2 / - Inachèvement des actions héroïques

Monlusant, Reggio de Calabre, Rhodes, Chypre, Jérusalem, Tolède, Magloire, Coblence, Palerme, Bourges, etc. : autant de lieux, autant d’aventures, autant de conflits ; jamais l’ennemi n’a le même visage ni le même nombre ; jamais le péril n’est le même. La richesse de l’intrigue développée dans Lion de Bourges entraîne la création d’une multitude de situations, fréquemment dépourvues de relations apparentes entre elles. La longueur du poème favorise cette agaçante impression de décousu que le lecteur pourrait éprouver, s’il ne percevait l’existence d’un dénominateur commun présidant à l’accomplissement d’actes héroïques dans des situations aussi variées. En effet, qu’il s’agisse du combat d’Olivier contre un monstre marin au large des côtes d’Ascalon253, de celui de Lion encerclé par trente mille Sarrasins sur l’île de Chypre254 ou encore de celui de Herpin combattant les païens aux portes de Rome255, il apparaît qu’une même volonté d’accomplir le service du bien et d’assurer la défense de la chrétienté préside à l’engagement héroïque. Cependant, malgré la présence de ces éléments fondateurs, il existe une certaine contradiction, dont l’origine est à rechercher dans le fond même de la chanson. L’exemple de Herpin donne déjà une première illustration de l’inaboutissement des actions en faveur du bien. Exclu d’un ordre auquel il aspire à rester fidèle, le duc cherche à compenser par ses engagements sans réserve le manque créé par cette situation. Or, ceux‑ci ne le conduiront à aucune gloire : après l’épisode de Rome, il est vendu, sur le port de Brindisi, à des marchands païens, qui le revendent ensuite au roi de Chypre. Puis ce dernier l’envoie comme « cadeau » à l’émir de Tolède, qui le retient dans ses geôles256. Alors que dans les Chétifs 257, les prisonniers chrétiens retrouvent leur liberté après avoir aidé le roi sarrasin Corbaran, l’utilisation du même motif dans notre poème aboutit à créer une nouvelle situation sans issue, qui a toutes les apparences de la captivité. En effet, après la libération de Tolède, Herpin obtient seulement le droit de résider dans un château proche de la cité, où les chrétiens peuvent pratiquer librement leur religion. L’examen du sort réservé aux prisonniers chrétiens revient à poser la question de l’idéologie développée à partir d’une telle séquence. Dans les Chétifs, le personnage de Harpin de Bourges est porteur d’un idéal de pèlerinage pacifique, qui se transforme en guerre sainte, notamment dans les prolongements que lui donne la Conquête de Jérusalem 258. Au terme de ce poème, la croisade est accomplie ; les chrétiens « sont dans Jérusalem », et le comte Baudouin de Beauvais peut rendre un hommage funèbre au cœur de son ennemi Cornumaran. En ce sens, le message idéologique véhiculé par le premier cycle de l’épopée de croisade, que J. Subrenat définit comme un amalgame de piété et de conflit militaire259, s’harmonise avec l’idéal épique. Dans Lion de Bourges, la présence de motifs issus des épopées de la croisade se greffe sur la reprise des bases d’une idéologie épique concentrée – comme le montrent les deux engagements du duc Herpin – sur la défense de la foi chrétienne. Mais l’accomplissement du service de Dieu n’ouvre aucune perspective. Certes, le trouvère ne situe pas cette séquence sur les lieux de prédilection des croisés, mais l’Espagne n’est‑elle pas la terre de la Reconquista ? Cependant, Tolède est païenne et elle le reste. D’autre part, le choix de Rome, pour le premier exploit de Herpin, n’est pas fortuit. Dans l’imaginaire chrétien, elle partage avec Jérusalem, le même pouvoir. Or, la victoire de Herpin sur les païens revient à créer un nouveau danger. Cet épisode fait apparaître clairement le poids des rivalités personnelles sur le parcours chevaleresque, car, comme dans l’entourage royal, les luttes intérieures déstabilisent sa situation. Bien que, dans cette occurrence, les méthodes employées par l’opposant soient totalement différentes, le héros est à nouveau exclu ; il perd la position que la reconnaissance du pape semblait pouvoir lui apporter260.

Le double constat d’inaboutissement auquel se prête le personnage du duc Herpin de Bourges apporte des indices précieux sur l’opinion du trouvère. D’une part, Herpin est doté d’un certain héritage littéraire par le cycle de la Première Croisade, qui illustre sa valeur héroïque. D’autre part, ses attaches lignagères avec Naimes de Bavière (qui ne tarit pas d’éloges sur ses qualités guerrières) et l’enjeu politique que représente le fief de Bourges font de lui un acteur non négligeable dans l’entourage royal. Il est réellement un « baron » de Charlemagne : d’ailleurs, dans la scène initiale du poème, n’allait-il pas remplir son obligation de consilium ? Ce personnage réunit donc en lui toutes les caractéristiques du héros épique, qui ne demandait qu’à remplir également son devoir d’auxilium. Or, ces deux obligations ne peuvent pleinement s’accomplir que dans l’harmonie d’un pacte féodal respecté. Ce pacte féodal, dont la poésie épique des XIIe et début XIIIe siècles a défini les contours261, est brisé dans Lion de Bourges. Ainsi s’explique la fausse liberté de Herpin au château de Hault-Lieu : à quoi bon regagner le royaume de France, puisque l’ordre présidant à la destinée héroïque n’y existe plus ? Et le trouvère va même plus loin dans son raisonnement : il confère au duc Herpin de Bourges une mort déplorable. Il est tué d’un coup de hache dans le dos, par un magicien, sans combat, sans aucune glorification.

La destinée prêtée au duc Herpin illustre les diverses conséquences de l’intrusion du désordre dans la société féodale Ainsi, bien qu’il ne s’agisse que d’un personnage relativement secondaire dans le poème, celui-ci est porteur des prémices de l’idéologie générale développée par le trouvère. Ses engagements au service de la foi ne le conduisent pas à la reconnaissance du Tout-Puissant, et, malgré un essai de renouvellement de l’exploit épique allié à l’esprit de croisade, son existence s’achève par une impasse. Cet idéal de conversion, que les épopées de croisade avaient exalté, ne trouve plus ici sa raison d’être ; la prise en compte des réalités historiques du début du XIVe siècle, le souvenir relativement récent de l’échec de la huitième croisade infléchissent le texte. La chanson n’a pas pour vocation réelle de susciter de nouveaux engagements, mais plutôt d’interpréter une expérience morale, en dépassant le cadre de la célébration poétique. En effet, de nombreuses questions restent en attente, auxquelles le trouvère va répondre en prêtant aux descendants du duc Herpin des aventures significatives. Il s’agit principalement de Lion et d’Olivier. Comme nous l’avions déjà évoqué précédemment, la représentation des destinées réservées à ces deux personnages complète ce qui est esquissé dans l’existence de Herpin et ouvre de nouveaux champs de réflexion.

Ce second groupe de personnages illustre un état de perpétuel inachèvement. À la lecture du poème, une première interrogation s’impose : quelle signification revêt cette quasi-impossibilité de maintenir l’ordre ? Alors qu’une situation est restaurée dans un lieu quelconque, le désordre s’installe dans un autre endroit. La chanson restitue l’image d’un héros confronté (presque malgré lui) à la nécessité de mettre son action au service de causes diverses, situées sur un plan linéaire, sans progression réelle, mais celle-ci n’aboutit pas. Elle est sans cesse remise en question, ce qui suggère que le « mal » s’est insinué dans les structures de la société féodale. En d’autres termes, le schéma originel : situation initiale – dégradation par élément extérieur – action du héros – retour à l’ordre – n’est plus valable. Le parcours de Lion témoigne particulièrement de ce fait : si la réunification de la famille et la récupération du fief constituent ses priorités, tout dans son existence tend à montrer que deux empêchements majeurs, imbriqués l’un dans l’autre, l’en détournent. Comme dans un jeu de poupées russes, chaque événement apporte une nouvelle aventure, un nouveau conflit à résoudre qui éloigne de plus en plus le héros de son but initial – ce qui n’exclut pas, cependant, que chaque action accomplie se traduise par un acquis au niveau individuel et contribue à la construction de la personnalité héroïque .

L’objectif de Lion est clairement défini dès les cinq mille premiers vers du poème : on sait qu’il est déterminé à retrouver ses origines. Cette recherche motive (partiellement) son départ du château de Monclin – partiellement, parce que le jeune homme, âgé d’environ dix-sept ans, sait qu’il doit d’abord éprouver sa valeur au tournoi de Monlusant pour apporter à son père adoptif, Bauduyn de Monclin, la preuve de cette valeur pressentie et rembourser, grâce au prix du tournoi, ses dépenses excessives. C’est un premier détour, en quelque sorte, nécessaire, mais il va modifier de façon considérable sa destinée, en faisant de lui le futur roi de Sicile. Un schéma relativement semblable conduit la destinée d’Olivier. Enfant perdu et adopté, Olivier part à la recherche de ses origines, après son mariage avec Galienne, fille du roi Anseïs de Carthage. Ces deux personnages sont donc inévitablement conduits à une longue errance, ce qui engendre une diversité des situations auxquelles ils se trouvent confrontés. Comme dans la plupart des chansons de geste tardives, le thème de l’ignorance des origines, imbriqué à celui de l’errance et de l’aventure, implique de considérer les exploits héroïques dans une perspective particulière. W. W. Kibler met en garde contre une comparaison systématique avec le modèle rolandien : « Les chansons tardives comme Parise la duchesse, Huon de Bordeaux, Lion de Bourges, Tristan de Nanteuil ou Baudouin de Sebourc, sont très mal servies lorsqu’on les compare à la Chanson de Roland, non seulement parce que la Chanson de Roland est une œuvre exceptionnelle, mais parce qu’elle est une œuvre différente »262. Cependant, certains actes accomplis dans Lion de Bourges mettent en évidence une tentative de duplication de « modèles épiques » qui persistent à dominer la création poétique. Nous pensons particulièrement à l’exemple d’Olivier mettant sa valeur guerrière au service du roi Anseïs de Carthage pour anéantir les païens263, ou bien encore à celui de Lion s’engageant pour servir Charlemagne dans la bataille contre Guitequin de Trémoigne264, après avoir vengé le meurtre de son père265. Dans ces deux occurrences, les protagonistes accomplissent leur obligation d’auxilium auprès du souverain, en faisant totalement abstraction de leur intérêt personnel. Mais ni l’une ni l’autre de ces actions ne recevront de prolongement significatif. Lion s’éloigne de l’entourage royal, immédiatement après la victoire remportée sur les troupes de Guitequin, pour reconquérir la Sicile. Ce départ ne saurait surprendre, si l’on se réfère aux événements immédiatement antérieurs à celle-ci. Dans la cité de Bourges assiégée par les troupes impériales, Lion reçoit la visite d’Ogier de Danemark ; la promesse de paix – et de restitution du fief par Charlemagne266 – que son cousin lui délivre, transforme aussitôt la volonté du vassal en un autre désir, celui de se consacrer à la réunification de sa famille :

‘« Or m’en yrait partant en Sezille la liee
Ou je porait veyr ma tres noble espozee,
Et la porture aussi dont je fis angenree,
Car oncque ne la vy dont j’a la chair yree ! » (v.22147-150)267

Cette décision montre déjà que Lion classe au premier rang de ses priorités la restauration de sa propre situation. Mais, il se produit une sorte de surenchère, déclenchée par l’arrivée de Ganor, dont les révélations vont placer le jeune chevalier face à un dilemme. En effet, le désordre créé par les méfaits du magicien, Gombaut de Cologne, a touché le pouvoir royal (par l’enlèvement d’Honorée et le meurtre du roi de Tolède qui représente, dans le monde païen, une autre figure du roi), la famille du héros éponyme (par le meurtre de Herpin, suivi du décès de la duchesse Alis) et menaçait de s’étendre à tout le royaume (« Le roiaulme de France eust tout gaistér ») sans l’intervention de Basin268. Ainsi, de façon exceptionnelle dans le poème, se trouvent réunies en une seule cause diverses raisons susceptibles de motiver l’engagement héroïque, à un moment-clé dans la destinée terrestre de Lion de Bourges, puisque celui-ci vient de se trouver totalement réhabilité dans son statut social269. Mais le désordre ne se limite pas à ces premiers contours : il atteint aussi une sphère plus privée, celle de sa cellule familiale nucléaire, victime des agissements du traître Garnier de Calabre. Il se reproduit selon un schéma quasi identique : le roi Henri de Sicile, père de Florantine, est tué, le royaume de Sicile est dévasté, et l’épouse et l’enfant de Lion sont contraints à l’errance dans la pauvreté270. À la complexité de la situation, le poète n’a pas oublié d’ajouter quelques éléments révélateurs, en plaçant sous le contrôle de forces supérieures – divines, merveilleuses ou magiques – le déroulement de la destinée du héros. La première de celles‑ci est le pouvoir divin, car l’aide que Lion va apporter à Charlemagne, en tuant Gombaut, émane de la volonté du Tout-Puissant. Le merveilleux a exercé son pouvoir d’attraction : ce sont les six années que Lion a passées au Royaume de Féerie, période d’oubli sévèrement blâmée par le Blanc Chevalier et l’écuyer Ganor, qui reproche à Lion d’avoir trop tardé : «  Sire, (…) ou avés vous estés ? Pués que je ne vous vy son sept an passés. ». Enfin, la troisième et dernière force qui exerce son pouvoir est la magie, dignement représentée par Gombaut, dont les facultés sont néanmoins contrecarrées par un autre magicien, Basin de Genes271. Que penser dès lors du dilemme de Lion ?

‘« Or ne sai le quelz faire, se Dieu me dont santeit :
D’aller en Sezille u on ait tout gaistér,
Ou d’aller a Gombaurt que mon perre ait tuér ! » (v. 22315-317)’

Pourquoi le désir de venger la mort de son père va-t-il s’imposer, alors qu’il croit avoir perdu sa femme et son enfant ? Nous serions tentée de lire, dans l’enchaînement du récit, une première réponse : le respect de la promesse faite à Charlemagne est en parfaite concordance avec le désir de venger la mort du père272. Cependant, après avoir accompli la vengeance et à l’issue de la campagne militaire conduite pour délivrer la femme de l’empereur, il exprime le désir de se séparer rapidement de l’armée impériale pour se consacrer à la reconquête du royaume de Sicile, malgré les offres d’entraide qu’il reçoit :

‘Lion ait prins congier, que plux ne s’atargoit,
Au riche roy de France, et li dit qu’il yroit
Conquere son pays qui gaistér li estoit
Per le felon Garnier qu’essilliér li avoit.
Congier li donnait Charle et si li prometoit
Son tresor et cez gens et quant qu’il avoit.
Lion a son lignaige le congier demandoit,
A Ogier et a Nayme a qui il atenoit.
Chescun au despartir durement le baisoit
Et volloient aller per tout ou il yroit ;
Maix Lion nullement venir ne lez laissoit. (v. 23092-102)’

Ni la résolution du conflit initial, ni la paix conclue avec Charlemagne ne suscitent chez le vassal un quelconque désir d’engagement au service de la royauté, pas plus qu’elles ne l’incitent à solliciter en retour son aide. L'empereur, dans le poème, n'a plus la figure du « père » qui rassemble autour de lui, qui protège273. Il n'est plus représentatif d'un idéal de chevalerie. Si le rituel du contrat vassalique a été reconstitué à Bourges, cela ne vaut que pour les apparences. Malgré la restitution du fief, malgré le changement d’attitude du souverain, le protagoniste de Lion de Bourges n’a pas l’intention de lier sa destinée terrestre à celle du pouvoir royal, parce qu'il ne peut reconnaître dans la personne royale le modèle de vie chevaleresque auquel il pourrait s'identifier. Le désir de rétablir l’ordre dans sa propre famille constitue à ses yeux une priorité, qui infléchit ses autres possibilités d'engagement et son refus signifie également que la quête de la figure paternelle n'est pas achevée. En donnant une telle conclusion à cet épisode, l'auteur rejoint ainsi la thématique de l'absence du père. L’exemple d’Olivier va dans le même sens : à la suite de la reconquête de Burgos274, le roi Anseïs lui en confie la royauté. Peu après le décès de ce dernier, son mariage avec Galienne (fille unique du roi Anseïs) fait de lui le roi de toutes les Espagnes. Pourtant, Olivier reprendra aussitôt son errance, après avoir entendu une voix céleste lui enjoignant d’avouer à Galienne sa situation réelle et de rejoindre Palerme, où il pourra retrouver sa famille.

Les tentatives de « modelage épique » de ces deux héros se heurtent donc à une réalité que le trouvère s’efforce de montrer, en restituant une vision d’un parcours individuel au diapason des espoirs et des incertitudes dans lesquels le début du XIVe siècle se reconnaît. Selon F. Suard, « il ne s’agit pas de reprendre des critères valables pour les poèmes anciens, et parfois pour le seul Roland d’Oxford »275. Malgré la tentation passagère de retenir comme modèles Roland ou Vivien276, l’auteur donne aux actes héroïques accomplis par Lion et Olivier une inflexion qui rend justement compte de l’écart les séparant de ces modèles. L’échec, représenté par cette quasi-incapacité des héros à atteindre leur objectif, devient ainsi révélateur d’une réalité propre à la fin du Moyen Âge.

En voici un exemple : bien qu’il ait pris sa décision au moment de son départ de Monclin, Lion ne part réellement à la recherche de ses parents qu’après avoir délivré Florantine (enlevée par le duc Garnier de Calabre), libéré le roi Henry de Sicile, père de la princesse, prisonnier des troupes du Bâtard de Calabre, épousé Florantine, poursuivi le duc Garnier de Calabre jusqu’à Rome, esquivé une nouvelle trahison de Gaudiffer de Savoie… soit, quelque dix mille vers plus loin ! Un mois après son retour à Monlusant, Lion annonce au roi Henry de Sicile sa décision de partir277. Malgré les promesses faites à Florantine278, l’absence de Lion sera très longue et les époux ne se retrouveront à Palerme qu’au terme de seize années d’errance. Les renseignements qu’il a obtenus à Rome conduisent tout d’abord Lion à orienter ses recherches vers le Moyen Orient ; il se dirige vers Chypre, où il pense que son père est retenu comme prisonnier279 ; après une longue navigation pendant laquelle il semble contourner le bassin méditerranéen280, il doit affronter le géant Mallabron lors d’une escale à Rhodes281. À peine est‑il arrivé à Chypre, qu’il apprend que Herpin a été donné comme cadeau à des émirs sarrasins. Ses recherches sont alors interrompues par l’aide qu’il doit apporter au roi de Chypre. C’est donc une succession désordonnée d’aventures qui, s’enchaînant les unes aux autres, contribuent à le retarder. Le mélange des sources d’inspiration contribue également à cette impression de désordre : alors qu’un esprit de croisade imprègne l’épisode de Chypre, le merveilleux fait irruption sous la forme de créatures monstrueuses. L’arrivée d’un pèlerin, apportant des nouvelles de Tolède, relance l’action282 : Lion fait voile vers l’Espagne, mais de nouvelles aventures vont encore le détourner de son but. Au port de Magloire283, où les navires font escale, il doit affronter un géant « de moult laide faisson » qui retient prisonnière la comtesse d’Eu. Nouveau combat contre les forces du mal, contre la démesure, nouvelle victoire, nouveau départ… Inlassablement, l’histoire se répète : Lion apprend qu’un tournoi se tient à Tolède pour célébrer les noces de Florie, fille de l’émir, avec le magicien Gombaut de Cologne284 ; une nouvelle fois, il ne peut résister à l’attrait du tournoi. Ce tournoi a d’autant plus d’importance qu’il modifie la destinée du héros, en faisant naître, entre le magicien et lui‑même285, une haine implacable dont Herpin sera la victime. La vengeance de Lion sera en fait le moyen de sa réconciliation avec Charlemagne, mais pendant l’expédition en Lombardie pour délivrer Honnorée, le royaume de Sicile retombe aux mains du traître Garnier… Ce récit un peu long – duquel nous avons cependant exclu le détour de Lion entre le château de Hault-Lieu et Bourges où il désire faire valoir ses droits (un détour assez important : Magloire, Chypre, Coblence, la forêt des Ardennes où Lion rencontre Auberon, qui le retient six ans dans son château enchanté) – sert à souligner les difficultés du protagoniste à parvenir à la réalisation de son idéal d’ordre et de justice.

Ces quelques aventures mettent en évidence que la destinée chevaleresque ne saurait se résumer à vaincre le mal. La réunification de la famille et la récupération du fief influent sur son parcours, car ces deux facteurs, indissociables, constituent à ses yeux une priorité, comme en témoigne un choix de Lion : la possibilité de venger le meurtre perpétré par Gombert et la promesse de récupérer la terre de son père, offertes toutes deux dans la paix proposée par Charlemagne286, le poussent à accéder à la demande d’aide émanant de ce dernier, car ce désir coïncide précisément avec la destinée qu’il s’est fixée. Mais, après avoir obtenu de Charlemagne sa reconnaissance en qualité d’héritier légitime du fief de Bourges, Lion refuse de réintégrer un ordre dans lequel il ne peut plus placer sa confiance, malgré les promesses de l’empereur287. Ce refus, motivé par le désir de rétablir l’ordre dans son royaume de Sicile tombé aux mains du traître Garnier de Calabre, traduit aussi son désengagement à l’égard du pouvoir royal. La tentative de réparation de l’injustice ne permet pas de sceller à nouveau l’alliance traditionnelle de la vassalité.

Il faut également retenir un autre élément propre à l’épopée tardive : ces aventures ont majoritairement lieu en terres lointaines, le plus fréquemment autour de la Méditerranée, et s’enchaînent les unes aux autres en éloignant sans cesse les héros des lieux où doivent s’accomplir la réunification de la famille et la reconquête du fief. Cette errance concerne la plupart des personnages de l’œuvre, y compris les héroïnes, mais elle ne conserve pas une signification uniforme dans l’œuvre. Pour Alis, Florantine et Joïeuse, elle est une échappatoire ; les héroïnes persécutées de la chanson de geste tardive sont condamnées à l’exil, au déguisement pour éviter un danger émanant soit d’un entourage extérieur à la famille, soit de personnes très proches. L’exil et l’errance de Joïeuse reproduisent le scénario du conte populaire de la Fille aux mains coupées, – un scénario qui devient thème principal dans La Belle Hélène de Constantinople 288. Le « douloureux itinéraire » des héroïnes constitue une fuite, dont le terme, dans Lion de Bourges, coïncide avec la réunification de la famille. Une autre signification se dégage de l’errance de Lion et d'Olivier, car celle‑ci, étant liée à la quête des origines, devient un itinéraire initiatique, dont la durée représente le temps nécessaire aux héros pour parvenir à la compréhension de leurs engagements. L’essentiel n’est pas d’accomplir sans cesse des actes héroïques pour les autres. La répétition (souvent vaine) est en réalité une leçon, au terme de laquelle le sens de la destinée peut se révéler.

Cependant, cette répétition constante de la lutte du bien contre les forces du mal ne constitue pas une démarche novatrice dans la poésie. Cela existe dans la conception même du genre épique, qui reprend, d’une chanson à l’autre, l’œuvre laissée inachevée. « L’inachèvement de la chanson de geste », souligne J.‑C. Vallecalle, « tient d’abord à son contenu, et à une conception particulière du rapport entre l’œuvre et sa signification. Histoire d’un conflit où s’opposent les chrétiens et les Sarrasins, les héros et les traîtres, le poème épique illustre, dans chacun de ses épisodes, une étape de la lutte incessante entre le bien et le mal »289. Lorsque se clôt une chanson, un ou plusieurs vers annoncent implicitement une suite. Par exemple, dans la Chanson de Roland, alors que le châtiment des traîtres est accompli et que l’ordre est rétabli, l’ange Gabriel demande à Charlemagne de poursuivre sa lutte pour la défense de la chrétienté en d’autres lieux290, – ce qui sous‑entend que la lecture de l’immense geste des chrétiens doit se faire d’une chanson à l’autre. D’autres textes envisagent une « suite » plus explicite. Ainsi, l’avant‑dernière laisse de Tristan de Nanteuil laisse‑t‑elle entendre que la chanson de Lion de Bourges va donner une suite à une situation qui reste quelque peu ambiguë. Garcion, qui vient d’être baptisé par saint Gilles sous le nom chrétien de Greveçon, accorde imprudemment l’indulgence à Guintelin (Guitequin de Trémoingne)291. Or, ce personnage réapparaît dans Lion de Bourges pour aider Gombaut de Cologne et nuire à Charlemagne. Il sera tué par Lion, ainsi que l’annonce le poète de Tristan de Nanteuil. De même, l’organisation des traîtres en lignage, comme le rappelle J.‑Cl. Vallecalle, instaure une permanence du mal292. Le meurtre de Clariant de Hautefeuille, par Herpin de Bourges, n'en détruit pas les racines ; bien au contraire, Charlemagne confie le fief de Bourges à Fouqueret de Hautefeuille. Et que penser des multiples exploits accomplis par Olivier en Terre Sainte ? On se souvient que le roi de Chypre, converti à la religion chrétienne, avait obtenu, grâce à l’aide d’Olivier, la pacification des Lieux Saints. À peine, cet exploit était‑il achevé, que le jeune héros devait affronter un monstre marin, qui n’était autre que le diable issu du corps du nain Otinel, tué auparavant par Olivier devant Ascalon, et réincarné dans un poisson293.

L’action du héros au service des autres n’apporte donc pas de stabilité, dans un monde désorganisé par la naissance perpétuelle de nouveaux conflits. Même si le chevalier est reconnu comme « sauveur » d’une ville assiégée, la précarité de l’ordre rétabli revient à dresser un constat d’absurdité. L’enchaînement – quelquefois fastidieux – des épisodes composant la chanson de Lion de Bourges dénonce l'inefficacité de l’acte héroïque. La mort de Herpin illustre parfaitement cette conception : après avoir accompli deux exploits en faveur de la chrétienté et mis sa vie au service de la foi, une mort sans gloire lui est réservée. Dieu n’envoie pas l’ange Gabriel. Ce qui ne veut pas signifier que Dieu est totalement absent, puisqu’il apporte son aide, par ses intermédiaires (le Blanc Chevalier ou les saints armés), mais sa sollicitude ne se concentre plus sur le devenir de la Chrétienté ; elle concerne l’individu. Nombreuses sont les occurrences où le Blanc Chevalier intervient aux côtés des protagonistes, soit pour leur apporter des conseils ou une aide purement guerrière, soit pour panser leurs blessures après un combat. Et cette aide providentielle est bien le fruit de la reconnaissance de Dieu :

‘« Lion, biaulz doulz compain, je ferait retornee ;
A Jhesu te commant qui fist cielz et rosee ;
Soiez tousjour loialz, san villainne pancee,
Car tant que loialteit serait en toy prouvee
Ne te faulrai ge jai, car Jhesu s’i agree
Qui vuelt que li loialz aient bonne soldee. » (v. 17144‑149)’

La présence des intermédiaires de Dieu dans le poème donne un sens chrétien à l’action des héros ; cependant, à la mort de ceux‑ci – qu’il s’agisse de Herpin ou d’Olivier – Dieu ne les reçoit pas dans la glorification suprême. Olivier est tué lâchement « per celi a qui fist tel honnour a foison »294 ; Lion disparaît en Féerie. Ces morts sans gloire mettent un terme définitif à une destinée individuelle, qui ne s’inscrit pas dans le long discours épique de la lutte du bien contre le mal. Alors que l’on s’accorde à discerner dans la mort de Roland, modèle épique traditionnel, une notion de dépassement de l’existence individuelle, tendant à transformer cette mort, aux yeux de l’humanité, en une sollicitation à poursuivre le déroulement de l’histoire295, la fin abrupte des héros de Lion de Bourges n’ouvre aucune fenêtre. Malgré les preuves évidentes de l’attention que Dieu porte à leurs actions en faveur de la chrétienté, son absence, au moment de la mort, suggère que l’essentiel de la destinée héroïque ne réside pas dans le sacrifice.

La multiplication des engagements guerriers et l’état d’inachèvement de certains d’entre eux montrent que différents facteurs sont susceptibles d’influer sur l’idéologie chevaleresque. En premier lieu, l’absence d’une grande cause collective au service de la chrétienté – qui se trouve remplacée par « l’expédition du roi amoureux » – se traduit par l’impossibilité de reconstituer l’alliance traditionnelle empereur-vassal. Le poète constate cette carence et en dénonce les effets négatifs : Le schéma traditionnel, dans lequel l’action héroïque a pour effet de rétablir l’ordre, dans un univers aux contours précis, n’est plus valable. Il ne peut s’appliquer ni à Herpin, ni à Lion ou Olivier. À ces premières raisons, s’ajoutent les conséquences du bannissement et de la dispersion de la famille : ce sont des personnages isolés, qui doivent effectuer individuellement leurs choix. Etroitement imbriqués, ces deux thèmes offrent une structure complète dans laquelle s’inscrit la destinée des trois protagonistes de l’œuvre. Ainsi, le personnage de Herpin partage pleinement avec Lion les conséquences du bannissement, dont le retentissement s’étend à Olivier et Guillaume. Lion partage avec Olivier le thème de la recherche des origines ; la reproduction d’un schéma quasi-identique sur deux générations marque l’importance de cette thématique. L’action simultanée de ces différents facteurs aboutit à définir une conception de l’engagement héroïque qui révèle des écarts sensibles entre les modèles proposés par la tradition épique et la vision que l’auteur propose dans son œuvre.

L’impression de désordre et d’inachèvement générée par les différents parcours dépeints dans Lion de Bourges peut se lire comme le constat d’une impossibilité à faire revivre des valeurs dépassées. Lorsque l’auteur a écrit : « Ici endroit deffine l’istoire de Lion »296, nous serions tentée de lire que c’est l’histoire d’une société qui se referme sur elle‑même. Privée de la dimension que lui conférait l’espérance d’une mort glorieuse, la destinée du héros laisserait facilement transparaître une sensation de vide, si l’œuvre n’invitait pas à lui donner une nouvelle mesure.

Notes
253.

Cf. v. 28272 sq.

254.

Cf. v. 17025-17165.

255.

Cf. v. 3043-3205.

256.

Cf. v. 3295-3572. À Tolède, les prisonniers chrétiens sont gardés en vie, sur le conseil de Florie, fille de l’émir. Celle‑ci rappelle à son père l’exploit héroïque accompli par la duchesse Alis et envisage d’utiliser les chevaliers chrétiens, en vue d’une très probable guerre contre Marsilie, « car ons est en baitaille de tez gens bien servir ».

257.

The Old French Crusade Cycle, vol. V, éd. G.M. Myers, The University of Alabama Press, Tuscaloosa and London, 1980.

258.

Edition N.R. Thorp, The Old French Crusade Cycle, vol. VI, The University of Alabama Press, Tuscaloosa and London, 1992.

259.

Croisades et pèlerinages, (…), op. cit., p. 171-177. Cf. également p. vii : pour expliquer cet amalgame, l’auteur compare Jérusalem au « fief » de Jésus, « qu’il convient de restituer au seigneur auquel il appartient – qui est précisément le Seigneur ».

260.

Cf. v. 3206-3291. Les honneurs que le pape réserve à Herpin attisent la jalousie de Gaudiffer de Savoie, sénéchal des Romains. Il faut également évoquer la présence, dans cet épisode, d’un élément merveilleux, qui double en quelque sorte la protection accordée : le pape remet à Herpin un anneau d’or orné d’un saphir d’Orient, doté de pouvoirs magiques – un anneau que Gaudiffer prend soin de dérober à Herpin avant de vendre ce dernier.

261.

Cf. D. Boutet, Charlemagne et Arthur ou le roi imaginaire, Paris, Champion, 1992, chapitre III : « Le roi et société féodale » (p. 117 sq.)

262.

W.W. Kibler, « La chanson d’aventures », Essor et Fortune de la chanson de geste dans l’Europe et l’Orient latin. Actes du IX e  Congrès International de la Société Rencesvals (1982), Modène, Mucchi Editore, 1984, 2 tomes, p. 509‑515. Dans cette communication, l’auteur avait exprimé son désir de classer les chansons tardives dans « un genre à part, que l’on pourrait appeler les chansons d’aventure ». (cf. p. 510).

263.

Cf. v. 24985 sq. Olivier est devenu un vassal du roi Anseïs de Carthage. Il faut se souvenir qu’auparavant la capture de deux rois sarrasins (Adrascus et Longis, cousins de Nabugor) lui avait valu d’être adoubé, de recevoir une terre qui rapporte cent livres parisis et quatre chevaux (v. 24979‑984). Les paroles du roi Anseïs vont en ce sens : « Ollivier, je me fis en voustre vassellaige » (v. 25009).

264.

Cf. v. 22833‑836 :

Lion ait demandér moult hault en son langaige

La premiere baitaille, qu’il en ait l’avantaige.

Charles li otroait, dis mil homme li charge

Avuec ciaulz qu’amenait de son droit hiretaige, (…)

265.

Dans le cas de Lion, il faut effectivement bien distinguer l’action pour soi, c’est-à-dire la vengeance par le sang dans un combat individuel l’opposant à Gombaut de Cologne, et l’action pour les autres représentée par la bataille livrée toutes armées réunies contre Guitequin de Trémoigne.

266.

Ogier délivre le message de la paix, dont l’essentiel comprend le pardon, la restitution du fief (et la reconnaissance de l’hérédité de celui-ci : « de li la [cité de Bourges] tanrez et vous et voustre anffan »), ainsi que la demande d’auxilium. Cf. v. 22118-135.

267.

Cf. également v. 22137-140 :

[Lion] dit : « Biaulz sire Dieu, je vous voi graiciant !

Quant j’arait a Charle paix, le noble combaitant,

Or m’en yrait veyr en Sezille la grant

Florantine la belle que je doie amer tant. »

268.

Cf. v. 22231-259.

269.

Cf. v. 22194-197 :

Dont ait dou riche roy sa terre relevee ;

Hommaige li ait fait devant la gens louee.

Ens ou vis le baisait ; la fuit la paix confermee

De Lion et de Charle qui tant orent renommee, (…)

270.

Cf., pour le second récit de Ganor, les vers 22280 à 22297.

271.

Il faut également retenir un petit détail significatif : il s'agit de la remarque que Basin adresse à Charlemagne, faisant valoir à ce dernier que s'il n'avait pas fait la paix avec Lion, jamais il n'aurait pu vaincre Gombaut (cf. v. 22385-393).

272.

Cf. v. 22318-320 :

« Maix pués que en couvant l’a a Charle le barber,

C’est droit que je li aide, car je l’a en pancer ;

Si vangerait mon perre, dont Dieu ait pitiet ! »

273.

Cf. J. Ribard, « La Chanson de Roland et La Quête du saint Graal », Essor et Fortune de la chanson de geste dans l'Europe et l'Orient latin, Actes du IX e Congrès International de la Société Rencesvals, Modène, Mucchi Editore, 1984, t. II, p. 553-563 (p. 553-554).

274.

Cf. v. 25210-212 :

« Sire, dit Ollivier, vous parlez saigement.

Je conduirait vous ost per vous commandement.

– Voire, s’ai dit li rois, je lou vuel ansement. »

275.

F. Suard, « L’Épopée française tardive (XIVe-XVe s.) », dans É tudes de Philologie Romane et d’Histoire Littéraire offertes à J. Horrent, éd. par J.‑M. d’Heur et N. Cherubini, Liège, 1980, p. 449-460, repris dans Chanson de geste et tradition épique en France au Moyen Âge, Caen, Paradigme, 1994, p. 243-254. Cf. également note n° 55, p. 252 : « Ce texte [la chanson de Roland] exerce souvent, (…), le rôle tyrannique du modèle unique ».

276.

Un petit exemple inséré dans le poème témoigne de ce fait. Au moment d’affronter le monstre marin qui ravage les navires chrétiens, Olivier prononce un serment :

« Signour, dit Ollivier, or ait fait serement

A tous lez sains de parraidis trestout premierement,

Et a la mere Dieu je lou voe ensement,

Que jamaix a nulz jour n’arait arestement

Tant que j’averait fait mon cuer et mon tallant

De celle malle beste qui destrut nostre gens. » (v. 28315-320)

Ce même type d’engagement appartenait à Vivien, dans la Chanson de Guillaume ; cf. v. 291‑293, éd. F. Suard, Paris, Bordas, 1991 :

« Jo me rendrai al dolerus peril,

N’en turnerai, car a Deu l’ai pramis

Que ja ne fuierai pur poür de morir. »

277.

Cf. v. 14582-586.

278.

Florantine, qui est enceinte, essaie de retenir Lion :

« Damme, s’ai dit Lion, per le corpz saint Omer,

Tost sarait le certain, il n’en fault point doubter,

Car en telz lieu yrait ains c’un moix puist passer

Dont j’orait nouvelle dire et recorder.

Et se je ne pués, amie, en ceu lieu ariver,

Et jeu oie chose qui ne puist prouffiter,

Tantost san plux atandre me vorait retorner.

Maix pour Dieu je vous prie, ne vous vuelliez yrer,

Car il me covient, damme, le mien veu acquiter. » (v. 14607-615)

279.

A Rome, lors du duel qui l’a opposé à Gaudiffer de Savoie, Lion a appris que ce dernier avait vendu Herpin à des marchands en escale à Brindisi et se dirigeant vers Chypre (cf. v. 14402 à 14411).

280.

Le trajet suivi par Lion est très étendu. Cf. v. 16423-434 :

Il ot estéit en mer et dever Gallilee,

Et en Constantinoble et per deden Judee,

Eroppe et toute Aufricque ot li anffe trepressee,

Et l’ile de de Malas et Quarquoe la lee,

Et en Jherusalem la citeit honnoree

(…)

Rochebruns paissait, une citeit doubtee,

Et toute Salorie passait per l’antree,

Et deden Babillonne une citeit fermee ;

La vit la tour Aubel que hault fuit massonnee.

281.

L’épisode de Rhodes est caractérisé par un combat acharné contre une créature du diable, le géant Mallabron. Comme Gombaut, ce géant sait qu’il ne peut mourir que de la main de Lion (cf. v. 16564‑569). La jeune fille (Margalie) prisonnière du géant est libérée. Selon son vœu, elle reçoit le baptême chrétien et prend le nom d’Alis. Elle devient l’épouse de Ganor.

282.

Après la conversion de l’île de Chypre, le roi souhaite accompagner Lion, mais les recherches de ce dernier semblent être dans une impasse, puisque le roi ignore où les prisonniers chrétiens ont été envoyés. Le récit du pèlerin apporte de précieux renseignements sur les retrouvailles du duc et de la duchesse de Bourges à Tolède (cf. v. 19136-184).

283.

Cf. à partir du vers 19229. L’épisode de Magloire se clôt par le départ de Lion et de Ganor pour Tolède (v. 19678), tandis que Herpin de Chypre préfère rester à Magloire, de peur que sa récente conversion à la foi chrétienne ne lui attire l’inimitié du roi de Tolède : « li roy de Tollette est de ma lignie ; / Pour ceu que j’ai sa foid faulcee et renoye / Me metteroit a mort… » (v. 19663-665).

284.

Cf. v. 19587-598.

285.

Au cours du tournoi, Lion joute contre son père sans le reconnaître, puis blesse Gombaut à la cuisse. Gombaut jure qu’il se vengera (cf. v. 20145-147). Ici, l’auteur ajoute une anticipation sur la suite du récit : le diable révèle à Gombaut qu’il mourra de la main de Lion (cf. v. 20155-159).

286.

Le message de paix est délivré par Ogier :

« (…) li roy Charlemenne vous vait per moi mandant

Que il vous pardonrait trestout son maltallant,

Et si vous randerait dez or maix en avant

La grant citeit de Bourge et la terre assiment ;

Mais de li la tanrez et vous et voustre anffan,

Et li vanrés aidier a l’espee tranchant

A destrure Gombert, li glouton puant,

Qui tant ait fait de mal en France la devant. » (v. 22124-131)

287.

Cf. v. 23092‑103.

288.

Cf. C. Roussel, « Berthe, Florence, Hélène : trois variations épiques sur le thème de l’épouse persécutée », dans L’Épopée tardive. Études réunies et présentées par F. Suard,Paris –Nanterre, Centre des Sciences de la Littérature, Université Paris X – Nanterre, 1998, p. 39-60.

289.

J.‑C. Vallecalle, « Ci falt la geste…, réflexions sur l’inachèvement de quelques chansons de geste », L’ Œuvre inachevée, Lyon, C.E.D.I.C., 1999, p. 11‑20. (p. 16)

290.

La Chanson de Roland, éd. cit., v. 3988-3998.

291.

Tristan de Nanteuil, éd. K.V. Sinclair, Assen, Van Gorcum, 1971. Cf. v. 23260 sq. Le poème se clôt sur la vengeance de Greveçon, qui tue Clariant de Nubie, mais épargne Guintelin. Les vers 23301 à 23306 annoncent très clairement ce qui sera développé dans Lion de Bourges :

Las ! pour quoy ne l’occïent ly nobille baron ?

Car puis fist tant de mal l’empereeur Charlon

Entre lui et Gombault le traïstre larron,

Que Charles en souffry mainte perdicïon ;

Mais puis en fut vengés par le bon duc Lÿon

Qui fut sires de Bourges, la cité de renon.

292.

Cf. J.‑C. Vallecalle, « Ci falt la geste », (…), art cit..

293.

Cf. v. 27025-212, et principalement les onze derniers vers de la laisse DXIV, dans lesquels le poète explique que ce poisson, dans lequel le diable s’est réfugié, cause la mort des milliers de chrétiens se dirigeant vers Jérusalem.

294.

Vers 34293.

295.

C’est ce que suggère J.‑C. Vallecalle : « La mort de Roland, celle de Vivien ne marquent pas un dénouement mais une origine et un appel. Souvent, une destinée épique dépasse la mesure d’une existence individuelle : elle en dépasse aussi la finitude et la durée ». (Cf. art. cit., p. 19)

296.

Vers 34296.