b) – La perte du statut social

C’est ainsi que certaines atteintes à la famille peuvent présenter un point d’attache avec la perte des biens et entraîner celle du statut social ; celle-ci peut être provisoire – comme le montre l’exemple de Florantine – ou définitive : c’est le cas de Herpin et Alis, dont le bannissement représente un exemple précis de ce type d’enchaînement. Cette thématique reçoit un développement considérable dans Lion de Bourges, car l’auteur la met en corrélation avec celle de la perte de l’identité. La conception même du personnage héroïque dans l’œuvre (qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme) explique que l’on puisse observer dans certains cas cette évolution.

L’épouse de Lion, Florantine, incarne une image de la femme menacée par la fragilité que lui confère son statut – un statut qui, a priori, devrait plutôt lui assurer la protection, puisqu’elle est princesse héritière du royaume de Sicile. Or, dans le sentiment amoureux de Lion, filtre l’attrait de la couronne547. Certes, il sent son « cuer poindre et lancier »548 en pensant à la belle Florantine, mais toutes ces belles déclarations s’accompagnent toujours du désir de participer au tournoi de Monlusant pour remporter le prix. Valeurs indissociables pour le héros dans les premiers pas de son parcours initiatique, l’amour de la princesse inconnue et la recherche de la gloire figent Florantine dans un statut d’objet de conquête. Elle devient en quelque sorte l’instrument de la réalisation du premier acte héroïque. Cette conception de la femme est un motif courant dans l’épopée, et ne constitue pas un fait particulier, au même titre que l’image qu’en donnent les rivalités entre lignages. Dans ce cas également, Florantine représente un moyen de s’approprier la terre. Victime du désir sexuel de Garnier de Calabre, elle est enlevée, puis séquestrée. Sous le couvert d’une passion dévorante, Garnier offre à Florantine de devenir duchesse de Calabre et s’octroie, en anticipant la mort du roi Henry, le royaume de Sicile549. La possession de la femme entre donc en rapport étroit avec celle de la terre, ce qui revient à la maintenir dans une situation ambiguë : forte, par l’enjeu qu’elle représente, faible parce qu’elle n’a aucune défense. Cette ambiguïté crée une nouvelle fragilité atteignant la famille, puis l’individu : en effet, la femme assume en ce domaine une certaine part d’espoir, de potentiel. La posséder, c’est assurer la pérennité d’un lignage au détriment du lignage rival. Et pour cela, il faut l’épouser de gré ou de force. L’entêtement d’un personnage tel que Garnier de Calabre participe d’une représentation des pratiques matrimoniales encore en vigueur dans la société aristocratique médiévale : le mariage est indissociable, dans la mentalité de cette classe, de la transmission du patrimoine ; il est le moyen par lequel « les sociétés humaines tentent de se perpétuer dans le maintien de leurs structures, en fonction d’un système symbolique que ces sociétés se font de leur propre perfection »550. La princesse héritière du royaume de Sicile représente ainsi l’épouse parfaite551, à la fois par le potentiel d’extension du royaume qu’elle offre et par la qualité de son sang. Ce type de conviction, appartenant au duc de Calabre, engendre, par enchaînement, une menace certaine sur le statut de l’héroïne, car il se trouve à l’origine d’une guerre désastreuse. Les victoires remportées par les Calabrais, en l’absence de Lion, contraignent Florantine à abandonner Monlusant, sans destination précise au départ, puis à se réfugier chez un riche bourgeois païen à Palerme552. Sur les seize années passées à Palerme, le récit apporte peu d’éléments, mais il est intéressant de noter que l’héroïne, ainsi que Bauduyn et Marie doivent cacher pendant toute cette période leur identité réelle et leur foi chrétienne553. Paradoxalement, l’imminence de l’invasion des troupes chrétiennes (mais Florantine ignore que celles‑ci sont conduites par Lion) fait naître de nouveaux dangers consécutifs à la dissimulation des identités. Le thème de l’inceste affleure à nouveau : dans leur fuite vers le camp chrétien, Florantine et Marie sont confondues avec des païennes, dont Olivier et Girart pensent bien s’octroyer la possession, car il s’agit bien de cela :

‘« Tant vous voy belle damme et plus blanche que fee,
Dous viaire riant, vermelle et colloree,
Que a neut serait m’amour a vous demoustree.
Je vous ferait mener en ma tante doree ;
La vous ferait servir ensi que m’espousee,
Car vous me servirez, se Dieu plait, l’avespreee ! » (v. 26595-600)554

La femme, momentanément dépourvue de statut et de pouvoir sur sa destinée555, est objet de convoitise. La guerre entre lignages exerce une menace sur l’individu, en le contraignant à modifier son identité sociale et religieuse, mais l’exemple de Florantine (ainsi que ceux de Bauduyn de Monclin et de Marie) illustre le fait que ce type d’atteinte peut être annulé par la réunification de la famille et la reconnaissance des membres556.

Plus significative encore est la dégradation du statut social dans le cas typique de Herpin, personnage fortement marqué par l’empreinte des relations féodo-vassaliques. On se souvient que les événements rapportés se déroulent immédiatement après la rupture du lien vassalique, c’est-à-dire d’un lien très puissant dans la mentalité médiévale, puisque celui-ci était censé constituer une parenté spirituelle, au même titre que la parenté baptismale557. Déjà, dans la mise en place de l’intrigue, il s’ébauche une corrélation, au niveau idéologique, entre la rupture d’une relation de type paternel558, supposée assurer la protection, et les autres ruptures qui vont intervenir dans la suite du récit, sous quelque forme que ce soit. La première conséquence pour le duc Herpin se caractérise par la perte de son statut aristocratique, ainsi que cela est exprimé dès les premiers instants de l’errance en forêt de Lombardie :

‘« Je solloie estre duc de Berry per dela
Or n’ait or ne argens, mez corpz huy ne menga
S’ai ma femme perdue que pour mon corpz laissa
Honnour et cortoisie, per ceu que tant m’amait. » (v. 464-467).’

Dès cet instant, le déroulement de la destinée du duc Herpin va s’inscrire dans un ordre régressif, et cela montre que le fait de perdre sa place dans l’ordre féodal fragilise ce type de personnage. À l’opposé de héros tels que Lion et Olivier, qui abordent le monde de la chevalerie dépossédés de tout statut en adéquation avec cette classe, Herpin bénéficie – au début de la chanson – d’une position sociale définie : par son appartenance à l’aristocratie et par sa qualité de détenteur d’un fief. On peut également se souvenir de son passé littéraire (notamment dans les Chétifs 559), qui fait du duc de Berry, un personnage caractérisé dans la tradition épique. C’est donc un processus inverse qui est mis en œuvre ici pour témoigner de l’incidence de la dégradation du statut social sur l’individu.

En imposant comme seule issue possible l’exil hors du royaume de France, le bannissement fait peser une réelle menace sur le lignage – car cela place la cellule familiale dans une situation périlleuse – et sur l’individu même par la suite. Il n’est pas anodin que l’enlèvement de la mère et l’abandon de l’enfant se déroulent dans la forêt, lieu hostile560, vide de toute société humaine, dont le caractère terrifiant est renforcé par l’évocation du diable (ung grant diable passait561) et celle de bêtes sauvages562. Il s’opère, chez le personnage de Herpin, une sorte de retour à un état primitif, qui n’est pas sans rappeler quelque réminiscence d’une inspiration romanesque. Il ne marche plus : il « rampe ». La connotation négative de la forêt contribue à mettre en évidence sa déchéance. Mais, dans cette mise en scène de l’exil, on peut également voir, comme le fait Alban Georges à propos de Blanchandine dans Tristan de Nanteuil, un cliché littéraire visant à imiter la passion du Christ563. Cela peut se vérifier par l’évolution donnée aux seigneurs de Bourges dans la suite du poème. Herpin se retire dans un ermitage564 pour se consacrer à la prière, parce qu’il croit que sa femme et son fils sont morts ; il porte en lui le sentiment d’une certaine culpabilité à l’égard de son épouse Alis. Son vœu participe d’un désir de purification et de rachat d’un péché qu’il estime avoir commis :

‘« Pour my a desconnoistre je changerait m’abie,
G’irait deden ung boix panre herbergerie ;
Hermite devenrait demenant sainte vie;
Pour celle prierait que pour moy est honnie.
M’arme volrait salver, c’est ma payne ploye » (v. 834-838)’

La retraite dans un lieu clos peut se comprendre comme une tentative visant à s’approcher d’un état de quasi sainteté – c’est d’ailleurs ce qui est clairement exprimé : « Hermite devenrait demenant sainte vie »565. Culpabilité, repentir : ce sont les sentiments que J.-C. Payen recherchait dans le Moniage Guillaume : « la retraite du héros est une manière de remettre en question son existence passée ; elle pourrait laisser supposer qu’à ses yeux cette existence n’était pas aussi parfaite qu’elle aurait dû l’être : il devrait se rencontrer dans ces textes quelque chose qui ressemble à du repentir566 ». C’est pour racheter le péché qu’il s'attribue que le duc Herpin prononce ce vœu. « Pour my a desconnoistre, je changerait m’abie »567 déclare-t-il, et ce vœu s’accompagne d’un désir de privation, d’une profonde modification de son mode de vie568 aboutissant au repli sur soi. Il ne perd pas son identité, il la masque parce que celle-ci n’est plus en adéquation avec sa position dans l’ordre socio-politique.

En effet, malgré le bref réconfort apporté par les paroles du prieur569 avec lequel il partage sa retraite dans un ermitage, les confrontations successives de Herpin avec la société convergent pour aboutir à un état de plus en plus précaire, dont le fait le plus marquant est qu’il puisse être vendu comme un esclave sur le port de Brindisi. À partir de ce moment, le duc Herpin ne possède plus aucun statut social : il est un prisonnier chrétien susceptible d’être torturé ou échangé ; il est devenu, entre les mains des émirs sarrasins, une simple valeur d’échange parmi cinq cent mille autres prisonniers chrétiens570. Ses divers engagements héroïques, évoqués précédemment, ne parviendront jamais à lui restituer son statut initial. Dans le contexte de l’exil hors du royaume de France, la retraite en ermitage et l’adoption d’un mode de vie ascétique sont aussi la marque du renoncement à une existence caractérisée par certaines pratiques. En effet, le bannissement ampute Herpin de sa vocation première ; il n’est plus un chevalier inclus dans l’ordre féodal, il est devenu un chevalier inutile à la société et le fait de se retirer du siècle participe de cette conception.

On peut remarquer que ce besoin de se masquer réapparaît dans des situations précises – lorsque le personnage se trouve confronté à un univers guerrier – mais ne revêt pas la même valeur selon les circonstances. Dans son bref engagement au service du pape, le refus de décliner son identité se comprend comme une ultime volonté de se fondre dans une collectivité au service de Dieu : « Je sus chevalier Dieu et d’un pays loingtain », répond-il à Gaudiffer de Savoie571, ce qui s’accorde parfaitement avec la situation dans laquelle il se trouve à ce moment de son parcours héroïque et avec l’orientation religieuse dominant sa vie. Mais la seconde occurrence où ce refus se réitère se prête à une autre interprétation : dans la prison de Chypre où il vient d’arriver, les chrétiens évoquent les noms de Roland et d’Olivier : « L’un parrloit de Rollant et l’autre d’Ollivier ». Il y a, dans cet univers clos de la geôle, reconstitution d’un contexte guerrier avec rappel du monde féodal, et, à nouveau Herpin tait son identité : « Herpin cellait son nom comme a desraignier »572. On peut lire dans ce refus l’expression du désarroi dans lequel se trouve le personnage : il vient d’être vendu comme une simple marchandise ; privé de sa liberté, il est devenu une valeur d’échange. Il n’a donc plus d’existence réelle en tant que membre d’une société. L’incidence de la perte du statut social sur ce type de héros aboutit à faire de lui un personnage qui refuse de se définir – parce que, précisément, il ne pouvait se définir que par ce statut, en tant que chevalier. Cela est démontré par l’étroite corrélation que le poète établit entre le bannissement prononcé par un pouvoir royal abusif et la dégradation progressive des caractéristiques propres à ce type de personnage dans un cadre défini par la norme épique.

Et cela appelle une autre remarque : cette société féodale caractérisée par l’engagement collectif n’existe plus dans Lion de Bourges. Elle appartient au passé. Le trouvère montre un autre héroïsme qui ne se réalise pas nécessairement dans une collectivité, mais qui se comprend comme un engagement individuel en faveur de la famille. À cet égard, le rappel des noms de Roland et d’Olivier n’est pas fortuit : dans le mutisme de Herpin, il y a aussi la marque discrète d’une désaffection du XIVe siècle pour un type d’héroïsme exclusivement représenté par des personnages supérieurs à l’humanité ordinaire. C’est ainsi que le parcours de ce personnage participe d’une conception à l’œuvre dans l’ensemble du poème, qui veut témoigner d’un héroïsme aux dimensions de l’homme573. Le duc de Bourges représente un nouveau type de chevalier que des chansons du XIIIe siècle, telles que Huon de Bordeaux 574 ou Le Siège de Barbastre, ont commencé à le concevoir : « plus complet et par conséquent plus humain »575.

La mise en relation avec la thématique centrale du poème invite à entreprendre une autre réflexion : le repli sur soi n’a-t-il pas aussi valeur d’abandon et ne devient-il pas l’antithèse de la défense du lignage ? La brutale dispersion familiale crée une rupture dans le déroulement de la destinée de Herpin. On peut noter qu’il n’entame aucune action réelle pour retrouver sa famille (il questionne les personnes rencontrées, se dirige vers Florence, demande l’aumône, puis décide de se retirer en ermitage). Après la mort de l’abbé avec qui il partage sa retraite, il décide de se diriger vers Rome pour se mettre au service du Pape576 (c’est-à-dire se mettre au service de la Chrétienté contre les Infidèles), mais il renonce à l’idée d’entreprendre quelque voyage que ce soit, puisqu’il est persuadé que sa femme et son fils sont morts :

‘« Perdu ait ma moullier que pris a mariaige,
Et son petit anffan qui avoit moult poc d’aige ;
Je ne sai ou il sont ne de queilz yretaige,
Car se je lez savoie oultre la mer salvaige
Les yroie je querre a ballant ou a naige ;
Maix pour yaulz a trouver ne sa trouver voiaige.
C’il sont mort, Dieu lez ait en son saint habergaige !
Et c’il ont vie ou corpz, Dieu lez garde de dapmaige ! » (v. 3004-011)’

L’extinction du lignage est donc envisageable, et cette hypothèse paralyse l’action du héros. L’incidence de la dégradation du statut social, en corrélation avec la dispersion familiale, est ainsi appelée à modifier la personnalité héroïque dans sa dimension lignagère.

La particularité de ce héros, dans Lion de Bourges, réside dans le fait qu’il ne connaît que des impasses. Impossibilité de mener une existence ascétique, d’accéder à l’état de pardon du péché, de réconciliation avec le pouvoir divin, impossibilité – ou plus exactement impuissance – à réintégrer un ordre et à défendre le lignage : le personnage poursuit tout au long de l’œuvre une véritable descente aux enfers. Lorsque Gaudiffer le trahit pour le vendre au marchand païen, c’est l’image de Judas qui est évoquée d’une façon très précise :

‘« Ay, dit il, Gaudiffer, tu ais cuer de glouton !
Tu m’ais mis a la mort, bien savoir le puet on.
Elais, si ne tenoie en vous forc que raison ;
Cy m’avés delivrés a le geste Mahon
Ensi que Judas fist le digne cor Jheson
Qu’i vandit au Juyf per malle desraison ;
Ensi su ge vandus a la geste Noiron.
En l’onnour Jhesu Crist qui soffrit passion
Vuelt prandre en grez la vente et ma destrussion,
Et te pardont ma mort, car Dieu en fist pardont
Celui qui le navrait de la lance a bandon. » (v. 3411-421)’

De l’image de Judas à l’évocation de la passion du Christ, il n’y a qu’une très faible distance et Herpin pardonne comme le fit Jésus Christ. Que l’on se penche encore sur la destinée terrestre du duc et l’on voit que celle-ci est définitivement marquée par une aspiration à une vie pieuse, tandis que ses engagements héroïques tendent à diminuer. Si les décisions de l’émir de Tolède après la victoire sur le géant Orible et l’armée sarrasine ne lui laissent que peu de choix – « vous ne m’eschepperés jamaix jour de vous vie »577 – cela n’amoindrit pas en lui la volonté de se consacrer à la célébration de la religion chrétienne, même en terre païenne578. Cette volonté de repli dans un lieu clos – le château de Hault-Lieu, près de Tolède – est une seconde tentative d’accéder à un état de paix, d’harmonie avec Dieu ; elle est motivée par le fait que Herpin ne puisse plus entreprendre quelque initiative que ce soit pour rétablir son statut initial ; désormais, toute action en faveur du recouvrement du fief est devenue impossible. Pour autant, peut-on considérer que la soumission aux ordres de l’émir soit récompensée ? Non, puisque sa présence à Tolède permet à Gombaut de Cologne d’exercer sur lui son désir de vengeance579. Ni tout à fait prisonnier, ni tout à fait libre580, le personnage de Herpin montre sans indulgence à quel point la perte du statut social peut avoir un retentissement sur la destinée terrestre. Il n’en est plus maître, et Dieu ne lui accorde pas une mort héroïque. Signe prémonitoire de son déclin, le combat du père contre le fils au tournoi de Tolède se conclut par un triple échec de Herpin. Pour la première fois, il est désarçonné et sa valeur est remise en cause par Alis581 et par l’émir582.

Cet état quasi permanent d’échec et de refus caractérisant le parcours du duc Herpin est un facteur de la recherche de la perfection dans une vie sainte, mais ce n’est pas lui qui en bénéficie ; c’est son épouse Alis. En effet, s’il est dans l’œuvre un personnage profondément touché par la dégradation de la position sociale, c’est bien la duchesse Alis, qui réunit en elle toutes les caractéristiques de cet état. Son existence à Tolède montre que la perte de plus en plus accentuée de son statut est à mettre en rapport avec une exigence de plus en plus élevée de Dieu. À chaque étape de son cheminement correspond ou bien une réponse de Dieu – sous la forme d’une aide583 ou d’un miracle – ou bien une nouvelle demande qui va hisser la duchesse Alis vers la perfection, alors que Herpin ne bénéficie pas d’une telle attraction.

Cela est un point particulièrement significatif qui distingue la destinée d’Alis de celle de Herpin : si les époux partagent – dans un premier temps – les mêmes effets de la dégradation du statut social, le développement donné à ce motif s’accompagne chez Alis d’un prolongement conduisant à la perte de l’identité, alors que cela n’est qu’esquissé chez Herpin. Pour cette raison, on ne peut évoquer, dans le cas de ce dernier, une perte d’identité au sens où certains personnages du poème la connaissent, après avoir été, à un moment quelconque de leur parcours, dépossédés de leur statut aristocratique.

Notes
547.

Nombreux sont les monologues et les déclarations de Lion faisant apparaître une relation étroite entre la conquête de la princesse inconnue et l’attrait de la couronne ; cf. notamment les vers 1334-337 (Lion s’adresse à Bauduyn) :

« Biaulz perre, se n’est pas tornoy de mocquerie,

Car c’est pour estre roy tous lez jour de sa vie,

Et aussi pour avoir une damme enrichie

Qui est la plux plaisant de toute la Rommenie ; »

On peut également retenir une affirmation de ce style :

« Car il m’est bien avis a ceu commancement

Que j’arait la pucelle a mon devisement

Et que je serait roy de Sezille ensement. » (v. 1193-195)

548.

Cf. v. 3827.

549.

Cf. v. 8491-504. La déclaration du duc Garnier de Calabre, au moment de l’enlèvement de Florantine, ne manque pas de saveur :

« – Damme, s’ai dit li duc, ne savés comment va ?

Lez amour de vo corpz teillement soupris m’a

Que je ne pués durer, morir me covanrait

Se je n’ait voustre amour qu’ai desiriér piessait.

Or vous prie pour cely qui sa mort par donnait

Qu’aiez mercy de moy, mez corpz vous enmoinrait

Ou pays de Callabre a Raige per dela ;

Si en serait duchesse, car bien appartanrait.

Roy serait de Sezille quant vous perre morait,

Car jai ne plaice a Dieu qui le monde estorait

Que vous aiez Lion que si bien tornoiait :

C’est ung povre vaissalz c’un destrier vaillant n’ait ;

De celui n’avés que faire, ja ne vous amerait. »

550.

C’est ce que G. Duby constatait à propos de pratiques matrimoniales observées sur des périodes antérieures au XIVe siècle, qui ont cependant tendance à perdurer dans les décennies suivantes ; cf. G. Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre, Paris, Hachette, 1981, p. 23 sq.

551.

En ce domaine, on peut voir, par effet de miroir, quelles sont les qualités requises chez le chevalier : richesse, terres, honneur, noblesse du sang – telles sont les qualités prêtées au duc de Calabre, par opposition à la pauvreté de Lion en tous points ; cette conception est illustrée par le débat entre les demoiselles qui doivent attribuer le prix du tournoi de Monlusant et, par conséquent, choisir l’époux de Florantine.

552.

Cf. v. 16109-224. Au départ de Monlusant, la navigation n’a pas de but précis : « – Ne sai [dit Florantine], car c’est ou Dieu plairait, (…) A qui commant mon corpz qui per mer s’an yrait ».

553.

Cf. v. 26469-525.

554.

Même hâte chez Girart, qui s’exclame : « jou ai femme trouvee » en voyant Marie (cf. 26603-604) et – délicatesse suprême – la femme est considérée comme une marchandise qu’on ne veut pas troquer : « ja ne serra baretee ! » (v. 26606).

555.

Cela est également montré par une déclaration d’Olivier, concernant la prisonnière :

« Une damme y trouvait dont je ferait m’amie

Sitost qu’elle serait lavee et baptisie ;

Volrait o lui gesir la premiere neutie. » (v. 26635-637)

556.

Cf. v. 26657-686. Toute trace d’offense se trouve annulée.

557.

Cf. A. Guerreau-Jalabert, « Sur les structures de parenté dans l’Europe médiévale », Annales E.S.C., 1981, XXXVI, 6, p. 1028-49.

558.

Corrélation entre vassalité et parenté : cf. D. Ion, La parenté dans Garin le Loheren et Gerbert de Mez , Étude littéraire, linguistique et anthropologique, Thèse de doctorat (dactyl..), Université de Nancy II, 1999, T. 2, p. 680-681.

559.

The Old French Crusade Cycle, vol. V, éd. G.M. Myers, The University of Alabama Press, Tuscaloosa and London, 1980. Le nom de Harpin de Bourges est également cité dans Le Bâtard de Bouillon, éd. F. Cook, Genève, Droz, 1972. Le vers 193 le désigne précisément comme héritier légitime de Bourges.

560.

Cf. F. Dubost, Aspects fantastiques de la littérature médiévale, Paris, Champion, 1991, T. 1, p. 317 : « c’est surtout l’image de la forêt périlleuse qui s’impose dans les chansons de geste ».

561.

V. 479.

562.

Cf. v. 484-485.

563.

Pour les épreuves qui jalonnent le parcours de Blanchandine dans la forêt, cf. interprétation donnée par A. Georges, Tristan de Nanteuil, Écriture et imaginaire épiques au XIVe siècle, Paris, Champion, 2006, p. 583‑584. Cf. également Tristan de Nanteuil, éd. K. V. Sinclair, Assen, Van Gorcum, 1971, v. 16075 : « D’espines et de ronsses ot dessiré ses draps ».

564.

Cf. v. 861-864. Le lieu choisi pour l’ermitage répond au désir d’isolement : une forêt, pas de jardin, ni de maison (le prieur et Herpin devront construire un abri). À nouveau, la forêt –« l’anti-monde » décrit par G. Duby – instaure une distance entre le monde extérieur et l’homme qui cherche à « voir s’entrouvrir les portes du sacré et de la sagesse. » (cf. G. Duby, Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris, Gallimard, 1978, rééd. 1991, p. 369). C’est une caractéristique de l’écriture romanesque ; dans le Lancelot en prose, M. de Combarieu remarque que « la forêt est aussi le lieu de l’homme repenti qui s’exerce à l’ascèse ». (Cf. M. de Combarieu, « Le nom du monde est forêt. (Sur l’imaginaire de la forêt dans le Lancelot en prose) », Cahiers de Recherches Médiévales, n° 3, Paris, Champion, 1997, p. 79-90 (p. 86).

565.

Vers 836.

566.

J.-C. Payen, Le motif du repentir dans la littérature française médiévale, Genève, Droz, 1968, p. 151.

567.

Vers 834.

568.

Cf. v. 845-846 :

« Raicine vuelz mengier et la feulle et l’eurtrie

Et fenez et glan de la forest ramie. »

569.

Cf. v. 800-808 et, principalement, v. 805-808 :

« Sire, bien vigniez vous en yceste partie !

Je vous cognoit moult bien, or ne me cellez mie :

De Bourge en Berry tenés la signorie ;

Que faite vous icy san point de compaingnie ? »

570.

Cf. v. 3467-474 et v. 3483-528. D’abord prisonnier à Chypre, Herpin est envoyé, avec quatre-vingts prisonniers chrétiens à l’émir de Tolède en guerre contre Marsilie.

571.

Cf. v. 3149-3160 et, notamment, la réponse de Herpin :

« Sire, sai dit Herpin, n’an vuelz ung neut d’estrain ;

Je sus chevalier Dieu et d’un pays loingtain.

Allons combaitre au Turc qui sont fel et mahain,

Per quoy nous ne perrdons de terre ung tout slouz grain. (…)

572.

Cf., pour les deux citations, respectivement v. 3476 et 3480. Le contexte guerrier est d’autant plus présent que les païens gardent en vie les prisonniers chrétiens pour les échanger : « Se Fransois lez prenoient en ung estour plennier » (v. 3473).

573.

L’adéquation entre modèle héroïque proposé et idéologie de la chanson est une constante dans la production épique. D. Boutet remarque, à propos d’Aliscans : « (…) la conception du héros épique est étroitement subordonnée à l’objectif de la chanson, objectif d’unité chrétienne et sociale (…) ». Le trouvère de Lion de Bourges ne déroge pas à la règle de la « vertu de l’exemple » que ses personnages sont appelés à mettre en valeur. Cf. D. Boutet, « Aliscans et la problématique du héros épique médiéval », Comprendre et aimer la chanson de geste (À propos d’Aliscans), Feuillets de l’E.N.S. de Fontenay Saint-Cloud, Mars 1994, p. 47-62, (p. 51).

574.

Cf. M. Rossi, Huon de Bordeaux et l’Évolution du genre épique au XIII e siècle, Paris, Champion, 1975, p. 481 : « Huon n’incite ni au rêve ni à l’héroïsme ; mais il a le pathétique de celui qu’un sort injuste met en face d’épreuves imméritées et qui en ressent toute la cruauté ; victime qui subit et souffre, il sollicite la pitié et la sympathie d’un public qui doit voir en lui un semblable et non plus un modèle incitant au dépassement de soi dans les grandes tâches collectives ».

575.

B. Guidot, « L’état d’esprit du chevalier dans le Siège de Barbastre », Charlemagne et l’épopée romane, Actes du VII e Congrès International de la Société Rencesvals (1976), Paris, Les Belles Lettres, 1978, t. II, p. 629-642.

576.

L’intrusion de la violence réanime en Herpin le besoin de porter les armes. Son premier geste en ce sens est de tuer les quatre Sarrasins qui ont assailli l’ermitage. Comme le constatait N. Andrieux-Reix, à propos du retour de Guillaume à la vie guerrière, dans le Moniage Guillaume, il y a une « incompatibilité entre l’état d’homme de Dieu et celui de guerrier », cf. N. Andrieux-Reix, « De l’honneur du monde à la gloire du ciel : Guillaume ermite au désert », Miscellanea Mediaevalia, Mélanges offerts à Philippe Ménard, Paris, Champion, 1998, t. I, p. 37-49 (p. 46).

577.

Vers 18069. Cf., pour l’ensemble de la déclaration de l’émir de Tolède les vers 18068 à 18079. Herpin venait d’évoquer son souhait de regagner le royaume de France :

Et ait dit au fort roy : « Pour Dieu, je vous prie,

Que me laissiez aller en la moie partie,

Loingtampz ait que ne fuit deden mez hireterie ;

Or yrait vollantier, se vous corpz le m’otrie. (v. 18064-067).

578.

Cf. v. 18099-126.

579.

Cf. une anticipation de l’auteur : la promesse faite à l’émir sera la cause de la perte de Herpin :

Li duc li ot en covant, elais il li tanrait,

Car pués l’ocit Gombert de Colloingne per desa. (v. 369-370)

580.

Si peu libre d’ailleurs… Même la décision de mariage avec Florie ne lui appartient pas. Il n’a pas d’autre choix que celui d’obéir aux ordres de la princesse sarrasine amoureuse, car un refus serait trop risqué :

Et dit a lui meysme : « Or sai a essiant

Qu’il fault qu’a cest damme je voisse obeyssant.

Se je n’obeyt, bien porait faire tant

Que j’an poroie avoir le cuer triste et dollant, (…). » (v. 18159-162)

581.

Cf. v. 19874-877 :

« Ay, sire Herpin, se Dieu me puist saulver,

Oncque maix ne vous vy ensement desmontér !

Pour nulz homme vivant, ne en terre ne en mer,

Ne vous vy du chevalz a la terre versér. »

582.

Cf. v. 19961-964 :

« Sire Herpin, dit il, or persoi clerement

Que vous ne vous chevalz qui a la terre c’estant

Ne vallez pour behourt ung denier soullement !

Vous estes trop laissés, je lou voy propprement. »

583.

C’est Alis qui est, entre les mains de Dieu, l’instrument de la réunification de la cellule familiale. Chaque épreuve traversée constitue une progression vers ce but.