Conclusion du chapitre premier

Implicitement, le poème dresse un constat d’échec. Alors que l’individu recherche, dans ses relations lignagères, un appui, il découvre que celles-ci ne possèdent pas tous les pouvoirs espérés et peuvent laisser naître de nouveaux dangers. Selon une évolution constante dans l’œuvre, l’action héroïque, tributaire d’une exigence de perfection, s’inscrit dans une dimension de plus en plus restreinte. Cette situation aboutit à transformer la volonté initiale du protagoniste en un désir d’engagement absolu pour la revendication de ses droits et la réunification de la famille. On peut noter, par ailleurs, que le personnage du héros dans Lion de Bourges se trouve fortement caractérisé par cette exigence, qui le démarque des autres acteurs de l’intrigue : figures emblématiques de la littérature épique, Ogier et Naimes, malgré leur réticence à combattre un « cousin », finissent par se plier aux ordres de l’empereur, tandis que Lion reste inflexible.

Si l’on ne peut contester la pondération apportée par Naimes et Ogier dans la résolution du conflit entre Charlemagne et Lion, on ne peut néanmoins oublier que celle-ci est le fruit de l’intervention divine : c’est un ange qui recommande à l’empereur de conclure la paix avec son vassal. Cette issue s’inscrit dans la tonalité majeure de l’œuvre, visant à situer l’autorité du pouvoir royal sous celle du Tout-Puissant, et l’accomplissement de toute destinée terrestre dans la main de Dieu. Ce ne sont que les premiers jalons d’une idéologie qui imprègne la totalité de l’œuvre. Encore faut-il, pour que l’homme puisse accepter sa position dans l’ordre du monde, qu’il parcoure un long chemin. Mais, avant qu’il ne parvienne au terme de son parcours initiatique, il doit connaître une lente maturation. C’est ainsi que la prise de conscience qui s’opère alors chez le héros – principalement Lion – doit encore, à ce stade, se comprendre en termes d’accomplissement d’une destinée terrestre, incluant notamment la réunification de la famille et la restauration de l’ordre. Le fait de constater que l’action des relations lignagères, trop prisonnières du système féodo-vassalique, ne saurait dépasser les limites d’un univers clos – l’univers épique marqué par la figure impériale – conduit le chevalier à chercher, dans un entourage plus restreint sa protection, mais aussi une réponse à son désir d’engagement. Déjà, les engagements guerriers des protagonistes au service de la chrétienté, principalement dans les royaumes du Proche Orient, traduisaient un désengagement à l’égard du vieil idéal épique. Cela laisse entrevoir qu’une nouvelle conception de l’homme est à l’œuvre dans Lion de Bourges, reposant à la fois sur une liberté de choix et une tendance à l’individualisation du personnage.