à nouveau recours à ce procédé. Cf : « Grande fuit la baitaille, perrilleuse et estrange » (v . 31892), « Grande fuit la baitaille et longuement dura » (v. 31927). Mais le contexte est fondamentalement différent : il règne une parfaite entente entre le « bon roy Loys » et son vassal, qui unissent leurs efforts pour l’ultime reconquête du fief.

107.

Vers 22894.

108.

Pour reprendre l’expression de B. Guidot, qui constatait ce manque d’innovation dans les chansons du XIIIe siècle, la « présentation stéréotypée des batailles » ne connaît pas par la suite de profondes modifications et répond à des règles assez stables : « Ce qui attire tout d’abord dans ces passages relativement brefs, plus allusifs que précis, c’est, sur le plan linguistique, le tour exclamatif plus ou moins implicite, la présence de parallélismes faciles à observer et la reprise de mots‑clés comme la locution adverbiale tant de, les indéfinis tel et maint , le morphème tant, utilisé comme indéfini et fréquemment accordé dans nos textes. (…) En quelque sorte le stéréotype repose d’abord sur un cadre dont les principaux éléments sont frappants, parce qu’ils ne sont la preuve d’aucune recherche. ». (B. Guidot, Recherches sur la chanson de geste au XIII e siècle (…), Aix-en-Provence, 1986, Université de Provence, t. I., p. 116‑117.

109.

Id., Ib., p. 119 : « (…) il s’agit d’une association trouvère/lecteur aussi fictive que figée, bien factice, sans aucun doute, mais, comme élément non négligeable de déclic formulaire, ce verbe [veoir ou oïr] à l’irréel aide au maintien de la tradition épique. »

110.

Vers 22957.

111.

Cf. v. 23080-084.

112.

Vers 23091.

113.

W.W. Kibler, « Les derniers avatars du personnage de Charlemagne dans l’épopée française », Charlemagne et l’épopée romane, op. cit., p. 290.

114.

Cf. v. 31763-31768 :

Tant avoit fait Lion, signour, dont je vous dis,

Qu’il avoit amenér le boin roy Loys,

Et Guillamme d’Orange, Buevon de Commerci,

Et s’i estoit venus Aymer li chetis,

Aimery de Narbonne qui tant fuit signory,

Et cez riche lignaige qui tant fuit herdis.

115.

Cf. v. 30605-607 et 30622-625.

116.

Cf. v. 30917-920 et 30965-967. Il faut également noter que chaque évocation du roi Louis est assortie d’une louange : « bon roy Loys», « qui tant ait loialteit », « roy Loys le frant », « gentis roy de France », « roy Loys de France ou tout honnour se baigne », etc. (v. 31764, 31853, 32167, 32229, 31897).

117.

Cf. v. 31853-856.

118.

J.‑L. Picherit voit dans cet épisode une « variation importante apportée au thème [du roi faible]. Le roi dont le père avait combattu Lion se trouve maintenant aux côtés de notre héros en compagnie de Guillaume d'Orange, (…). Beau retournement de situation pour Lion, qui a ainsi la satisfaction de reconquérir à nouveau son ancien fief, et surtout de voir Louis de France, le roi faible par excellence, faire ériger un gibet pour y pendre les traîtres ». (« L'évolution de quelques thèmes épiques : la dépossession, l'exhérédation, et la reconquête du fief », Olifant, vol. 11, n° 2, 1986, p. 115-128 (p. 121).

119.

Cf. v. 32400-401 :

Et dit li roy de France : « Frans duc, se vous vollez,

G’irait avec vous, per Dieu qui fuit penéz. »

120.

Les exemples sont trop nombreux pour être tous retenus. Voir, par exemple, les derniers vers de Gui de Nanteuil : Gui peut épouser Aiglentine, Charlemagne regagne Paris et « maudit les traïtres qui cheste oevre ont brassee » (v. M.2908) ; Gaydon : le mariage de Gaydon et de Claresme est célébré dans la joie (v. 10856-867), après le pardon accordé par Charlemagne (v. 10822-824), etc.

121.

Cf. P. Le Gentil, « Ogier le Danois, héros épique » in Romania, LXXVIII, 1957, p. 199‑233. Sur le caractère sacré du pouvoir royal, cf. également Y. Roguet, « Des neveux », L'Hostellerie de Pensée. Études offertes à D. Poirion, dir. M. Zink et D. Bohler, Paris, Presses de l'Université de Paris Sorbonne, 1995, p. 383-390 (p. 384) et D. Boutet, Charlemagne et Arthur ou le roi imaginaire, Paris, Champion, 1992, p. 211.

122.

B. Guidot, Recherches sur la chanson de geste au XIII e  siècle (…), Aix-en-Provence, Université de Provence, 1986. Cf. p. 155-169.

123.

Cf. B. Guidot, op. cit., p. 157 et p. 169 : « Peut-être certains poètes du treizième siècle s’engagent-ils timidement sur la voie conduisant au Roman en prose dans lequel F. Suard constate que l’auteur a eu la volonté de revaloriser le personnage de Louis (…) ».

124.

Le Siège de Barbastre, éd. B. Guidot, Paris, Champion, 2000, laisses 195, 196.

125.

Cf. B. Guidot, op. cit., p. 166.

126.

Hugues Capet, chanson de geste du XIV e siècle, éd. N. Laborderie, Paris, Champion, 1997, v. 486 sq.

127.

Hugues Capet, éd. cit. : l’ermite, qui offre l’hospitalité à Hugues Capet, croit être en présence du roi Louis : « Estez vous Loaÿs a le brache caree, / Ly fieulz au roy Charlon qui tant ot renommee / Qui Espaingne conquist au trenchant de l’espee ? » (v. 5605-5607).

128.

Gormont et Isembart, fragment de chanson de geste du XII e  siècle, éd. A. Bayot, Paris, Champion, 1969. Cf. G. Paris, Histoire poétique de Charlemagne, Paris, Frank, 1865, p. 400 : « ce poème [Gormont et Isembart] était originairement consacré à Louis III, le héros de la bataille de Saucour, et ce n’est que par une confusion postérieure qu’on l’a rapporté au fils de Charlemagne ».

129.

Hugues Capet, éd. cit., v. 505-507.

130.

Hugues Capet, éd. cit., v. 4591-4619. Cf. les remarques de N. Laborderie : « Mais l’anachronisme le plus flagrant et l’allusion la plus importante à l’actualité politique est certainement la mise en scène de ce qu’on n’appelle pas encore la Loi Salique ». (p. 53).

131.

Cf. G. Paris, op. cit., p. 400 : « sa lâcheté, son manque de foi, sa perfidie, contrastent perpétuellement avec la grandeur d’âme et l’héroïsme de Guillaume ».

132.

Huon de Bordeaux, éd. W. W. Kibler et F. Suard, Paris, Champion, 2003, v. 120-124. Charlemagne se lamente, rappelle la guerre contre Ogier le Danois, et conclut : « Mais, par Celui qui tout a a jugier, / Miex me venist qu’il l’eüst detrencié, / Qar il ne vaut le monte d’un denier » (v. 214-216).

133.

M. Rossi, Huon de Bordeaux et l’Évolution du genre épique au XIII e siècle, Paris, Champion, 1975, p. 514.

134.

Huon de Bordeaux, éd. cit., v. 232-248.

135.

Huon de Bordeaux, éd. cit., v. 110-216.

136.

Cf. D. Boutet, Charlemagne et Arthur ou le roi imaginaire,op. cit., p. 117 et 118. Pendant la seconde moitié du XIIe siècle et le XIIIe siècle, « deux systèmes se développent (…), l’un reposant sur l’hommage individuel, l’autre inspiré par l’Église, qui fait des rois des représentants de Dieu (…) ».

137.

G. Duby, Les trois ordres ou l'imaginaire du féodalisme, Paris, Gallimard, 1978, p. 388‑390 (p. 390).

138.

Cf. A. Labbé, « Guerre sainte et guerre privée dans les chansons de geste : Girart de Roussillon, Garin le Loheren, Gerbert de Mez », Littérature et religion au Moyen-âge et à la Renaissance, dir. J.‑C. Vallecalle, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1997, p. 47‑64 : « Ces poèmes véhéments sont en effet l’ultime espace de franche tuerie et de libre butin où s’est rêvée, en toute impunité littéraire, une aristocratie militaire dont l’effectif horizon politique se restreignait inexorablement, à l’heure où la prenait en tenaille la montée en puissance simultanée d’un pouvoir capétien affermi et d’une bourgeoisie active, portée par les courbes ascendantes de la démographie et de l’économie ». (p. 48) 

139.

Cf. J.‑C. Vallecalle, « Du surnaturel au merveilleux : les apparitions célestes dans les chansons de geste tardives », Personne, personnage et transcendance aux XII e et XIII e  siècles, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1999, p. 169-186 : « Les signes (…) sont parfaitement explicites : lorsque l’ange se présente dans l’univers humain, une clarté extraordinaire témoigne d’abord de cette irruption du sacré et de la venue d’un être totalement étranger à ce monde ». (p. 172). Cf. également H. Braet, Le Songe dans la chanson de geste au XII e  siècle, Gand, Romanica Gandensia, 1975, p. 66‑­67 : « Les attributs du messager céleste sont toujours les mêmes (…) : La clarté qui l’entoure rehausse la blancheur immaculée de son vêtement (…). Ces signes distinctifs (…) garantissent l’origine céleste de l’émissaire ».

140.

J.‑C. Vallecalle, « Les formes de la révélation surnaturelle dans les chansons de geste », Littérature et religion au Moyen-Âge et à la Renaissance, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1997, p. 65-94 (p. 76).

141.

La Chanson de Roland, éd. C. Segre, Genève, Droz, 2003. Cf. principalement les vers 2447 à 2457. Cf. également K. Bender, « Les métamorphoses de la royauté de Charlemagne dans les premières épopées franco-italiennes », Cultura Neolatina XXI, 1961, p. 164-174.

142.

La Chanson de Roland, éd. cit., v. 2525 sq., 2845 sq.

143.

H. Braet, Le Songe dans la chanson de geste au XII e  siècle,Gand, Romanica Gandensia, 1975, p. 78.

144.

Cf. Gaydon, éd. cit., v. 10661 sq.

145.

Cf. M. Gallois, « Merveilleux et surnaturel dans Lion de Bourges », Théophilyon, Lyon, 1998, T. III, vol. 2, p. 499-522. (p. 509).

146.

J.­C. Vallecalle, « Du surnaturel au merveilleux : Les apparitions célestes dans les chansons de geste tardives »,art. cit., p. 183, (cf. également p. 173). Cf. M. Gallois, art. cit., p. 521.

147.

Cf., pour mémoire, v. 38-42.

148.

Vers  21553.

149.

Cf. pour l’ensemble de l’épisode, v. 22201-22346.

150.

Cf. v. 22194-22198 :

Dont ait dou riche roy sa terre relevee ;

Hommaige li ait fait devant la gens louuee.

Ens ou vis le baisait ; la fuit la paix confermee

De Lion et de Charle qui tant orent renommee,

Car Dieu le commandait qui fist cielz et rosee ;

151.

Cf. v. 22186-22191. Charlemagne précise bien que la conclusion de la paix est soumise à l’aide de Lion contre Gombaut.

152.

Vers 22276.

153.

F. Suard, « L’Épopée française tardive (XIVe-XVe s.) »,art. cit., p. 248.

154.

J. Favier, La France Féodale, Paris, A. Fayard, 1984 : « Le 8 juillet 1302, à Courtrai, cette armée de chevaliers se faisait tailler en pièces par la troupe flamande que dominaient les artisans de Bruges. Trop longtemps les chevaliers français avaient sous-estimé la valeur militaire des gens de métier. » (p. 267).

155.

Cf. G. Duby, Le Moyen Âge, (987‑1460), Paris, Hachette, 1987, p. 308-309 : « Devant Courtrai, le 11 juillet 1303, risquant le tout pour le tout, armés de couteaux comme les routiers, les tisserands de Bruges osèrent affronter les chevaliers aux éperons d’or, lesquels croyaient écraser en quelques charges l’impudence de ces manants. Ils égorgèrent « toute la noblesse de France », culbutée dans la bourbe des fossés. Plus de deux cents morts, (…) ». 

156.

Cf. G. Duby, Les trois ordres ou l'imaginaire du féodalisme, Paris, Gallimard, 1978, p. 355.

157.

Cf. v. 21084-21093.

158.

Cf. v. 21125-21128 :

« Amis, s’ai dit li oste, cest citeit mal vait ;

Elle est toute perdue, jamaix rien ne vaurait !

Malletoste et taillez qu’alevér on nous ait

Nous destruite et nous mine et ait fait grant pieceait ; »

159.

W.W. Kibler, « Les derniers avatars du personnage de Charlemagne dans l’épopée française», Charlemagne et l’épopée romane, op. cit., p. 289.

160.

D. Boutet, Charlemagne et Arthur ou le roi imaginaire, Paris, Champion, 1992, p. 418.